NETTALI.COM - Le président de la république Bassirou Diomaye Faye n’aura pas beaucoup chômé, durant cette tournée économique du 20 au 25 décembre dans le sud du pays. Une visite que le chroniqueur Ibou Fall juge d’ailleurs tardive estimant, non sans une pointe d’exagération, que le chef de l'Etat aurait dû l'entamer dès le 1er avril. Il est vrai que le journaliste expérimenté et bon connaisseur des faits politiques n'a pas cessé, à longueur de chroniques, de lui prodiguer ce conseil qui consiste à parcourir le Sénégal des profondeurs afin de s’enquérir des problèmes des Sénégalais, de manière à mesurer les vrais enjeux de développement des terroirs.
C'est désormais chose faite puisque Bassirou Diomaye Faye, durant ces cinq jours, a procédé à des visites de chantiers, appelé à un retour de la paix, lancé des travaux, promis des infrastructures et abordé des questions de développement industriel, avec à la clef des retombées socio-économiques.
A Tanaff par exemple dans la région de Sédhiou, il a procédé au lancement officiel des travaux de la route Sandiniéri-Tanaff-Frontière Guinée-Bissau, longue de 26,4 kilomètres, pour un coût global de 23,818 milliards FCFA. Soit le premier grand chantier routier engagé par le nouveau pouvoir depuis son installation et qui s’inscrit dans la phase 1 du corridor Bissau-Dakar, un axe stratégique censé renforcer l’intégration économique sous-régionale et désenclaver le Pakao, l’une des zones les plus enclavée du sud du pays.
Un chantier qui devrait générer entre 500 et 600 emplois, un argument régulièrement avancé dans des territoires marqués par la précarité et l’exode. Le projet s’inscrit dans le Plan de Développement intégré de la Casamance, avec des actions annoncées en faveur de l’autonomisation des femmes, de la réhabilitation d’écoles et de l’aménagement de périmètres maraîchers.
Dans le département de Goudomp, le président Diomaye a visité l’hôpital militaire de campagne, une structure sanitaire de niveau 2 qui, en quelques jours, a enregistré plus de 1 100 consultations et plusieurs interventions chirurgicales, contribuant à limiter les évacuations sanitaires.
A Sengher-Diola, village marqué par plus de quarante ans de conflit en Casamance, le chef de l’État a réaffirmé l’engagement de l’État à accompagner le retour des populations déplacées à travers le Plan Diomaye pour la Casamance. Un déplacement à forte charge symbolique, dans une région où les populations jugeront le nouveau pouvoir moins sur les discours que sur la continuité, la transparence et l’achèvement réel des chantiers annoncés.
Le président de la république a aussi annoncé l’inscription d’un budget complémentaire de 41 milliards dans la loi de finance en faveur de l’agropole du sud qui vise un taux de transformation de 60%, 14 500 emplois directs et 35 000 emplois indirects. De même qu’il a effectué la pose de la première pierre du lycée Nation-Armée pour la Qualité et l’Equité (Lynaqe) de Ziguinchor, d’un coût d’un peu plus de 10,107 milliards.
L’État va également faire faire une étude de faisabilité sur la construction d’une autoroute entre Ziguinchor et Cap Skirring, à l’issue d’audiences accordées aux élus et aux leaders politiques locaux. Mais en attendant, l’État va faire faire des travaux d’entretien de la route reliant Ziguinchor et Cap Skirring, qui s’est fortement dégradée à cause d’un trafic intense, a-t-il dit, promettant "une réhabilitation complète" de cet axe routier. Une route essentielle pour le désenclavement des régions du sud du pays, selon lui.
Une absence de Sonko qui fait jaser
Une tournée économique du président Diomaye que d’aucuns ont qualifié de sobre et qui marque une rupture par rapport aux tournées de ses prédécesseurs fortement caractérisées par le folklore et les mobilisations politiques. Mais quelque sobre qu’elle puisse être, il sera bien difficile de ne pas poser l'équation du niveau de popularité du président de la république que d'aucuns lient forcément à la question de la mobilisation des foules. Et ce n’est pas un hasard si cette question et celle de l’implication du parti Pastef à l’accueil du chef de l'Etat, a été vite posée, même bien avant la visite du PR.
Rappelons qu’Ousmane Sonko avait, dès le 11 décembre, en conseil des ministres, appelé à un accueil chaleureux, annonçant cette tournée économique comme "une tournée importante, avec des inaugurations, des lancements de nouveaux projets, mais aussi une occasion pour communier avec les populations".
Un appel qui a finalement plutôt relevé de l'effet d'annonce que de la vraie volonté de mobilisation, puisqu'à l’arrivée la recommandation du leader du Pastef n’a pas été suivie. Si des ministres, de par leurs domaines compétences (Forces armées, santé, Infrastructures, intérieur, etc ), étaient obligés d’être présents, se pose toutefois la question de l’absence du Premier ministre qui, la plupart du temps, était présent aux manifestations présidées par le PR. Que cela soit lors de la récente levée des couleurs avec la réception des pupilles de nation au palais, la fête des armées (malgré les congés d’Ousmane Sonko), lors de la journée de la diaspora, le forum de l’investissement (Fii), la journée du tirailleur, etc, il était là, comme si l'on avait affaire à un marquage à la culotte.
Comment le PM a-t-il pu s’absenter de la tournée économique du président ? Une tournée de surcroît effectuée dans son fief où il a été maire ?
Le fait que les militants n’aient pas répondu à l'appel de ce PM à qui on obéit au doigt et à l’œil dans la galaxie pastéfienne, a réveillé d’autres supputations et fait jaser sur un différend qui s’exacerbe.
Illusion des foules V obsession des foules
Au-delà, ceux qui croient que sans une foule massive, une visite d’un chef d’Etat fût-elle économique, est nécessairement un flop, doivent revoir leurs copies. Il est vrai que dans un univers politique marqué par une grande obsession pour la foule, une mobilisation réussie prend tout son sens. C’est pourquoi, même si ailleurs dans le sud, c’était le calme plat du point de vue de l’accueil, le fait que le président de la république ait été accueilli par une mobilisation populaire impressionnante, dans certaines localités par exemple comme Goudomp, sur fond d’ambiance festive, mêlant chants, danses traditionnelles et pancartes de bienvenue, a été relevé par quelques quotidiens certainement pour relativiser les commentaires sur le sujet selon lequel le supposé boycott a fonctionné partout.
Le chroniqueur Ibou Fall lui, ne juge pas la foule très importante pour un président de la république. « Celui qui a besoin d’être applaudi, assure-t-il, c’est celui qui ne détient pas le pouvoir. Le président de la république n’a pas besoin de ça, il a besoin de produire des résultats et de prendre de bonnes décisions. C’est celui qui a besoin d’électeurs qui a besoin d’être applaudi et de se jauger. Le président de la république qui exerce le pouvoir, pour moi, c’est très bien qu’il arrive et qu’il ne soit pas applaudi et qu’il se concentre sur son travail. Il n’a pas besoin du folklore. Le problème des sénégalais, ce n’est pas le folklore qui va les régler », a fait remarquer Fall. Un argument toutefois à relativiser au regard du contexte puisque le président de la république s’est inscrit dans une logique de tisser un réseau de soutien à côté de celui de Pastef.
A la vérité, la mobilisation d’une foule, même si elle peut être un bon préjugé de popularité, ne saurait toutefois pas être un baromètre suffisant qui se répercuterait conséquemment dans les urnes. Qui était plus populaire que Me Wade ? L’on se rappelle de cette veille d’élection de 2012 durant laquelle, soutenu par feu Cheikh Béthio Thioune, les sources du Parti démocratique sénégalais tablaient entre 1,8 et 2 millions de personnes ayant assisté au meeting du président de la république organisé par son parti. Mais à l’arrivée Abdoulaye Wade a été battu par Macky Sall. De toute évidence, les hommes politiques d’envergure sont toujours une curiosité dans nos pays avec des populations toujours attirées par les rassemblements lorsqu’elles ne sont pas mobilisées à coup d’espèces sonnantes et trébuchantes. Mais nul doute qu’ils arrivent toujours à mobiliser surtout lorsqu’ils sont au pouvoir.
Qu'on le veuille ou pas, cette tournée économique a forcément eu une connotation politique, puisqu’au-delà des visites de chantiers et autres projets industriels et économiques, le président de la République a rencontré les élus de la Casamance, reçu en audience presque tous les élus des régions de Ziguinchor et de Sédhiou, sans distinction : maires et président de conseil départemental. Selon les services de la Présidence, cette rencontre a permis des échanges approfondis avec les maires et responsables territoriaux. “Les élus ont partagé les préoccupations de leurs collectivités, les attentes des populations ainsi que les priorités en matière de développement économique, social et de désenclavement, tout en saluant cette démarche de dialogue direct”, s’est félicité les services de com de Diomaye Faye. Puis ce fut le tour des élus et militants du Pastef.
Le président de la République a également rencontré les députés et coordinateurs communaux de son parti, dans un contexte marqué par des divergences profondes. Des rencontres qui se sont tenues toutefois loin des projecteurs des médias et qui permettent de développer des relations de proximité, gages d’un gain de notoriété qui impacte sans aucun doute la cote de popularité d’un président qui est allé au contact des élus, leaders d’opinion, acteurs économiques, sociaux, culturels, religieux, etc qui peuvent être de puissants relais auprès des populations. Pour les populations aussi en nombre plus réduit, rencontrer et approcher de plus près un chef de l’Etat, a quelque chose qui relève du mythe et qui prouve que celui-ci leur voue de la considération et n’est pas indifférent à leur sort.
N'oublions toutefois que Bassirou Diomaye dispose d’atouts formidables : il est poli, pondéré, attentif, à l’écoute . On l’a par exemple vu saluer des personnes âgées, leur demandant de ne pas retirer leurs bonnets, en le leur remettant dans la foulée gentiment et respectueusement. C’est ce côté humble et respectueux qu’il a, qui séduit.
Une visite qui lui fera indéniablement gagner des dividendes politiques qu’il gagnerait à étendre sa tournée économique à l’ensemble du pays, surtout depuis que la bataille du renforcement de sa coalition est lancée.
L’ombre de la très combattive trotskyste, Aminata Touré, dotée d’une grande expérience politique, en plus de ne pas être une novice en politique, a en tout cas beaucoup plané. Celle-ci a en effet rejoint Landing Savané en 1993 après avoir été sa directrice de campagne, a assumé des postes de ministre de la justice, Premier ministre, envoyée spéciale, Présidente du Conseil économique, social et environnemental, directrice de campagne sous Macky Sall, jusqu’à son soutien public, en plein meeting du Pastef durant les périodes d’opposition, au terrain d’Acapes ? La coordonnatrice actuelle de la coalition « Diomaye président » est en tout cas en train de dérouler. Elle a par exemple récemment informé les membres de sa formation politique que leur quartier général situé sur la Voie de dégagement Nord (VDN), face au cimetière Saint Lazare, sera “bientôt totalement fonctionnel”. Une annonce qui intervient alors que la coalition, qui a porté Bassirou Diomaye Faye à la présidence en mars 2024, est en pleine restructuration.
La relation Diomaye Faye-Ousmane Sonko est devenue bien trop ambiguë, avec un programme de gouvernance qui semble de plus en plus manquer de cap et de lisibilité. Car, entre les sourires de façade, les images sur lesquelles on voit les deux ensemble, tantôt dans une complicité feinte, tantôt en désaccord réel, sur fond de restructuration de la coalition de Diomaye et de fixation d’un objectif d’un million de nouveau adhérents côté Ousmane Sonko, l’on ne peut pas ne pas se demander à quoi tout cela rime. La réalité qui se donne à voir est des désaccords masqués et une rivalité qui grimpe. D’entendre par exemple Ousmane dire un jour qu’il y a pas de nuages, parler de « clarifications » pour par la suite, revenir nous servir qu’il y’ a des problèmes, prouve qu’il y a un vrai malaise.
Et même si le Premier ministre du gouvernement donne l’impression d’avoir mis de l’eau dans son vin, ses critiques contre Diomaye ayant baissé d’intensité depuis la fameuse « séance de clarifications », il reste évident qu’il se projette activement déjà sur 2029, surtout que récemment ses avocats se sont déjà inscrits dans une logique de révision de son procès qui pose moult équations. Sent-il sa candidature à ce point menacée qu’il veuille ôter tout risque d’être inéligible au dernier moment ? Ou cherche-t-il juste à laver son honneur ? La dernière raison serait bien étonnant en effet.
Des attaques par partisans interposés dans les deux camps
De toute évidence la guerre des tranchées est en train de s'exacerber avec des positions qui semblent de plus en plus inconciliables. Si Mimi Touré et Abdourakhmane Diouf ont été les cibles à abattre, sur fond de cafards liés à leur gestion déterrés depuis le Téra meeting, Cheikh Bara Ndiaye, ce défenseur de Sonko devant l’éternel, lancé dans une opération de destruction de l’image du président, ne rate plus aucune occasion pour le critiquer publiquement et sans retenue.
Dans le camp de Diomaye Faye, son chef de cabinet, Abdoulaye Barro, un parfait anonyme, sorti récemment des bois, est désormais dans la bataille médiatique et s’est inscrit dans une logique de rétablir des faits politiques historiques qui tendent à attribuer un rôle mineur au président de la république dans le combat de Pastef, en le présentant comme redevable à Sonko, à tout point de vue. De même Bougar Diouf qui colle Sonko aux basques, ne rate aucune occasion pour rappeler les règles de l’orthodoxie républicaine trop bafouées à son goût par le Premier ministre. Pour ne rien arranger, l’image du siège de « Diomaye président » qui circule dans les réseaux sociaux et reprise par des médias de la place, sans oublier l’info attribuée à Madiambal Diagne selon laquelle, deux ans de loyer ont été déjà pays, sont venues augmenter le courroux des Pastéfiens qui sentent un Diomaye déterminé à poursuivre la construction de sa coalition. C’est pourquoi, ils ne se gênent même plus pour qualifier Diomaye de « traître », tout en minimisant son rôle dans le combat pour l’érection du projet, dans la création de Pastef.
Le point de départ de ce différend entre les deux têtes de l’exécutif, Bassirou Diomaye Faye et Ousmane Sonko, le chroniqueur Ibou Fall semble le situer au moment des législatives. « Diomaye, le président sait qu’il ne peut plus compter sur Pastef depuis les législatives, lorsqu’Ousmane Sonko a dit qu’il partait aux législatives avec la coalition Pastef et qu’il n’y avait aucun député sur lequel Diomaye pouvait se reposer, je pense que c’était la déclaration de guerre », a fait remarquer celui-ci.
Une relation de plus en plus ambiguë
Une relation entre les deux qui se complique de jour en jour. La démonstration de force du leader de Pastef de l’après Téra meeting du 8 novembre, n’aura pas réussi à ébranler le président de la république qui n’a, selon Bara Ndiaye, le nouveau microphone de Pastef, fait aucune concession. En lieu et place de réponses aux attaques, Diomaye Faye, l’homme très peu porté sur la polémique avec sa nature introvertie qui le rend insondable et même imperturbable, se contente de poser des actes. Ce qui est de nature à jeter un froid bien glacial dans la galaxie pastéfienne qui semble de plus en plus déroutée et plongée dans le doute quant à la poursuite de la gouvernance. D’ailleurs, aujourd’hui, beaucoup qui doivent leur poste à un décret présidentiel, sont emmurés dans le silence et n’osent pas trop la ramener. Même la sortie de Khadija Mahécor Diouf qui demandait aux responsables pastéfiens de se déterminer, n’y fera rien. Pas de mots de trop et encore moins de commentaires maladroits ou incontrôlés.
Cette dualité au sommet de l’Etat ne présage en tout cas rien de bon si ce n’est une dissonance dans le temps avec un gouvernement de ministres pro Diomaye et pro Sonko.
La question est de savoir au-delà, si Ousmane Sonko et Diomaye Faye ne risquent pas d’être tous les deux des candidats rivaux en 2029 ? Le président de la république qui voulait que Sonko lorgnât son fauteuil, n’en parle plus et pense que Sonko sera peut-être président et prie d’ailleurs pour… A la vérité, Diomaye Faye ne sait même pas s’il sera vivant en 2029. Sacré président Faye, c’est le métier qui est en train de rentrer. Une réponse à la Macky Sall, mais même bien plus ambiguë que le « ni oui, ni non ». Sacrés politiciens quand le virus de la politique pénètre jusqu’à un certain niveau, ils se métamorphosent vite et détiennent de plus en plus de tours dans leur sac.
Ibou Fall qui pense que Diomaye ne peut plus compter sur le Pastef, a fait le commentaire suivant : « s’il veut gouverner, il a besoin d’une base politique dans tout le Sénégal qui va lui servir de relai et qui l’accueille et qui fait le travail au niveau local. Il est obligé sauf s’il a l’intention rendre le pouvoir d’ici 1 ans ou 2. S’il veut par contre aller jusqu’en 2029, il a besoin d’une base affective. Il ne peut plus compter sur Pastef. Il va compter sur Diomaye président. » Rappelant le dialogue organisé sur les institutions, il n y a guère longtemps, Ibou Fall estime que pour lui, c’était un casting. « Il sait le jour où il aura besoin qui sera là pour le secourir. Je pense que ça va être une coalition tout le monde contre Pastef. »
Une affaire dans laquelle les deux n’ont pas encore dit leur dernier mot et qui est donc à suivre.






