NETTALI.COM- Le Barreau du Sénégal a 60 ans depuis le 3 septembre 2020. A l'occasion de ce soixantenaire, le Bâtonnier de l'ordre des avocats du Sénégal, Me Papa Laïty Ndiaye a jeté un regard critique sur le fonctionnement de la Justice. C'est à travers une grande interview accordée au quotidien national Le Soleil.

Le Bâtonnier s'est prononcé sur la crise dans la magistrature avec des accusations de corruption entre les juges Ousmane Kane et Yaya Amadou Dia.

Crise magistrature

" Je ne vois pas en quoi des acteurs de la Justice qui s'attaquent dans la presse, dans les réseaux sociaux, peut avoir un lien avec l'indépendance de la justice. Cela dit, je regrette que des membres de la même éminente profession aient des querelles qui débordent de cette façon sur la place publique, de surcroît avec des accusations graves qui sont de nature à ternir l'image et la crédibilité de la justice. Le Garde des Sceaux a donc bien fait d'ouvrir une enquête et j'espère que cette enquête permettra de connaître les vraies raisons de cet échange. Comme l'a dit mon prédécesseur, le Bâtonnier Mbaye Guèye, il faut que les gens se ressaisissent pendant qu'il est encore temps. J'espère que les acteurs en prendront conscience.
Au delà de cette affaire, Me Ndiaye a été interpellé sur l'indépendance de la Justice d'une manière générale.

Débat sur l'indépendance de la Justice

"J'attends d'abord de la Justice qu'elle soit impartiale. Dans le débat qui est porté sur la place publique, il y'a une revendication qui est nodale, c'est celle qui consiste à dire qu'on doit couper le cordon ombilical entre l'Exécutif et le Judiciaire. Cela peut se concevoir. Disons que c'est une idée qui se défend, mais on en oublie que le pourcentage de dossiers qui intéresse ou peut intéresser l'exécutif n’est pas forcément élevé. Régler ce problème ne saurait donc se résumer à exclure le président de la République et le ministre de la Justice du Conseil supérieur de la magistrature. Je trouve que cette lecture est un peu simpliste.
Pour résumer, j'attends de la Justice qu'elle soit impartiale, ce qui signifie être indépendante, mais pas que du pouvoir politique, du pouvoir exécutif.
Il faut se souvenir de cette phrase de Robert Badinter : « L’indépendance est un statut, l’impartialité, une vertu », a dit Me Ndiaye.

Évaluation règlement N°5 de l'Uemo

Sur l'application du règlement N°5 de l'Uemo, le " patron des avocats " déplore le refus des policiers et gendarmes enquêteurs.
" Je n'ai pas de statistiques. Ce dont je peux vous parler, ce sont les retours que j'ai. Les confrères ont encore d’énormes difficultés pour faire appliquer ce texte. On est dans une forme de survivance des vieilles traditions. Un ancien bâtonnier aimait à nous dire à nous, jeunes avocats, : « N'allez jamais dans les commissariats de police, n'allez jamais dans les brigades de gendarmerie parce que les policiers et les gendarmes sont arrogants». Sans aller aussi loin dans l’invective, je mentionnerai qu’effectivement, l'avocat, dans la procédure pénale et à notre grand regret, est conçu comme une espèce de poil à gratter, un empêcheur "de torturer en rond", un empêcheur de violer la loi en rond ", explique le Bâtonnier.

Et de poursuivre : " Sous ce rapport là, il va sans dire que nous ne sommes pas toujours les bienvenus, dans les commissariats de police et les brigades de gendarmerie, même s’il y'a des avancées significatives. On m'a cité des commissaires de Police et des commandants de brigade qui sont sensibles, très respectueux des droits de la défense et donc du règlement n°05/CM/UEMOA".

" Porter-presse"

La tendance de ses confrères à "plaider" leur dossier devant la presse au mépris du règlement a été dénoncé par le Bâtonnier.
" Il est vrai que les avocats interviennent dans l’espace public ; ce qui n’est pas forcément une mauvaise chose. Toutefois, je ne crois pas que cela puisse être directement qualifié de manque de confiance en la justice. On est au siècle de la communication. Aujourd'hui, tout est sur la place publique et les gens qui sont concernés par les affaires judiciaires sont aussi interpellés sur une bataille d'opinion. Dans cette bataille d'opinion, ils ont parfois besoin de ressources humaines. Et c'est pour cela qu’ils font appel à des avocats", souligne  Me Ndiaye.
Et d'ajouter pour le déplorer : " Par tempérament, demander à un avocat de ne pas parler me cause quelques fois des scrupules. La limite objective que je vois à cette liberté est malheureusement d’ordre textuel. Nous avons, en effet, des règles écrites et des usages quelquefois anciens, qui ont jusqu'ici fait le bonheur et l’honneur de la profession. Il est regrettable que certains d'entre nous s'en écartent allègrement, malgré les rappels qui leur sont adressés. Nous avons un règlement intérieur qui prévoit que lorsque des affaires sont en cours, l’avocat ne peut par exemple pas participer à des débats télévisés, sans l'autorisation du Bâtonnier. Quand l’avocat demande l'autorisation du Bâtonnier, il doit lui fournir le maximum d’information sur le format de l’émission. C’est la lettre des articles 25 et 26 de notre règlement intérieur".