CONTRIBUTION - Avec la mort de Youssoupha NDIAYE, le Sénégal vient de perdre un de ses fils les plus illustres qui a porté une contribution majeure dans des domaines divers tels que le droit, les droits humains et le sport, il les a tous portés à des niveaux d’excellence au plan national, régional et international. Un acteur et plusieurs figures, dont chacune brille et excelle dans son domaine de compétence.

Nous allons insister ici sur une des figures les moins connues de la jeune génération et les plus connues au plan régional et international, c’est celle du pionnier, du fondateur, du grand commençant et du magistrat engagé dans la promotion et la protection des droits de l’homme en Afrique et au Sénégal.

J’ai connu personnellement Youssoupha NDIAYE quand nous avons créé la RADDHO en 1990 et en tant chargé des relations internationales, je représentais l’organisation à la Commission Africaine des Droits de l’- Homme et des Peuples (CADHP), dont l’originalité était de permettre la participation des organisations de la société civile à ses travaux.

Youssoupha NDIAYE a été un des tout premiers membres de la CADHP, où il a siégé de 1987 à 1999 et en a été le Président en 1997. Je voudrai souligner ici le rôle modeste que Halidou OUEDRAOGO, alors Président de l’Union Interafricaine des droits de l’homme et Président du MBDHP et moi-même avons joué pour qu’il se présente comme candidat à la présidence de la Commission.

En avril 1997, lors de la session de la CADHP à Nouakchott, on a été approché par la commissaire Julienne Ondziel-Gnelenga pour nous informer de la nécessité d’élire un nouveau Président pour relancer l’intérêt sur la Commission Africaine et tous nous nous entendîmes sur le nom de Youssoupha NDIAYE, pour ses grandes qualités humaines et intellectuelles avec ses interventions toujours très pertinentes, très suivies, concises et économiques ; Ses compétences reconnues par tous avaient permis de lui confier la rédaction du règlement intérieur de la CADHP.

Halidou et moi sommes partis à son hôtel pour le convaincre d’être candidat. Quand tous les deux nous lui avons parlé, Youssou a été tellement ému qu’il a fondu en larmes. On a vu derrière un homme souvent perçu comme un homme de pouvoir, froid et distant, un être humain d’une extraordinaire sensibilité, et d’une extraordinaire générosité. De là est parti d’ailleurs une sorte de complicité qui me liait au Président Youssoupha NDIAYE.

Le bail qui liait Youssoupha NDIAYE aux droits humains en Afrique, remonte à plus de 40 ans. En 1979, suite aux massacres de 15 lycéens de Berengo en Centrafrique, sous le règne de l’Empereur BOKASSA 1er, l’OUA indignée créa une Commission d’enquête dirigée par le Juge sénégalais Youssoupha NDIAYE, pour faire la lumière sur les graves violations des droits de l’homme en Centrafrique.

A ma connaissance, c’est la première commission d’enquête sur les droits de l’homme créée sur le continent africain par les leaders africains, en matière de droits humains, on assistait à un véritable changement de paradigme. La publication du rapport et son impact dans la presse continentale et internationale a joué un rôle fondamental dans la chute de BOKASSA et surtout a servi d’accélérateur pour l’adoption de la Charte Africaine des Droits de l’- Homme et des peuples.

C’est ainsi que Edem KODJO, SG de l’OUA, a saisi cette opportunité pour réunir à Dakar beaucoup d’experts en matière de droits de l’homme dont Ibrahima FALL, Jacques BAUDIN, Youssapha NDIAYE, Kéba MBAYE qui soumet le premier projet de Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples avec le soutien politique et intellectuel du Président SENGHOR.

La suite on la connait avec la réunion de Banjul en juin 1980 et l’adoption de la Charte à Nairobi en 1981. Le fait que Youssoupha NDIAYE ait été membre de la CADHP et son Président ont exercé des effets très positifs sur la politique des droits de l’homme au Sénégal sous Abdou DIOUF.

Président de la Cour Suprême du Sénégal, il a été également nommé Président du Comité Sénégalais des Droits de l’Homme. Il a fortement influencé la politique des droits de l’homme du président DIOUF, qui va ensuite rehausser le statut du CSDH en lui conférant un statut législatif par la loi n°97-04 du 10 mars 1997. Le Comité Sénégalais des Droits de l’Homme (CSDH) à l’époque était composé de grandes figures dont : La juge Mireille NDIAYE, le juge Malick SOW, Me Ousmane SEYE, Mabassa FALL, le juge Alioune NDIAYE.

Cette période qui constitue une véritable remontée démocratique et des droits humains au Sénégal, a créé les conditions qui avaient eu une influence majeure sur l’avènement de l’alternance pacifique de 2000. On assistait effectivement au Sénégal à un véritable second souffle au plan démocratique et au plan des droits humains, il régnait une culture de la tolérance, de la critique, de la liberté de penser et on sentait les choses bouger au plan institutionnel. Dans le contexte de la géopolitique africaine, on était dans un cycle qu’on pourrait qualifier de printemps des transitions et des alternances démocratiques en Afrique. Youssoupha NDIAYE ne parlait pas beaucoup comme la plupart des fonctionnaires d’élites de son époque qui ont grandi avec une forte culture de l’obligation de réserve.

J’ai succédé à Youssoupha NDIAYE à la tête du CSDH et j’échangeais un peu avec lui, dire qu’il était déçu du sort réservé au CSDH par le régime libéral est une litote. Car avec le régime libéral, le CSDH a perdu le statut A que Youssoupha NDIAYE avait permis d’obtenir auprès des Nations Unies. Il s’était retiré à Saint-Louis et aussi s’était soustrait volontairement de toute activité publique. Sa disparition marque une fin de cycle qui doit amener le peuple sénégalais à se regarder en face, avec une démocratie de plus en plus problématique et une institution des droits de l’homme affaiblie. Faut-il s’étonner que ce pays qui paradoxalement n’a jamais été aussi riche, soit si fracturé aujourd’hui et la proie de violences politiques, sociales et symboliques d’une ampleur jamais égalée, au Parlement à l’université et à l’école. Tout se passe comme si les phénoménales ressources minérales dont dispose ce pays sont en train de jouer très négativement sur nos rapports au pouvoir, à la société et à nous-mêmes. Il est temps d’anticiper sur la construction d’un nouveau cycle et sur la vision d’un monde commun à inventer ensemble.

La mort de Youssoupha NDIAYE, qu’il faut considérer comme la marque d’une fin de cycle, les leçons inspirées de son parcours fantastique et son retrait de la vie publique doivent nous amener tous à une réflexion collective et réflexive sur notre société malade, en proie à de nouveaux démons.

*FONDATEUR AFRIKAJOMCENTER