NETTALI.COM - La cassure au sommet de l’État plonge le Sénégal dans une sorte de cohabitation de fait entre Apte et Sonko d’une part, Diomaye président d’autre part. Mais les médiateurs continuent de s’activer pour tenter de sauver ce qui peut encore l’être.
Alors que Diomaye tient sa Mimi et maintient sa coalition “Diomaye président”, Ousmane Sonko confirme Aïda Mbodj et sa nouvelle coalition Apte (Alliance patriotique pour le travail et l’éthique). L’un tient l’Exécutif même s’il le partage avec son binôme. L’autre règne presque sans partage à l’Assemblée nationale, où il a désigné presque tous les députés.
Politologue, ancien conseiller du Président Macky Sall, Dr Yoro Dia estime que nous sommes de fait dans une situation de cohabitation. Il explique : “On parle de cohabitation quand le président de la République et le Premier ministre n’appartiennent pas au même camp. De fait, nous sommes dans ce cas de figure avec les derniers événements. Même chose qu’en France Sous Mitterand et Chirac. La seule différence, c’est qu’en France, le PR ne peut pas virer le Premier ministre. Ici, Diomaye peut virer Sonko quand il veut.”
Au Sénégal, les situations de cohabitation sont jusque-là très rares. C’est généralement à l’occasion des nouvelles alternances et pour des périodes n’excédant pas quelques mois. La plus longue a été notée à la suite de la première alternance avec Abdoulaye Wade en 2000. Ce dernier a “cohabité” avec la majorité socialiste vaincue officiellement jusqu’en février 2001, avant la tenue des nouvelles élections législatives en avril 2001.
C’est donc très différent de la situation à laquelle nous sommes confrontés actuellement. Ici, nous sommes dans le cas d’une scission à l’intérieur même de la majorité présidentielle, avec deux personnalités qui se regardent en chiens de faïence. Comme en 1962 entre le président de la République Léopold Sedar Senghor et son binôme, le président du Conseil Mamadou Dia.
Plusieurs similitudes entre la crise Dia-Senghor et celle que nous connaissons actuellement. Comme Dia, Sonko défend la primauté du Parti sur l’État, alors que Diomaye prône l’inverse comme Senghor. Comme en 1962, les deux belligérants s’avèrent être des compagnons de longue date….
Mais la principale différence, c’est qu’en 1962, le président du Conseil (Premier ministre Mamadou Dia) avait beaucoup de pouvoirs de par même la Constitution. Il était non seulement Premier ministre mais également ministre de la Défense. Ce qui ne l’a pas empêché de perdre devant le président de la République. Aujourd’hui, de par la Constitution, c’est le Président de la République qui tient presque tous les pouvoirs. Mais Diomaye les a jusque-là exercés en parfaite intelligence avec son Premier ministre.
Lors d’un face à face avec la presse nationale, réagissant aux interpellations sur le fait que le Premier ministre lui ferait de l’ombre avec beaucoup de pouvoirs, il disait : “Je trouve même qu’il n’en a pas assez. Constitutionnellement, le Premier ministre est très faible. Moi je pense qu’il doit être renforcé. Parce que je veux être davantage aidé dans mes tâches, pour plus d’efficacité et d’efficience.”
Soulignant qu’il veut des DG forts, des ministres forts, un Premier ministre super-fort, le président Faye était revenu sur les forces de son PM. “…. Ce qu’il a, c’est aussi grâce à sa stature. Qu’on l’aime ou qu’on ne l’aime pas, voilà celui qui élit une liste de suppléant de députés ; qu’on l’aime ou qu’on ne l’aime pas, voilà quelqu’un qui, en 10 jours, a réussi à faire passer son candidat ; qu’on l’aime ou qu’on ne l’aime pas, voilà quelqu’un qui a subi tellement d’épreuves mais qui a résisté pour le changement de ce pays… Et puis je ne suis pas un homme méchant….”, répondait-il.
À ceux qui l’accusent de ne pas pleinement assumer ses prérogatives constitutionnelles, il répondait : “Quand vous avez l’ambition de faire de quelqu’un, un président de la République avec tous les pouvoirs, Dieu a fait qu’il soit ton Premier ministre, je pense que vous ne devez pas avoir de problème de jalousie avec cette personne. C’est une question de bon sens.”
Pour le président de la coalition Diomaye président, ce n’est pas une question de s’effacer au profit de son PM, mais une question de conviction. “Je ne m’efface pas. C’est que je n’embrasse pas trop. Parce que qui trop embrasse mal étreint….”, ajoutait-il. Certains de leurs détracteurs comme le politologue Yoro Dia l’ont en tout cas souvent accusé d’avoir délégué tous ses pouvoirs au Premier ministre, de torpiller même parfois la Constitution pour faire plaisir à son binôme.
La justice, élément déclencheur
Jusque-là, tout semblait se passer si bien, jusqu’au rejet du rabat d’arrêt de Sonko dans l’affaire l’opposant à Mame Mbaye Niang. Depuis, le PM et surtout ses partisans ne ratent pas une occasion pour s’en prendre au PR. Après une période d’accalmie, les revoilà à la charge. Les propos tenus lors du meeting du 08 novembre ont été la goutte d’eau de trop. D’habitude très calme et conciliant, le président a été obligé de désavouer de manière foudroyante son PM.
Depuis, tout le monde attend la réaction du Premier ministre qui avait posé parmi ses conditions le maintien de Aïda Mbodj à la tête de la coalition présidentielle et le départ de certains alliés dont Aminata Touré. Diomaye n’a non seulement pas limogé Mimi, mais surtout il l’a promue, poussant le pastef à réagir en annonçant la mise en place d’une autre coalition appelée Alliance patriotique pour le travail et l’éthique.
Qui des deux va remporter cette bataille ? Si Sonko tient la masse, les jeunes, Diomaye à l’avantage d’avoir le décret. Il peut limoger le PM quand il veut. Et l’Assemblée nationale, favorable au Pm, ne peut rien contre le chef de l’État. Pour Yoro Dia, même si Diomaye dort, il gagne en cas de confrontation.
Dans ce qui s’annonce pour certains comme une guerre entre le parti (Pastef) et l’État, ils sont nombreux à penser que comme en 1962, l’État finit toujours par prendre le dessus sur le Parti.
Pastef et ses neutres
Depuis l’éclatement de cette affaire, les observateurs guettent les réactions dans le camp présidentiel. Jusqu’à hier, très peu de responsables de premier plan ont pris position dans cette guerre au sommet. D’habitude très prompts à réagir sur l’actualité à travers leurs différentes pages, la plupart ont fait profil bas. À l’exception du directeur général du Port autonome de Dakar qui a pris fait et cause pour Sonko. “Je ne me sens nullement concerné politiquement par tout ce qui se fait en dehors de Pastef. Mon périmètre et mon horizon politiques se limitent uniquement à Ousmane Sonko”, a-t-il fulminé.
Coordonnateur de “Gox yi Bess les bâtisseurs” et ex-membre de la coalition “Diomaye Président”, Ameth Diallo n’a pas tardé à réagir aux propos de Bodiang. “Tu ne comprends rien à la République. Rien aux souffrances des populations. Rien à ce qu’on t’a confié. Ton seul combat, c’est de défendre un homme.’’
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