NETTALI.COM - C’est un véritable camouflet qu’a subi le ministère de la communication, suite à l’annulation des arrêtés n°017412 du 29 juillet 2024 et n°024462 du 1er octobre 2024 du ministre de la Communication, des Télécommunications et du Numérique par la Cour suprême, consécutive à un recours de D média, Zik FM, Sen TV, 3M Universel, E-média Invest, AFRICOME SA, Groupe Sud Communication, EXCAF, Groupe Futurs Médias. La Première chambre administrative de la Cour a en effet estimé que le ministre Aliou Sall a violé la Constitution et le Code de la presse en vigueur.
En effet, selon le motif, en soumettant toutes les entreprises de presse, sans distinction, à l'obligation d'enregistrement prévue à l'article 68 du Code de la Presse et en renvoyant à des sanctions autres que l'inéligibilité aux avantages accordés par l'État, “le ministre a usé de son pouvoir réglementaire pour imposer aux entreprises de presse des obligations qui ne sont pas prévues par la loi”.
Il faut sans doute le préciser, le 1er octobre 2024, le ministre a mis en place une plateforme numérique pour l'identification des entreprises de presse. Une décision qui a évidemment des conséquences majeures car elle implique la disparition des nouvelles procédures. En effet, la plateforme numérique pour l'identification des entreprises de presse n'a plus de raison d’exister légalement et les entreprises de presse ne sont plus tenues d'utiliser cette plateforme pour se faire reconnaître ou s'enregistrer.
Au-delà de la plateforme et de la commission de validation des entreprises de presse, le dépôt des demandes au niveau du Fonds d’Appui et de développement de la Presse (FADP) est concerné, selon Mamadou Ibra Kane, le président du Conseil des diffuseurs et éditeurs de presse du Sénégal (Cdeps) qui dénonce d’ailleurs le “détournement d’objectifs et la distribution de fonds publics sans aucune base légale” concernant le déblocage de fonds pour le Cored, la Commission de la carte nationale de presse et la Maison de la presse.
Il y a, dénonce-t-il, une répression continue et féroce contre la presse indépendante qui se résume en une volonté d’asphyxie fiscale de la presse, de rupture unilatérale et illégale des contrats publicitaires liant l’État et les entreprises privées de presse, de confiscation de bouquets télévisuels et de coupures de signal, de blocage de la subvention aux médias depuis deux ans, d’exclusion de la presse privée des manifestations publiques et des délégations à l’étranger (qualifiée d'hérésie du parti-État).
Autant de pratiques observées depuis l’arrivée du régime actuel que dénonce le Cdeps. Qui regrette aussi les conséquences humaines. En effet, elle a relevé qu’après 21 mois, des milliers de travailleurs des entreprises de presse ont perdu leurs emplois, du journaliste au coursier, des familles sont plongées brusquement dans la pauvreté, les ménages sont disloqués, des enfants sont sans scolarité, ni couverture médicale.
Une perte de temps monumentale, des conséquences économiques sociales dramatiques en somme et de l’agitation pour rien au finish.
Et les députés s’en mêlèrent
Ce n’est donc pas un hasard si lors du vote du budget du ministère de la communication, des députés ont pris fait et cause pour la presse. Pape Djibril Fall, lui-même jeune journaliste, a en effet estimé que le rôle de l’État n’est pas d’écraser les employés ou d’aggraver la précarité des journalistes, mais de veiller à la stabilité des emplois dans le secteur. Il alertait ainsi sur la situation des journalistes au Sénégal qui, selon lui, subissent les “dégâts collatéraux”, insistant sur le fait que ces victimes sont souvent des jeunes et des femmes, des employés qui n’ont aucun rôle dans les tensions entre l'Etat et le patronat des médias, tout en informant que certains d'entre eux n’auraient pas perçu de salaire depuis six mois.
De son côté, le député Mbaye Dione a fermement exhorté le ministre de la Communication à payer à la presse les arriérés que l'État lui doit. " Payez à la presse sénégalaise l’argent que vous lui devez. Après cela, vous êtes libres de ne pas signer les conventions ", a martelé le député de l'opposition qui n’a pas manqué de rappeler la promesse faite par le Président de la République, lors de la cérémonie du 4 avril, de procéder au règlement de la dette due, tout en insistant sur la nécessité d'effectuer ce paiement sans condition préalable.
Le député de l’AFP n’a pas également manqué de mettre en évidence le rôle essentiel joué par la presse privée, qui selon lui, effectue une mission de service public, sans toutefois omettre de faire remarquer un engagement particulièrement prouvé durant des crises sanitaires comme la Covid-19. Mbaye Dione a ainsi déploré que le Fonds d’appui à la presse, bien que voté par l’Assemblée nationale, n'ait toujours pas été distribué. Il a demandé au ministre de respecter la loi relative à ce fonds, d'assurer une distribution équitable et d'associer les organisations professionnelles, notamment le CDEPS, aux discussions sur sa gestion.
Même le député du parti Pastef, Oumar Sy, s’y était mis, en délivrant un message à la fois ferme et conciliant sur la situation actuelle de la presse sénégalaise. Abordant la question sensible de l’aide à la presse, Oumar Sy avait demandé une accélération du processus afin de respecter les critères légaux. Sy a aussi évoqué la question des conventions héritées du régime précédent, estimant que si certaines prestations ont été effectivement réalisées et dûment prouvées, “on peut s’arranger à effacer l’ardoise et repartir sur de nouvelles bases”.
Avec ce nouveau régime, les activités de la presse sénégalaise n’ont été jamais été un long fleuve tranquille. Qui ne se rappelle de ce fameux mardi 28 octobre, au cours duquel, les forces de l’ordre ont fait irruption dans les locaux de la 7TV, interrompant une émission en direct. Sa directrice, Maïmouna Ndour Faye, a été arrêtée sans ménagement, sous le regard impuissant de ses collaborateurs et de milliers de téléspectateurs. Le lendemain, c’est Babacar Fall, directeur de la rédaction de RFM, qui est interpellé avec ses techniciens, avant d’être relâché tard dans la soirée. Mais le signal envoyé est glaçant. Plus personne n’est à l’abri.
Comme pour parachever l’intimidation, les signaux de la 7TV et de la TFM avaient été suspendus sans justification. Le Conseil national de régulation de l’audiovisuel (CNRA), censé garantir la liberté et l’indépendance de l’information, s’est enfermé dans un silence assourdissant avant de sortir un communiqué pour déplorer les coupures et exiger le rétablissement du signal des deux télévisions. Où étaient passées les garanties procédurales, les droits de la défense, les principes mêmes de la légalité ?
Une presse victime d’ostracisme et d’hostilités manifestes
Entre intimidations, accusations de corruption de la presse, mêlées à des attitudes hostiles vis-à-vis d’elle et des mots d’ordre de boycott de certains médias tels que Futurs médias de Youssou Ndour ou D-médias de Bougane, la presse a été une cible permanente et même bien avant l’accès du Pastef au Pouvoir. Qui ne se rappelle pas des véhicules caillassés et incendiés devant Futurs Médias ? Il y a aussi le bashing contre la presse dans les réseaux et des 72 heures décrétées contre Pape Ngagne Ndiaye dont le nom de son père a été traîné dans la boue. Ou d’entendre un Abasse Fall maire de Dakar, parti s’enquérir de la situation d’un militant retenu dans un commissariat, dire aux journalistes : « ce n’est pas pour vous que nous sommes venus…»
Au-delà, sur quel compte mettre la réception des jeunes reporters au palais par le président de la république alors qu’il n’avait pas donné suite aux demandes d’audience des patrons de presse ? Le PR avait même à cette occasion réitéré les accusations d’incivisme fiscale des patrons de presse, accusés de ne pas payer l’impôt.
Mais la presse habituée à manger du pain noir, est restée droite dans ses bottes, résiliente comme tout. Si le nouveau régime espérait certainement asphyxier la presse, elle n'y est pas au finish arrivée, car les émissions boycottées, ont continué à afficher des audiences records, les prises de positions du régime, de moins en moins diffusés et audibles, au moment où la presse écrite, les revues de presse et les débats télévisés, radiophoniques, internet, étaient toujours aussi scrutés et suivis. La question est de savoir ce qui a vraiment changé pour la presse.
Au contraire, en dehors de quelques difficultés financières, des licenciements à déplorer, elle continue à assumer toujours son rôle de vigie, d’éveil et d’éducation des populations.
Les critiques adressées de manière générale à la presse comme celle d’être corrompue, ne saurait être recevable. Loin de dire que celle-ci ne compte pas en son sein des brebis galeuses, il convient de relever que la corruption est un phénomène qui concerne toutes les corporations, étant entendu que le Sénégal est un pays où elle touche presque tous les secteurs.
Mais en dehors de cette corporation, que peut-on vraiment reprocher à des acteurs d’un secteur son modèle économique pas viable en n'étant pas accompagné par l’Etat qui détient certains leviers légaux ? Comme ses supports qui sont pillés par les GAFAM et d'autres qui les utilisent sans débourser le moindre franc. Que l’on sache, la question de la régulation n’incombe pas aux médias, mais bien à l’Etat qui a raté l’occasion de l’exercer de manière légale et sans préjugés. Le ministère, aurait-il subi ce camouflet s’il avait agi dans les règles de l’art ? Serait-il resté autant de temps, presque deux ans avant de débloquer les budgets du Cored et de la Commission de la carte nationale de presse ? Autant de griefs qu’on peut opposer à l’Etat.
Qui a créé la nouvelle caste de "chroniqueurs" ? Les médias ou les politiques ?
Que dire aussi du phénomène des « chroniqueurs » qui sape l’image des médias - qui intègrent désormais les médias sociaux- et ne concerne plus que les journalistes dans un univers où les télespectateurs ne savent pas distinguer le journaliste, le chroniqueur digne de ce nom, du chroniqueur partisan et ou mercenaire à la façon « wax sa xalat ».
Ce fait n’incombe pas pourtant à la presse, elle est le fait des officines politiques qui ont décidé un jour d’armer des beaux parleurs pour s’exprimer à leur place. Qui ne se souvient pas de l’émission « Wax sa Xalat » avec des personnes envoyées dans les chaînes de radio pour défendre les partis ? C’est là où tout a commencé. Et aujourd’hui, l’APR comme le Pastef ont leurs « parleurs ».
Cette gangrène de la presse s’est même étendue au journalisme traditionnel et en particulier aux plateaux de télévision classique où certains journalistes ne se gênent même plus pour se comporter comme de vulgaires mercenaires à la solde d’états-majors politiques ou de leaders politiques. Ce qui est d’autant plus honteux, est qu’ils arrivent même à assumer cette posture avec fierté et sans scrupules.
Le mal est d’autant plus profond que des prêcheurs, des comédiens, des animateurs, des rappeurs, de pseudo écrivains, des juristes sans pratique, des communicateurs traditionnels, etc ont rejoint la cohorte de la presse et animent désormais des émissions à caractère économique, politique, international, etc. Une sorte de bazar médiatique sans précédent.
Le pouvoir actuel, malgré toutes les critiques qu’il adresse à la presse ne compte-t-il pas des chroniqueurs proches ou des influenceurs qui le soutiennent : Ngoné Saliou Diop , Cheikh Bara Ndiaye, Khadim Diop, etc. Tenez par exemple Azoura Fall, en conflit ouvert avec des camarades de parti, n’a-t-il pas déballé sur la question des conventions ? Selon lui en effet le proche du Premier ministre Ousmane Sonko, cité par le quotidien « Enquête », dans son édition du lundi 6 octobre 2025, à travers un article intitulé " Gestion de la pub de l’Etat - Presse étouffée, propagandistes choyés", « il y a quelques “influenceurs” du projet qui s’accaparent des conventions de publicité au détriment des autres.»“…Pourquoi certains se taillent de nombreuses conventions au moment où d’autres peinent à y accéder… Quand vous avez cinq, six conventions, il faut quand même laisser une partie aux autres. Mais vous voulez tout prendre.”
La gangrène de la presse s’est même étendue au journalisme traditionnel et en particulier aux plateaux de télévision classique où certains journalistes ne se gênent même plus pour se comporter comme de vulgaires mercenaires à la solde d’états-majors politiques ou de leaders politiques. Ce qui est d’autant plus honteux, est qu’ils arrivent même à assumer cette posture avec fierté et sans scrupules.
Le mal est d’autant plus profond que des prêcheurs, des comédiens, des animateurs, des rappeurs, de pseudo écrivains, des juristes sans pratique, des communicateurs traditionnels, etc ont rejoint la cohorte de la presse et animent désormais des émissions à caractère économique, politique, international, etc. Une sorte de bazar médiatique sans précédent.
Faire endosser aux journalistes, la responsabilité d’avoir laissé leur métier se faire infiltrer de la sorte, est à la vérité, un mauvais et faux procès. Les journalistes n’ont aucun pouvoir vis-à-vis d’un patron de presse qui décide de recruter un non journaliste, ou un journaliste à la mauvaise réputation.
Une presse pourtant vigie des élections et qui assure une mission de service public
C'est une hostilité notable et sans précédent que vit actuellement la presse. De voir par exemple certains Sénégalais très hostiles à la presse ou chauffés à blanc, nichés dans les réseaux sociaux, lui dénier le droit de bénéficier de la subvention à la presse, est un fait loin d'être compréhensible. Ils sont loin en effet de s'imaginer à quel point cette subvention annuelle (non distribuée l'année dernière et jusqu'ici cette année qui tire à sa fin, - pour on ne sait d'ailleurs pour quelle raison -) est dérisoire et n'est obtenu qu'après avoir rempli des critères tels que la détention d'un quitus fiscal, de cotisation à l'Ipres et à la sécurité sociale, etc. Une subvention annuelle qui n'atteint, à la vérité, dans la plupart des cas, même pas le 1/4 de la masse salariale mensuelle de certaines entreprises. Il convient toutefois de souligner que celle-ci est accordée à toutes des entités privées qui assurent une mission que l'Etat aurait dû assumer, l'enseignement privé par exemple. Or, dans le cas de la presse, c'est une mission de service public que les médias assurent.
Lorsqu’au soir de l’élection présidentielle, dimanche 24 mars 2024, au moment où les stations FM, les télévisions et les médias en ligne relayaient les données et chiffres, les résultats qui ont porté Bassirou Diomaye Diakhar Faye au pouvoir, pas un seul citoyen sénégalais, homme politique de l’actuelle équipe à la tête du Sénégal, ne pouvait médire la presse. Journaux, radios, télévisions, sites d’informations, d’un seul élan, ont transmis les résultats rassemblés aux quatre coins du Sénégal.
Combien étaient-ils à traquer les chiffres, bureau de vote par bureau de vote, à la recherche de la bonne information ? Des centaines de journalistes, envoyés sur le terrain par leurs organes de presse pour transmettre en direct les résultats et signaler le moindre dysfonctionnement, servant même souvent d’alerte aux autorités, sans aucune assistance publique ? Combien de millions de personnes étaient-ils, scotchés à leurs téléphones portables ou radios et télés, à s’abreuver de résultats donnés par ces «valeureux journalistes» sur le terrain ? Et combien ont sursauté de joie, à la publication de ces résultats, avant même que les commissions et institutions légalement habilitées ne le fassent ? Combien cela leur a-t-il coûté de savourer un tel «délice» ? Combien cela nous a-t-il coûté ?
Au ministère de mieux assumer son rôle
Ce n’est pas nouveau et on ne le répètera jamais assez, de Diouf à Diomaye en passant par Wade, Macky Sall, aucun régime n’a eu intérêt à avoir une presse indépendante. Et chacun, à sa manière, a tenté de la contrôler, mais sans succès. La vérité est que le pluralisme de la presse ne permet pas cela.
L'on est en droit aussi de faire savoir à ces journalistes qui pensent que les accointances avec les politiques, paient, se trompent lourdement car ceux-là ne sont intéressés que par le rapport instrumental qu’ils peuvent nouer avec eux.
A la vérité, le ministère doit mieux s’armer en se dotant de conseillers plus au fait de l’environnement de la presse et moins crispés vis-à-vis de la presse. Autant, sa responsabilité ne peut pas ne pas être engagée dans l’annulation de ces arrêtés, autant le ministre pourrait avoir le bénéfice du doute, celui de ne pas connaître l’univers des médias. Mais c'est en même temps de sa responsabilité de mieux s’entourer et de se débarrasser de ses préjugés, s’il veut réussir sa mission qui consiste à permettre une meilleure organisation du secteur et un meilleur épanouissement de la presse pour une démocratie plus approfondie.






