NETTALI.COM - Devrait-on perdre du temps à discuter de tournée économique ou de tournée politique ? Assurément non. Les deux sont les revers d’une même médaille. Ce à quoi nous devrions tous concentrer notre énergie, c’est de voir comment endiguer cette montée de la violence qui est la conséquence de la présence des nervis sur le champ politique. C’est une réalité qu’il faut de toute façon déplorer et fortement condamner. Cette tournée du président Sall a montré à la face du monde comment la présence des nervis dans les cortèges présidentiels est générateur de violence, empêche l’exercice de la démocratie et gêne les forces de défense et de sécurité dans leurs missions.

Le grand point noir de ces tournées économico-politiques, est ne pas en douter la présence de nervis dans les cortèges présidentiels. Et l’on ne peut pas ne pas se demander ce qui a bien pu la motiver ? Pourquoi n’ont-ils pas pu se suffire des forces de sécurité, notamment les policiers et les gendarmes ? Y avait-il d’autres motivations que celles d’assurer la sécurité du président ? C’est une réalité en tout cas tout à fait inadmissible et anti républicain. La présence de ces nervis a quelque chose de détestable et même de vexant pour les forces de sécurité. Ceux-là ne sont non seulement pas formés au maintien de l’ordre et au protocole, mais ils ont la prétention de suppléer les FDS, en plus d’être générateurs de violence qui peut parfois leur être attribuée et à tort.

Dans une de ses livraisons du lundi 14 juin, le journal « EnQuête » a même consacré un papier au sujet. Et c’est pour relever à quel point, ces nervis indisposent les forces de sécurité et les empêchent d’exercer correctement leurs missions. Citant des sources, le quotidien pointe ainsi du doigt, le recours aux gros bras et aux nervis « devenu systématique, partout où il y a des velléités de contre-manifestations » , ajoutant que « ces nervis ou milices privées se déplacent avec les moyens de l'Etat, achetés avec l'argent du contribuable. C’est le cas à Saint-Louis où ils sont une centaine, éparpillés dans deux 8x8 et un bus de la présidence de la République. Ils marchent sur les plates-bandes des forces de l'ordre qui essayent d'assurer le service d'ordre. De ce fait, des problèmes et des altercations qui pourraient, à l'avenir, avoir de graves conséquences, ont été notés, lors du passage du président Macky Sall, à Saint-Louis ce 12 juin. ».

Le journal est même allé plus loin, relevant des incidents à la date du 12 juin. Le premier, a-t-il fait savoir, a eu lieu avec le commandant de la compagnie de gendarmerie de Saint-Louis, à hauteur de la Maison de l'île. Le capitaine, rapporte-t-il, citant des sources, qui n'en pouvait plus, est descendu de son véhicule pour les sermonner. Idem pour le commissaire central de Saint- Louis qui a dû aussi hausser le ton pour se faire entendre, à cause des violences, menaces et exactions sur les populations.

Les nervis, apprend-on du même canard, avaient, sur l'avenue Général De Gaulle, bloqué, avec leurs gros véhicules, la circulation, alors que c’est par-là que le président de la République devait repartir et qu’il fallait mettre de l'ordre. « Les échanges entre eux et le commissaire central de Saint-Louis étaient vifs et tendus. Ils ont fini par libérer la voie, en avançant leurs voitures. Mais plus loin vers le commissariat central, un nouvel incident les a opposés à des policiers disposés dans le jalonnement. Les gros bras voulaient intégrer le dispositif, ce à quoi se sont farouchement opposés les policiers », a expliqué un interlocuteur de EnQuête. Une dame, de faire remarquer sur une radio locale, avoir été malmenée par ces gros bras, parce qu'elle détenait un brassard rouge. Pire, elle a confié que certains détenaient des pistolets. Des propos corroborés par d’autres sources qui renseignent : « Certains de ces nervis possèdent, effectivement, des pistolets et sans autorisation de port d’arme. Ce qui est extrêmement dangereux et pourrait être à l'origine de ce que nous appelons communément une bavure policière. Ces cas de violence vont gratuitement être exercés sur des citoyens, simplement parce qu'ils ont exprimé leur sentiment. A Pikine, et plus précisément au niveau de l’angle Tall, des personnes ont été malmenées, parce qu'elles scandaient le nom d’Ousmane Sonko. D'autres ont été frappées, parce qu'ils ont brandi des brassards rouges. »

Entre intimidations et exactions sur les manifestants 

Sur les réseaux sociaux, les images d’exactions et d’interférences de ces nervis dans la mission des forces de l’ordre, foisonnent et sont partagées par des internautes révoltés. Elles montrent combien les actes de ceux-ci sont une tâche noire pour la paix civile et l’ordre républicain. D’ailleurs des menaces ont d’ailleurs commencé à voir le jour à travers le même canal sur ces gros bras et leurs proches, à travers des posts et photos les identifiant par leurs noms et indiquant leurs lieux d’habitations. De quoi craindre une ambiance d’anarchie et une logique de justice privée, voire même de vendetta.

Une situation qui n'a pas en tout cas laissé indifférent le mouvement y'en a marre qui a décidé d'appliquer la loi du talion en rendant coup pour coup, même s'il a par ailleurs annoncé une plainte.  Avec les membres du mouvement Fouta Tampi/Ensemble sauvons le Fouta, ils ont ainsi tenu, lundi 21 juin, une conférence de presse pour dénoncer les violences et les intimidations dont ils ont été victimes, lors de la tournée présidentielle dans le Fouta. A cette rencontre, la coordinatrice du mouvement "FOUTA TAMPI" se dit déterminée à donner sa vie pour le salut du Fouta."Nous sommes venus ici pour dénoncer les tentatives d’intimidation et de harcèlement de la part d’individus non-identifiés. En l’espace de 15 jours, j’ai dû déménager trois fois pour garantir ma sécurité. Nous sommes en droit de clamer notre désaccord devant le sort que réserve le régime de Macky Sall aux dignes fils et filles du Fouta. Mais, à chaque fois qu’on élève la voix, on essaie de nous terroriser. Je veux leur dire que je suis prête à donner ma vie pour le salut du Fouta’", a clamé la coordinatrice de Fouta Tampi, Fatoumata Ndiaye. Avant d'ajouter : "Nous avons même vu des nervis avec des grenades offensives s’attaquer à des manifestants. Ils ont blessé plusieurs d’entre eux. Des nervis du maire d’Ourossogui ont aussi attaqué une maison où je m’étais refugiée, après les premières échauffourées. J’ai dû fuir vers la forêt de Kanel, avant de rejoindre Dakar. Je suis déterminée, car on se bat pour une cause juste. Il faut aller jusqu’au bout’", a-t-elle répété. De son côté, "Guem sa boop", le mouvement de Bougane également en tournée, a aussi déposé sa plainte.

Devant le « Jury du dimanche » de ce 20 juin sur I-TV, Zator Mbaye de l’AFP a nié la présence de nervis dans le cortège du président de la République. Lequel, selon lui, était sécurisé par des policiers et des gendarmes. « Je n’ai pas vu de nervis dans le cortège du président de la République » ! Une déclaration signée par un ministre conseiller du président de la République, malgré les images qui circulent sur la toile et qui mettent à la lumière du jour, ces nervis qui brutalisent des manifestants. Ce qui n’a toutefois pas empêché Zator Mbaye de camper sur sa position. « Je n’ai pas vu de nervis. J’ai vu la garde présidentielle composée d’éléments de la gendarmerie, de la police, qui sont dans le convoi du président de la République. Maintenant, peut-être qu’il y a eu par-ci et par là des éléments qui ont été recrutés pour essayer de remplacer la sécurité mais ça c’est au niveau local », a-t-il tenté de justifier sans convaincre.

Concédons le lui puisqu’il est aveugle. Mais toujours est-il que l’atmosphère (certains journaux ont traité ces nervis de « sauvages » au regard des exactions ) qui a prévalu, n’est pas sans rappeler le cas du lutteur Ndiaga Diouf qui a été tué. Bathélémy Dias dans ce cas-ci, a été condamné à 2 ans de prison dont 6 mois ferme, suite à des violences politiques meurtrières à Dakar et des assauts contre la mairie de Mermoz-Sacré-Cœur qu’il dirige. Un cas qui doit faire réfléchir et rappeler aux autorités et aux politiques de tous bords, leurs responsabilités. Figurez-vous que cette affaire en est encore au stade de l’appel en justice puisque renvoyé au 7 juillet 2021, alors que le maire a été condamné en 2017. Ce qui veut dire que les victimes des évènements, sont toujours les seuls et vrais perdants, malgré les sommes d’argent distribués çà et là au moment des deuils. Elles ne vont de toute façon pas les ressusciter. Une histoire de sous, vaut-elle vraiment la peine que des gros bras, même en panne de perspectives, se mouillent dans des affaires de politique politicienne avec le risque de perdre la vie ou d’être blessés ? Assurément non.

Dans une de ses sorties Macky Sall avait estimé de ne pas voir du rouge. Un discours aux allures de bravade. Certains journaux ont d’ailleurs relevé ce fait en titrant de manière ironique : « Macky voit désormais rouge ». Une manière de faire remarquer les brassards et tissus rouges sur son passage, lors de sa tournée. En effet malgré la ferveur populaire des mobilisations monstres, les rassemblement ont parfois pris des airs de corrida au point que l’on se soit parfois cru dans ces séances où les toréros brandissent des chiffons rouges pour exciter les taureaux. Une situation qui s’est d’ailleurs imposée au protocole du président de la République ;  et ce dernier n’avait d’autre choix que d’arrêter à certains passages, son cortège pour entamer un dialogue avec les manifestants qui avaient visiblement des revendications à faire entendre.

L'existence des nervis, un frein à l'exercice de la démocratie

C’est en effet une illusoire d’en arriver à penser qu’un pays entier puisse être en accord avec la politique du président. Donc, pour le président, entendre des voix discordantes, ne peut être que bénéfique surtout pour un homme qui a l’habitude d’être encensé et de voir sa vision toujours magnifiée ! Difficile aussi de croire que toutes ces foules et mobilisations ne sont que le fruit d’une communion entre les populations des territoires visités et des contrées traversées. Le bétail électoral y est pour beaucoup. Disons-le clairement, ces contrées ne sont pas si peuplées que cela. Demandez à Me Wade et son fameux rassemblement sur l’ancienne piste de chez feu Serigne Béthio. On en était à chiffrer des millions de personnes présentes. Quel a été le résultat ? Pour Macky Sall, entendre des sons de cloche différents, peut amener à prendre en compte des doléances constructives pour le président Sall, surtout si ses partisans ont une propension à enjoliver le tableau.

L’incursion des nervis dans les cortèges et qui se livrent à des exactions sur les populations, est une plaie béante au cœur de la république et dans le jeu politique, quel que soit par ailleurs le bord politique ! Au regard du contexte, elle finit par se réduire à un jeu de ping-pong entre l’Etat et le camp de Sonko et ses alliés qui se renvoient sans cesse la balle de la responsabilité des morts survenus lors des récents évènements violents.

Déjà en avril 2021, Sidiki Kaba, le ministre des forces armées avait fait savoir que toute la lumière serait faite sur les 13 morts et 590 blessés, suite aux manifestations violents de mars, consécutives à  l’affaire Ousmane Sonko/Adji Sarr. Il avait à cet effet annoncé la mise sur pied d’une commission d’enquête libre et indépendante. Sidiki Kaba s’était même livré à des commentaires selon lesquels, l’opposition et la société civile ont fait endosser à l’Etat du Sénégal, toute la responsabilité relative à ces évènements qui ont occasionné des pertes en vies humaines et beaucoup de dégâts matériels. Ce qui, à son avis, serait injuste. « Nous voudrions rétablir la vérité des faits. Mais nous sommes dans une dynamique d’apaisement et de paix », avait fait savoir Me Sidiki Kaba. « Les porteurs de ce funeste projet tentent de se déporter sur une responsabilité supposée de l’Etat dans les dommages et les pertes en vies humaines subies. N’eut été l’attitude républicaine des forces de l’ordre qui ont agi avec professionnalisme, sang-froid et retenue pour garantir la sécurité des personnes et des biens, il y aurait eu des conséquences beaucoup plus importantes », avait soutenu le ministre. Et celui-ci avait même ajouté : « Par ailleurs, si Ousmane Sonko avait accepté de répondre à la justice comme tout justiciable de quelque niveau où il se trouve, rien de tout cela ne serait arrivé….».

Réagissant d’ailleurs à la mise en place d’une commission d’enquête indépendante pour faire la lumière sur les événements de mars 2021, le Mouvement pour la défense de la démocratie (M2D) avait affiché son scepticisme et exigé la libération des « otages » arrêtés. Elle prenait ainsi acte de la décision, mais restait vigilante sur « les modalités de mise en place, la composition et les TDR de cette commission dite indépendante, puisqu’il est constant que, sous nos cieux, de telles commissions ne sont souvent créées que pour ensevelir la vérité et charger des cibles désignées ». Pour mémoire, dans son mémorandum, soulignait le M2D, le gouvernement a conclu son réquisitoire par la désignation d’un coupable qui n’est autre qu’Ousmane Sonko. « Quelle pertinence de mettre en place une commission d’enquête, dès lors que l’initiateur, partie à l’affaire, a déjà ‘jugé’ et ‘condamné’ ? ».

Toujours est-il que la violence que de gros bras ont exercé sur des jeunes du Fouta dont le seul tort a été de manifester leur mécontentement au Président Macky Sall, n’a pas laissé indifférent Ousmane Sonko qui s’est voulu on ne peut plus clair.  « Je prends la responsabilité d’appeler les Sénégalais à s’armer et à user de la violence pour se défendre des attaques de ces nervis de Macky Sall. N’attaquez personne, ne tirez sur personne. Mais si on vous attaque, répliquez. Organisez-vous pour faire face à ces nervis », a-t-il affirmé face à la presse vendredi 18 juin. Avant d’ajouter : « Ce qui s’est passé au Fouta est une honte pour le Sénégal. Engager des nervis pour assurer la sécurité du président de la République, est une honte. Avec tout le budget de notre police et de notre gendarmerie. »

Des échanges musclés qui rappellent à certains égards les récents et violents évènements au cours desquels, un appel à la résistance avait été lancé. Ce qui n’augure rien de bon. Gare en tout cas à la radicalisation qui ne peut avoir comme conséquences, qu’une flambée de violence et la tentation du recours à une justice privée, aux conséquences difficilement maîtrisables. Qu’un parti d’opposition recrute des préposés à la sécurité via une agence de sécurité formalisée dont c’est la spécialité, cela est compréhensible ;  mais qu’un état recrute des nervis, reste incompréhensible et anti-républicain parce qu’il dispose de forces formées et auxquelles est reconnu le monopole de la violence légitime et proportionnée ! L’on semble en tout cas marcher sur la tête.

Des commissions d’enquête ont été réclamées, mais au finish, mais leur mise en place n’a pas évolué, pour pouvoir être en mesure de produire de résultats. Quand bien même, elles en auraient produits, il aurait été difficile de faire accréditer les conclusions de ces enquêtes à cause de la polémique qui s’en serait suivie. C’est une sorte d’impasse à laquelle, on assiste.

"Comités d'action", "Calots bleus", "Tontons macoutes, "marrons du feu", peu importe l'appellation, nous n'en voulons plus et ces rassemblements de nervis violents ne sont ni nécessaires, ni utiles dans l'espace politique y compris la société sénégalaise. Une affaire de muscles et de gros bras dans l’espace politique qui prouve à souhait que lorsque les rôles et les missions ne sont pas suffisamment définis et encadrés par la loi, ce sont le désordre et le chaos qui finissent par s’installer et régner en maîtres. L’on s’amuse à se faire peur, mais attention au réveil, il risque d’être bien brutal.