NETTALI.COM - Dimanche 7 décembre, journée dédiée par le parti Pastef, aux ex-détenus et victimes des violences entre 2021 et 2024, le public a eu droit au Grand Théâtre, ce qui ressemblait à une séance d’exorcisme. Pour ces personnes considérées comme des victimes, il était question pour chacune, de dire ce qu’elle a sur le cœur, à sa façon, avec ses mots et son ressenti profond.

Mais au finish, beaucoup d'observateurs ont eu du mal à comprendre ce qui a pu motiver une telle logique qui consiste à ressasser de douloureux souvenirs, des traumatismes sur fond de stigmates et de plaies pas encore pansées, alors que la voie ouverte comme un boulevard, pour rendre justice et réparer les éventuels préjudices, n'était autre que celle d’abroger cette fameuse loi d’amnistie.

C’est d’ailleurs ce que croit savoir Cheikh Oumar Diagne qui précise : « Le nombre de fois que je suis allé en prison, aucun de ces détenus politiques qui crient, ne l’a fait. J’ai vécu 3 mandats de dépôt sous Macky et des interpellations dont des gardes à vue et des intimidations. Les détenus politiques n’ont pas besoin de journée pour les célébrer. Un peuple ne doit pas pleurnicher ou se victimiser. On doit avancer. J’ai la ferme conviction que ce dont ont besoin des martyrs, ce ne sont pas des journées et des fêtes ou des rassemblements, mais qu’on juge et arrête ceux qui les ont tués, c’est cela ma doléance. Il faut qu’on enlève la loi d’amnistie qui empêche qu’on puisse se pencher sur certains crimes commis entre 2021 et 2024»

Le député Thierno Alassane Sall n'est pas d'un avis différent, lui qui a une nouvelle fois fait remarquer que « le seul véritable obstacle à la justice concernant ce qui s’est passé entre 2021 et 2024 demeure la loi d’amnistie». L'opposant ne pense ni plus, ni moins que « le régime PASTEF a délibérément refusé de l’abroger, et personne n’est dupe de cette réalité.

Sans dénier à qui que ce soit, le statut de victime, il revient assurément à la justice et à la justice seule, de déterminer qui est victime et qui ne l’est pas. C’est aussi à elle d’évaluer de manière claire, tout préjudice subi à titre individuel et la réparation qui sied.

Mais comment ne pas s'étonner d'entendre Maïmouna Dièye, la ministre de la Famille et des Solidarités, dans cette affaire d’indemnisation des victimes, avouer qu'une partie des fonds déjà distribués, provenait en réalité du budget propre de son ministère. Elle a aussi révélé que la totalité des 5 milliards de francs CFA promis par le gouvernement pour indemniser les victimes des violences politiques survenues entre 2021 et 2024, n'a pas encore été versée. En effet, lors de son intervention à la Journée des martyrs organisée par le Pastef (parti au pouvoir), celle-ci a expliqué que les lenteurs du processus d'indemnisation, affirmant que son ministère n’avait reçu que 1 milliard 800 millions de francs CFA à ce jour.

Ce qui a poussé, lors de l'examen du budget 2026 du ministère en question, le député Abdou Mbow, à accuser Maimouna Dièye de détournement de fonds publics portant sur un montant de 1,8 milliard de francs CFA alloué à des militants de Pastef supposés être des victimes des manifestations politiques de 2021 à 2024. « Madame la Ministre, l’aveu est la mère des preuves. Vous avez publiquement déclaré, lors d'une manifestation de votre parti politique, avoir puisé 1 milliard 800 millions dans les comptes des contribuables sénégalais pour les distribuer à vos militants de Pastef. Cela n’est rien d’autre qu'un détournement de deniers publics », a lancé Abdou Mbow, soulignant la gravité de cet acte.

Le député ne manque d’ailleurs de comparer cette affaire avec un précédent cas de détournement impliquant une ancienne ministre de la Femme, poursuivie pour une somme bien inférieure (50 millions de CFA). « Et vous avez eu le courage de vous présenter devant votre Premier ministre pour affirmer avoir pris 1 milliard 800 millions sans aucune base légale. Le dire en tant que ministre de la République est déplorable », a ajouté le député consterné.

Poursuivant son interpellation, Abdou Mbow a questionné la destination finale de ces fonds, suggérant qu'ils auraient été alloués à des individus impliqués dans des actes de violence et de vandalisme : « L’argent du contribuable que vous avez donné à des gens qui ont cassé et pillé des magasins Auchan, brûlé des bus BRT, et même tué des personnes dans des bus à Yarakh. Madame la Ministre, je vous demande de nous dire sur quelle base vous avez osé prendre l'argent du contribuable pour le distribuer aux militants de Pastef , à des brigands».

M. Mbow n'a pas également manqué d'interpeller le Ministre des Finances au sujet d'un prétendu milliard supplémentaire mentionné par le Premier ministre. Il réclame des éclaircissements sur la traçabilité de ces montants dans les comptes de l’État et sur la base légale de leur décaissement.

D'autres députés de l'opposition, Tafsir Thioye et Mbaye Dione ont également réclamé des explications sur cette affaire.

La question, au-delà, est de savoir ce qu’il va advenir des forces de l’ordre blessées, des autres personnes qui ont perdu la vie, sans oublier le préjudice matériel subi par l’Etat, les entreprises privées et les particuliers qui ont vu leurs biens saccagés et pillés ?

C’est connu, les dommages sont de trois sortes : corporel, moral et matériel. Et de ce point de vue-là, cette indemnisation peut sembler injuste. Et à supposer qu’une victime se soit retrouvée avec un traumatisme qu’il traîne, comparée à une autre victime qui se retrouve avec des fractures, quelle logique devrait dans ce cas prévaloir dans l’indemnisation des deux victimes ? C’est en cela que le rôle de la justice est capitale puisqu’elle est en mesure d’abord de statuer en profondeur, de mesurer l’ampleur du préjudice en usant au besoin d’expertises, avant d’attribuer la qualité de victime et d’allouer une indemnisation.

Tout cela pour dire que le Parti Pastef n’aurait jamais dû se lancer dans une telle opération d’indemnisation, parce qu’il est question après tout ici de deniers des Sénégalais qu’on ne devrait pas pouvoir utiliser pour réparer des préjudices non évalués par la justice sénégalaise, la seule institution légitime à apprécier le statut de victime et à évaluer un préjudice.

Mais, comme on s'y attendait , la journée dédiée aux martyrs a finalement viré au meeting politique. Comme à son habitude, Ousmane Sonko a saisi l'occasion pour adresser plusieurs messages. Comme lorsqu’il évoque ses rapports avec Bassirou Diomaye, se positionnant, tantôt dans une posture de le défendre, comme lorsqu’il demande aux patriotes, d’ apprendre la mesure  ; tantôt dans une posture de lui faire des reproches nuancés, comme lorsqu’il déclare : « il y a des problèmes et personne ne dira le contraire. J'ai été moi-même le premier à vous dire qu'il y a des problèmes. Il y a des choses que l'on croyait ne pas pouvoir nous arriver. Nous avons des divergences, le président Diomaye et moi, en matière d'orientation, mais, on ne doit pas oublier qu'au moment des épreuves, il a pris certaines positions et des risques qu'on ne peut pas effacer. Donc les différends et les divergences d'aujourd'hui, on doit pouvoir les gérer, car tous ceux qui sont là, savent pourquoi ils se sont engagés... ».

Avec sa sortie, le leader du Pastef a encore une fois de plus, donné l’impression d’être un opposant face à un autre régime au pouvoir. Comme s’il était lui-même, en tant que victime, dans une quête de justice qu’il ne peut obenir.

Pour le parlementaire opposant, Thierno Alassane Sall, faire croire aux militants de PASTEF, et plus largement aux Sénégalais, que le blocage viendrait du président de la République relève d’une mise en scène grossière. Et ce dernier, de conclure sans détour : « C’est le sport favori du leader de PASTEF : la manipulation. Toujours déplacer la responsabilité pour mieux dissimuler la vérité. Ousmane Sonko a toujours eu besoin d’un adversaire pour exister politiquement. Macky Sall n’étant plus là, il a désormais désigné Bassirou Diomaye Faye comme nouvelle cible ».

Toujours est-il que cette journée pour rendre hommage aux victimes et martyrs, a été une bonne occasion pour réveiller les frissons patriotiques, mais aussi pour le leader du Pastef de s’ouvrir une brèche pour remettre sur le tapis, la question de sa candidature, estimant que personne ne peut l’empêcher d’être candidat en 2029. Aussi s’est-il déjà inscrit dans la relance officielle des activités du parti. Une reprise qui s’articule autour de plusieurs initiatives majeures : l’organisation d’un congrès national en avril, le renouvellement et la distribution des cartes de membres ainsi que la reprise des tournées sur l’ensemble du territoire. Il s’est ainsi fixé un objectif clair : atteindre un million d’adhérents d’ici 2026. Le parti prévoit également la création de 10 000 cellules citoyennes, présentées comme des espaces de participation démocratique, de mobilisation communautaire et de défense des valeurs du mouvement.

Selon le président de PASTEF, cette restructuration vise à renforcer durablement l’implantation du parti et à mobiliser une base militante capable de peser lors des prochaines joutes électorales.

La vérité est que, plus le temps passe, plus le chef de file de Pastef multiplie les sorties, enchaînant meetings, questions orales des députés, toujours avec la même verve, la même tonalité offensive, le même ton martial et accusateur, sur fond de promesses de justice et de lendemains meilleurs. On note finalement chez Ousmane Sonko, une stratégie qui consiste à fabriquer des évènements, de manière à se créer des temps forts de communication, l’objectif ultime étant de garder la main sur ce public, de manière à continuer à jouir de la légitimité populaire. Seulement avec le temps, la communication à outrance, les mêmes attaques, les mêmes accusations et le même discours offensif risquent d’être des disques rayés qui ne feront plus d’effets. Car au bout du compte, ce qu’on lui demande, c’est plutôt d’agir que de parler. Attention à l’effet saturation.