NETTALI.COM- Départi de son obligation de réserve puisqu'il est  à la retraire, l’ancien procureur spécial de la Cour de répression de l’enrichissement illicite (CREI), Alioune Ndao a commenté l'actualité judiciaire sans gants. Indépendance de la Justice, sortie d’Antoine Félix Diome, troisième mandat présidentiel, Affaire Sweet Beauty. Ce sont autant de sujets abordés par le magistrat à la retraite qui a accordé un entretien à la presse , ce jeudi 25 mars 2021, en marge de l’atelier de l’Union des magistrats sénégalais (UMS), sur le thème « L’Etat de droit et indépendance de la Justice : Enjeux et perspectives de réformes ». Alioune Ndao, est encore revenu sur son départ de la +CREI, car, limogé en plein procès de Karim Wade.

« La justice se porte très mal »

« Au regard des derniers évènements que nous avons tous vécu et qui font mal au cœur, le seul reproche qui a fait que des justiciables sénégalais attaquent les tribunaux, attaquent physiquement les magistrats, c’est le manque d’indépendance de la justice. Cela signifie qu’il y a un grand fossé entre la justice et le justiciable. Il y a une véritable crise de confiance entre la justice et les justiciables. C’est pourquoi, je dis que, malgré tous les beaux discours sur l’indépendance de la Justice, la réalité est que la Justice, en ce moment, est inféodée au pouvoir exécutif. Elle se porte très mal. Il me semble impérieux de retirer au garde des Sceaux ce pouvoir de proposition de nomination pour le confier à un organe indépendant qui sera chargé de recevoir les appels à candidature des magistrats et de les soumettre au Conseil supérieur de la magistrature. On voit régulièrement des ministres donner des instructions de non poursuites à des magistrats du parquet qui les exécutent. Ce qui est tout à fait illégal. Il faut restituer aux magistrats du parquet leur indépendance dans le cadre de la mise en mouvement et de l’exercice de l’action publique ».

« Je refuse d’exécuter un ordre illégal, même si c’est l’autorité qui le demande »

« Je peux revenir sur la manière dont j’ai quitté la CREI pour dire simplement qu’elle est la preuve du mépris que le pouvoir exécutif a à l’endroit du pouvoir judiciaire. Je n’en ai jamais parlé et je n’en parle pas avec rancœur. Ce n’est pas pour régler des comptes mais cela révèle le mépris que le pouvoir exécutif à l’endroit du pouvoir judiciaire. Comment peut-on relever un procureur en pleine audience parce que simplement le procureur était en train de faire son travail correctement ? Donc, cela est révélateur d’un manque d’indépendance et du peu de respect que le pouvoir exécutif a à l’endroit du pouvoir judiciaire. Le pouvoir exécutif n’a aucun respect à l’endroit du pouvoir judiciaire. Le pouvoir exécutif ne veut pas d’une justice indépendante. Les tenants du pouvoir ont peur d’une justice indépendante. Je dirai que c’est une expérience douloureuse. Je ne suis pas un magistrat ordinaire. J’ai été militaire, gendarme et policier avant d’entrer dans l’administration. Donc, j’ai reçu beaucoup de coups qui m’ont très certainement fortifié. La manière dont j’ai quitté la CREI m’a fait beaucoup mal. J’ai appris dans la vie à supporter. Les tenants du pouvoir exécutif n’ont aucun respect à l’endroit du pouvoir judiciaire et ils ne veulent pas d’une justice indépendante parce que cela ne va pas dans le sens de leurs intérêts. Ils veulent toujours avoir la justice sous leurs ordres. Je suis d’une nature telle que j’ai un esprit indépendant. Tout ce qui n’est pas légal, je ne le fais pas. Je refuse d’exécuter un ordre illégal, même si c’est l’autorité qui le demande. Donc, moi j’étais sur ma ligne et, peut-être, c’est cette ligne qui ne leur plaisait pas. Mais ils n’ont pas donné d’explications ».

« Antoine Félix Diome s’adresse mal aux sénégalais »

 « Antoine Félix Diome est quelqu’un avec qui j’ai travaillé avant la CREI. Il était sous ma direction quand j’étais au parquet général. Il venait me voir quand il avait des difficultés. Il me prenait comme son propre grand frère. Il me disait des choses qu’il ne disait pas à son père. On avait des liens très proches. Je lui souhaite bon vent en lui demandant de faire beaucoup attention aux politiques. Qu’il évite que ces derniers le mettent dans le gouffre parce qu’il a sa carrière de magistrat devant lui ! Donc, il a intérêt à faire beaucoup attention. Je lui demande d’améliorer sa communication. Depuis qu’il est à ce poste de ministre de l’Intérieur, sa communication est calamiteuse. Il s’adresse mal aux Sénégalais. Or un ministre de l’Intérieur est au-devant de la scène et quand quelqu’un est mis au-devant de la scène, il doit savoir parler. Il doit faire attention parce que le régime de Macky Sall va bientôt finir. Tout le monde sait que Macky Sall n’a pas droit à un troisième mandat. Lui-même le sait. La constitution est claire. Nul n’a le droit d’avoir deux mandats consécutifs. Donc, que Antoine fasse attention ! Macky Sall n’a que trois ans qui lui restent au pouvoir. Qu’il ne te mette pas dans des situations difficiles ! Il est un politicien et il peut sortir facilement de cette situation. Ceux qui soutiennent le contraire sont avec lui et ils ne lui disent que ce qui lui plait. Ils sont de mauvais conseillers. Un bon conseiller, c’est celui qui va dire à Macky Sall qu’il n’est pas meilleur que les 16 millions de Sénégalais, c’est le bon Dieu qui a voulu qu’il soit président et la constitution prévoit deux mandats. Je lui conseille de respecter ces deux mandats et de partir. »

« Si ce qu'on reproche à Sonko est établi, qu’on le traduise en justice »

« Je demande à la justice de faire sereinement et de manière impartiale son travail. Si ce qu'on reproche à Sonko est établi, qu’on le traduise en justice. S’il y a des preuves qui sont apportées, que les juges prennent la décision qui convient. S’il n’y a rien qu’on le laisse partir. A ce stade de l’instruction, si le dossier est vide, le juge d’instruction estime que le dossier n’a rien, il peut prendre un non-lieu. Mais, si le juge est convaincu qu’il y a des éléments qu’on le renvoie en jugement en toute impartialité sans subir de pression ni d’un bord ni de l’autre. »

« La CREI est une institution qui est bonne dans nos pays sous-développés »

« Si on avait laissé le soin à la Crei de faire son travail, c’est une institution qui est bonne dans nos pays sous-développés parce que l’infraction de l’enrichissement illicite n’est pas mauvaise. Dans nos pays, les tenants du pouvoir ont l’habitude de faire des actes de prévarications sur les ressources publiques. Et de moins en moins on voit des actes de détournement de deniers publics. Mais les gens créent des stratagèmes pour piller les caisses en laissant une apparence de légalité. Donc la meilleure manière de savoir que les tenants des deniers publics sont en train de les dilapider, c’est de contrôler leur patrimoine. Maintenant, on peut toujours discuter de la CREI ».