NETTALI. COM - Grand frère, je sais, cette fois-ci, je n'aurai pas, hélas, ma réponse préférée qui me mettait tant de baume au cœur.
Avec cette voix rassurante et si délicate tu aimais répondre à mes adresses fraternelles : «petit frère, comment  vas-tu, et la famille?»
Comment pourrais-tu réagir à mon ultime apostrophe?  Tu t'es emmuré depuis ce lundi 15 juillet 2019, dans un silence éternel.
Tu es parti, loin de chez toi, de ta terre natale que tu as tant aimée. Tu es parti, comme pour imiter cet oiseau du poète qui se cache pour mourir.
Tout le pays, ton « jeune frère » en particulier, t'imagine difficilement étendu au fond d'une tombe inerte et attendant sans aucun doute de te retrouver dans une demeure auprès de celle du Prophète (PSL). Et pourtant, il va bien falloir s'y résoudre. Ousmane, c'est au moment de clore la prière dans la mosquée de ton village natal que je me suis adressé à toi, pour une dernière fois. Et  ce fut précisément au moment où je concluais le «fidawou» que je te devais.
Nous étions partis de Dakar avec le Chef de l'Etat,  venu t’accompagner, avec une forte délégation pour ton repos éternel. Ainsi, en roulant vers Nguéniène, j'observais le paysage qui se dénude sous nos yeux.
Tout dans cet univers, dans ce paysage vert et luxuriant, a momentanément aidé à adoucir la peine des cœurs et des âmes, jusqu'à notre arrivée au village. Un paysage nous rappelant cette ruralité dans laquelle tu as baigné et grandi. Cette ruralité qui a, sans aucun doute, forgé ton caractère d'homme droit, entier et qui a su placer le travail au rang de culte.  Une ruralité qui a été d'un apport indéniable dans la construction de ta brillante carrière professionnelle et politique. Une ruralité qui, loin,  d'avoir été un handicap dirimant dans ta vie, a, au contraire, pu jouer comme un atout majeur dans la manière par laquelle tu as su intégrer en toi une urbanité intelligente  indispensable à la conduite d'une vie comme celle que tu as vécue et assumée avec un grand bonheur dans l'action publique. Jamais tu n'as été loin de tes racines. J'ai fait le parcours vers le village avec des collègues ministres, des jeunes, des moins jeunes et des anciens comme moi, nous venions ensemble de suivre une heure auparavant, l'hommage national qui a été rendu, sous la direction du Chef de l'Etat, à l'homme d'Etat. Hommage rendu à «l'enfant de la République qui restera toujours un enfant de la République».
Hommage à l'attention du haut fonctionnaire, du cadre intransigeant avec les règles. Règles et coutumes de la République à laquelle tu te seras dévoué pour plus de quarante ans de ta brillante vie active.
En entrant dans ton royaume d'enfance, Nguéniène en cette fin d'après-midi du mercredi 17 juillet, nous avons été partout accueillis par des haies humaines. Nous avons vu de nombreux enfants dans chaque village traversé.  Au-delà de la curiosité liée à l’âge, car baignant encore, pour la plupart d'entre eux,  dans  l'innocence et l'insouciance de l'enfance, nous pouvons croire que la présence de ces jeunes sur notre parcours, sur le chemin du cortège funèbre, marque à notre avis un symbole, Elle est surement le marqueur  d'une communion, celle d'un terroir avec l'enfant prodigue de  la localité, ayant su sortir de l'anonymat et de l'oubli son village.
Tu as en effet incarné pendant plus de deux décennies cette bourgade de Nguéniène pour la faire connaître dans le pays et la poser ainsi sur la carte politique du Sénégal. Je me suis vite senti proche de toi, tu as été présent en moi, car j'ai toujours retrouvé en moi cette fierté d'un homme pétri dans les valeurs de la vie paysanne et que tu incarnais si discrètement. Et celle-ci a su créer en toi une alchimie féconde avec d'autres valeurs  extérieures à ton milieu d'origine pour faire de toi ce que tu es devenu. Un grand homme. Un cadre de dimension exceptionnelle  La mosquée de Nguéniène et les rues ne pouvaient contenir le monde qui est arrivé chez toi pour t'accompagner.
En cette période de canicule un vent frais balaie Nguéniène littéralement envahi de monde et qui n’a jamais peut être enregistré l’arrivée d’autant de véhicules même du temps de ta splendeur politique. Le climat se rend ainsi complice de la circonstance, comme pour s’associer à sa manière au deuil et à la peine des humains.
Le Soleil qui enjambe l'horizon et termine ses pas de la journée ajoute à la douleur de l'événement. Tout est subitement triste et mélancolique. La boule de feu qui s'éloigne de nous indique l'approche de la prière du début de soirée, un instant hautement propice pour rendre encore plus vive la tristesse des hommes.
Le moment sonne en même temps l'heure de ton départ imminent vers la destination sans retour. Je note la présence de toutes les familles religieuses du pays: de Touba à Ndiassane, Thiénaba en passant par Tivaouane, sans oublier Kaolack... Elles sont toutes présentes ces familles. Leur arrivée traduit bien la vie que tu as menée en excellente harmonie avec elles et la profondeur ta foi musulmane. L’Eglise est également là et témoigne aux côtés des religieux musulmans de ton approche œcuménique de la vie en société. Eh oui Ousmane, ceux qui te connaissent bien ne me démentiront pas, car il savent bien de quoi je parle. Je n'en oublie pas les familles politiques. Et tu as ainsi aidé, même si ce fut dans un laps de temps, à faire transcender tous les clivages factices et vaniteux qui font tant de mal à la politique et à l'image des hommes et femmes politiques de notre pays. Et pourtant ceux et celles-là sont plus solidaires et plus que ne laissent apparaître leurs discours enflammés et exclusifs parfois.

Ousmane, on saisit bien encore plus la place d'un homme et sa place dans la société une fois rappelé à Dieu. Tu es parti dans la discrétion et de façon surprenante pour beaucoup comme moi. Je n'ai pu m'empêcher d'écraser des larmes quand l’Imam a appelé à la prière mortuaire. J'étais peiné. J'avoue, d'entendre les responsables de la mosquée solliciter le silence de l'assistance pour procéder à la prière qui sonne l'heure de vérité. Il faut faire avec ce bruit, c'est ta dimension exceptionnelle qui l'explique. Ousmane, tu reposes désormais dans la demeure familiale aux cotés de ton père. C'est aussi ici que la foule et les hauts dignitaires du pays t'ont rendu l'ultime hommage dû à un Homme de ton rang.

Ton ami Ibrahim Boubacar KEITA, Président de la République sœur du Mali est venu jusqu'ici à Nguéniène avec le Chef de l'Etat Macky SALL ému et profondément touché par la perte d'un homme avec qui il a cheminé depuis 2012 dans la loyauté et la franchise. Il a beaucoup apprécié a-t-il dit, votre alliance fondée sur une volonté de servir avec détermination et patriotisme la nation que nous avons tous en partage. Grand frère, pour tout le service rendu à la Nation, à ta communauté et aux anonymes, ton petit frère te souhaite, stoïquement, un repos éternel auprès des Prophète (PSL).

Ton petit frère qui se souviendra  toujours, quand après quelques mois passés au  Ministère de la Culture, tu  lui annonças, que désormais, tu l’appellerais : « Notre Malraux national ». Il refusa naturellement net la proposition, mais ne manqua pas de saisir le sens de l’idée qui était derrière. Celle-ci n’était, en réalité, rien d’autre,  qu’une ’invite à redoubler d’efforts dans le difficile travail de construction d’une esthétique et d’une authentique identité culturelle nationales.

Mon cher grand frère, pour avoir servi sous le président Léopold Sédar Senghor nul n’était mieux placé que toi pour saisir quelle importance attachée à cette esthétique et à cette identité culturelle dans la perspective d’un combat engagé pour le développement et ayant naturellement pour finalité l’humain.

Abdou Latif Coulibaly