CONTRIBUTION - Le président de la république avait promis de tirer les leçons des événements meurtriers de mars 2012 et leur cohorte de 13 à 14 morts en proclamant sur un air guerrier que cela ne se reproduira pas. Il n’avait pas dit comment. Les images puissantes de villes insurgées pendant plusieurs jours pour défendre les droits politiques et constitutionnels des citoyens trop longtemps bafoués, les déchainements incontrôlables de populations jeunes victimes des conséquences monstrueuses de politiques économiques et sociales dont l’essentiel des retombées ne profitent qu’à des oligarchies connectées au régime, le ras-le-bol contre la pauvreté et l’indigence dont les stigmates sont de plus en plus visibles au cœur et à la périphérie de nos cités, avaient créé un vrai traumatisme chez le président Macky Sall. La belle figure du chef, construite autour d’une fiction sans rapport avec la réalité intrinsèque d’un homme belliqueux et violent, s’était effondrée. A partir de là, la plaie de mars a laissé place à l’idée d’une riposte contre toutes les forces qui avaient mis à nu sa duplicité et son incompétence. L’heure de la vengeance  a sonné, sous la forme d’une procédure d’urgence imposée à une assemblée nationale naturellement ringarde pour faire passer un package de lois du code pénal et du code de procédure pénal dont quelques-unes, scélérates, restreignent et criminalisent substantiellement les libertés relatives aux manifestations et rassemblements pacifiques.

L’article 279 alinéa 1 dispose : «Constituent des actes de terrorisme punis de la réclusion criminelle à perpétuité, lorsqu’ils sont commis intentionnellement en relation avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but d’intimider une population, de troubler gravement l’ordre public ou le fonctionnement normal des institutions nationales et internationales, de contraindre un gouvernement ou une organisation internationale à accomplir un acte quelconque par la terreur

Cette disposition est une conséquence directe des événements dramatiques de mars rappelés plus haut. A elle seule, elle suffit désormais à envoyer devant une chambre criminelle une flopée d’opposants politiques, de militants de la société civile engagés dans la défense des libertés constitutionnelles, d’activistes soucieux de contrecarrer ou de dénoncer les velléités de capture des institutions censées favoriser le fonctionnement démocratique de notre pays. Sa qualité d’épée de Damoclès aux mains du binôme Etat-mouvance présidentielle va constituer une menace permanente pour cette catégorie d’acteurs. A tout moment et au gré de circonstances qui se présenteraient, leurs rassemblements politiques seraient susceptibles d’être versés dans la catégorie «terrorisme» pour peu que des incidents surviennent. La criminalisation se ferait sous la supervision d’un procureur de la république doté d’un spectre d’interprétation des faits d’une grande élasticité.

Le maquillage des intentions du président de la république ne fait aucun doute : il profite de la rengaine mondialisée de lutte contre le terrorisme/jihadisme pour chercher à liquider les pans radicaux de l’opposition sénégalaise, ceux qui se déclarent prêts à l’empêcher de concourir à une troisième candidature consécutive à laquelle il s’est déjà auto-exclu. Au travers de l’assemblée nationale, il piège donc et sans coup férir le principe fondamental du droit constitutionnel à organiser des manifestations publiques en toute sérénité. Qui peut s’opposer à ce qu’un Etat et ses démembrements répressifs aux ordres d’une mouvance politique dépourvue d’états d’âme créent les conditions d’une émeute de basse ou petite intensité dans un rassemblement d’opposants et en attribuent ensuite la responsabilité et la paternité à ceux-ci, qu’ils soient des personnes physiques ou morales ?

C’est pour cette raison que le débat autour de cette loi qui confond terrorisme à manifestations et introduit le concept de « association de malfaiteurs » devrait être plus politique que technique en raison des visées sous-jacentes non avouables. Le caractère scélérat de cette loi de vengeance vicieuse et disproportionnée n’a pas été mieux rendu que par l’intelligence de situation du député Mansour Sy Jamil. S’adressant à Moustapha Niasse lors des débats d’hémicycle, il lui a dit : «Monsieur le président de l’Assemblée, on vous a vu avec une pierre (le 23-juin 2011, ndlr) (…) Si cette loi existait avant, on vous aurait accusé de terrorisme et vous ne seriez pas là aujourd’hui.»