CONTRIBUTION - Cher Abdoulaye,
Dans un entretien avec Dakar Actu, vous avez exprimé votre vœu que le mandat du président de la république ne soit pas limité. Pour donner un certain poids à votre argument, vous avez donné l’exemple de pays comme la France, les États-Unis où il n’y a pas de limitation de mandat. Vous avez même poussé le bouchon en citant la Russie. Vous justifiez la non-limitation du mandat du président de la république par le fait qu’« aucun chef d’État ne peut réaliser de grandes choses s’il n’a pas le temps nécessaire pour mettre en œuvre ses projets et programmes ». Vous insistez, comme dans une ultime bravade, sur la tenue d’un referendum pour demander au peuple si oui ou non il est pour la limitation du mandat du président. En lisant les lignes introductives de Dakar Actu, j’ai cru dans un premier temps, que le rédacteur s’est mépris de bonne foi sur vos propos, et pour en avoir le cœur net, j’ai écouté l’entretien. Le journaliste Daouda Ba évoque le problème du 3e mandat en citant les exemples de la Guinée, de la Côte d’Ivoire et vous demande ce que vous en pensez. Votre réponse immédiate plante le décor. Un décor qui sort de l’or pour plonger dans l’abjecte qui étête, et trempe sa tempe dans le nauséabond qui rend moribond et cela n’est pas bon : « Moi Abdoulaye Makhtar, je suis contre la limitation du mandat d’un président de la république en Afrique ».
Un des cadres de mon parti, Amadou Moustapha Sakho, après vous avoir écouté dans cet entretien, en était d’autant plus déçu que pour lui, un énarque ne peut verser dans certaines légèretés. Il oublie que ce ne sont pas tous les énarques qui ont de bons arcs, surtout ceux qui ont choisi le parc. Moi je ne suis ni déçu, ni inquiet, ni perturbé. J’ai tout simplement honte et très honte. En bon libéral, si je respecte votre liberté d’expression, je prends en même temps le droit de m’exprimer sur vos propos hors de propos et vos arguments sans ciment. Puisque vous avez bien dit au journaliste que vous n’êtes pas opposé à ce qu’on vous contredise, je prends ici donc la liberté de vous contredire et je suis sûr que les sénégalais et les africains dans leur écrasante majorité vous auraient contredit comme moi sur ce terrain glissant et hautement dangereux sur lequel vous débarquez en faisant mine de ne pas voir ce qui s’est passé au Togo, au Congo. Je ne parle même pas de ce qui se passe sous nos yeux présentement en Guinée et en côte d’Ivoire, deux pays totalement déchirés pour les mêmes raisons.
Cher Abdoulaye, si la démocratie est l’exercice, voire la mise en décision de l’expression populaire, alors, on peut parfaitement vous concéder que la limitation du mandat, quel qu’il soit, est contraire au principe démocratique, surtout si cette limitation n’est pas une émanation de l’expression populaire. Autrement dit, tant que le peuple veut, sa volonté ne doit nullement être contrarié, puisque vox populi, vox dei (la voix du peuple c’est la voix de Dieu). Mais ne nous trompons pas, cher Abdoulaye. C’est seulement dans une situation idéale et une démocratie digne de ce nom que ce mode d’exercice peut s’épanouir et prospérer. Or, les républiques bananières que nous avons en Afrique ont une réputation si sale que seuls ceux qui les ont salies et qui sont eux-mêmes sales, s’en accommodent en cherchant à les perpétuer par tous les moyens possibles pour pouvoir continuer, tels de voraces prédateurs, à capter les maigres ressources de ces pays extrêmement pauvres au moment où une partie de l’élite politico-maraboutico-affairo-intellectuelle s’enrichit outrancièrement, ostensiblement et illicitement. Évidemment, tous les politiciens, marabouts, hommes d’affaires et intellectuels ne sont pas pourris. Heureusement !
Cher Abdoulaye, l’inconsistance de vos arguments réside dans le fait que vous êtes contre la limitation du mandat du président en Afrique, mais pour le justifier, vous sortez de l’Afrique pour prendre vos exemples sur la France, les États-Unis etc., où, dites-vous, encore une fois, il n’y a pas de limitation de mandat. Ce sont des arguments spécieux, légers et qui ne tiennent absolument pas du tout. En France, le président qui a le plus duré au pouvoir sous la Ve République, et même depuis Napoléon III (Empereur  sous la IIe République), c’était François Mitterrand. Il n’a fait que 13 ans, 11 mois et 26 jours. Au Royaume-Uni, Margaret Thatcher a eu le privilège de passer plus de temps au 10 Downing Street que tous les Premiers ministres du vingtième siècle et elle n’a fait qu’onze ans et 208 jours.
Aux USA, le président ayant le plus duré au pouvoir était Franklin D. Roosevelt avec quatre mandats, mais sa présidence a coïncidé avec la Grande Dépression (3e mandat), puis la Seconde guerre mondiale  (4e mandat), et c’étaient ces raisons qui l’ont poussé à briguer autant de mandats. D’ailleurs il n’a fait qu’onze semaines dans son quatrième mandat et il était mort. C’est certainement ce cas de Roosevelt qui vous a fait dire que la limitation du mandat du président n’existe pas aux USA. Cela n’est pas tout à fait faux, mais ce n’est pas exact. La Constitution de 1787 n’avait certes pas de clause de limitation, mais deux ans après le décès  de Roosevelt en plein quatrième mandat, le Congrès américain avait voté aux deux tiers, le 22e amendement de la Constitution pour instituer la limitation de mandat avec comme argument phare, la lutte contre la tyrannie et les abus du pouvoir exécutif. Le 22e amendement limitant le mandat présidentiel à deux, a bel et bien été ratifié en 1951. D’ailleurs, même sans cet amendement, les présidents américains ne s’éternisaient pas au pouvoir, à commencer par le tout premier d’entre eux, George Washington qui avait établi une solide jurisprudence en la matière,  en n’ayant fait que deux mandats de quatre ans et était parti alors que toute l’Amérique lui demandait de se représenter.
Pourquoi je cite ces pays que vous avez pris en exemple ? Ces pays ont une tradition démocratique et électorale bien établie. Ils ont eu le temps de mettre en place des régimes où la séparation des pouvoirs est une réalité et l’état de droit une évidence, sans oublier des administrations neutres, et des processus électoraux transparents et crédibles. Quand dans une démocratie ces critères sont réunis, la limitation de mandat n’a aucun sens, car le jeu démocratique dont on se réclame se déroulera comme sur des roulettes. Dans ces pays que vous avez cités pour justifier la non-limitation des mandats en Afrique, ces conditions sont réunies. Elles sont d’autant plus réunies qu’un régime peut perdre l’élection alors même que ce sont ses propres hommes et femmes qui dirigent son administration, y compris celle des élections. Sarkozy a perdu la présidentielle alors qu’il était le candidat sortant et il n’y avait pas eu de contestation. Les Travaillistes avaient perdu les élections générales de 2010 au Royaume-Uni alors qu’ils dirigeaient le pays et toutes ses administrations, y compris électorales. Combien de fois est-ce qu’en Allemagne, aux USA etc., une administration sortante a perdu l’élection qu’elle-même a organisée,  sans contestation après, car le jeu est d’une limpidité incontestable ?
En Afrique, cher Abdoulaye, les présidents ont battu tous les records de longévité au pouvoir, non pas parce que leurs peuples respectifs les adorent, mais parce qu’ils corrompent pratiquement les maillons essentiels des différentes administrations qui s’occupent des élections, sachant que la séparation des pouvoirs est un des plus grands leurres en Afrique, surtout francophone dont le Sénégal, créant ainsi les conditions d’une présidence à vie et des exemples font légion. C’est d’ailleurs certainement pour cette raison que votre ancien parti a pu régner pendant 40 ans au Sénégal sans alternance. Si c’est par nostalgie à cette parenthèse que vous suggérez indirectement la non-limitation du mandat à l’actuel régime dont vous êtes devenu membre par on ne sait quelle autre gymnastique, vous vous trompez d’époque. Le comble c’est que quand vous invitez à un autre referendum pour la limitation ou non du mandat présidentiel, vous semblez soit être oublieux du referendum tenu sur la même matière, soit votre considération pour le peuple reste à questionner, puisque cette question est dépassée bien avant le referendum de 2016, mais que ce dernier est venu expliciter davantage l’impossibilité d’un éventuel 3e mandat avec une constitution mise à jour qui le stipule clairement en son article 27. Pourquoi un autre referendum sur une question qui n’en est pas une parce que réglée il y a bien longtemps ? Que cherchez-vous à travers cette affaire de mandat alors même que personne n’en parle plus ces derniers temps  à cause d’autres problèmes plus urgents? Pourquoi revenez-vous sur cette question au moment où des sénégalais sont inondés, ont faim et soif, sont malades, ont besoin de soutien et de défenseurs dont leurs députés invisibles, inaudibles et inutiles sur des questions essentielles ? J’oublie même qu’il y a une Assemblée nationale et des députés dans ce pays.
Les présidents africains ont battu tous les records de longévité au pouvoir, disais-je, en se transformant en présidents à vie, à cause de l’absence de limitation de mandat. Neuf sur dix des présidents ayant le plus duré au pouvoir sont en Afrique et cela ne semble aucunement vous dissuader cher Abdoulaye, quand vous souhaitez voir que la limitation de mandat disparaisse. C’est un scandale que cela vienne de vous. Teodoro Obiang Nguema Mbasogo au pouvoir depuis 1979, à lui seul a battu les records cumulés de Senghor et Diouf au Sénégal avec 40 ans à la tête de la Guinée-Équatoriale. José Eduardo dos Santos : le seul président de l’Angola depuis l’Independence en 1975, soit près de 40 ans de règne jusqu’à son départ. Paul Biya règne au Cameroun depuis la démission du président Ahmadou Ahidjo  en 1982, soit 38 ans maintenant. Yoweri Museveni, gouverne l’Ouganda depuis 1986, soit 34 ans. Robert Mugabe a régné près de 30 ans à la tête du Zimbabwe depuis 1987 jusqu’à presqu’incapacité. Omar el-Béchir dirige le Soudan depuis son coup d’Etat contre Sadeq al-mahdi en 1989, soit 29 ans de pouvoir.  Idriss Déby Itno a littéralement chassé Hissen Habré du pouvoir tchadien après un coup d’État en 1990, soit 30 ans de règne aujourd’hui. Depuis 1993, Isaias Afewerki règne de main de maître sur l’Érythrée, soit 27 ans de règne sans partage. Le cas le plus récent est celui d’Abdelaziz Bouteflika, symptomatique des présidents qui cherchent à s’éterniser au pouvoir, puisqu’après son élection en 1999, il avait supprimé la limitation de mandat avec un plan de règne à vie qui a échoué après 20 ans de règne en Algérie, grâce à la détermination du peuple algérien. La liste n’est pas exhaustive. Certains ont été chassés du pouvoir, d’autres ont été contraints au départ et pour d’autres encore, c’est le mépris total du peuple pour ces dirigeants sans respect de la démocratie, c’est-à-dire de la volonté populaire ici.  Tous ces présidents qui se sont fossilises au pouvoir ont davantage noyé leurs peuples qu’ils ne les ont servi avec autant d’années de règne favorisant, la gabegie, le népotisme, le clientélisme politique, la gouvernance catastrophique, le culte de la personnalité, le vol effronté, la corruption sans gêne, bref les maux exploseront les memos.
Cher Abdoulaye, la partie de votre message qui me choque et choque forcément tout sénégalais et tout africain ayant marre des présidents qui se fossilisent au pouvoir, et donc désireux de changement, c’est votre tentative de justification de la non-limitation du mandat du président de la république. Pour vous « aucun chef d’État ne peut réaliser de grandes choses s’il n’a pas le temps nécessaire pour mettre en œuvre ses projets et programmes ». Cela est d’autant plus choquant que vous êtes ancien énarque, c’est-à-dire que vous avez été formé à l’administration publique, mais même ceux qui ignorent tout de l’administration et de son fonctionnement le plus basique, savent que l’État c’est la continuité. C’est l’une des règles les plus élémentaires de l’administration que tous les énarques apprennent. C’est justement cela qui augmente la déception d’Amadou Moustapha Sakho qui, naïvement, croyait que ceux qui ont été formés à la haute administration ne seront pas capables de certaines légèretés. Mais à quelle fin ?
Cher Abdoulaye, mon choc a donné lieu à une sorte de consternation quand vous dites au journaliste de mettre à la Une que vous Abdoulaye Makhtar Diop demandez la non-limitation du mandat du président de la république. En tant que député, ne vous est-t-il pas plus facile de porter une proposition dans ce sens, surtout que vous êtes même un des vice-présidents de l’Assemblée nationale? Pourquoi demander au journaliste d’écrire à la Une votre souhait lorsqu’on sait que vous avez le pouvoir de le faire vous-même en tant que député? Est-ce là que vous voulez aboutir ? Nul ne sera alors surpris, puisqu’en pareille matière, les initiatives les plus controversées ne sont souvent pas portées par les membres du parti du président, mais par des alliés en quête de graal, même si ce graal peut devenir  une gale pour le Sénégal.
J’aimerais bien avoir votre réponse à certaines questions que j’ai soulevées, et puisque vous dites être ouvert à la critique, j’aurai grand plaisir à débattre de cette matière de façon contradictoire avec vous, quel que soit le canal qui vous conviendra le mieux, si bien sûr vous me l’accordez.  Bien des choses à vous cher Abdoulaye, cher grand serigne, honorable député.
Yankhoba SEYDI,  
Secrétaire National aux Relations Internationales et Directeur de l’École du parti (Rewmi)