NETTALI.COM - C’est comme si le Sénégal était tout d’un coup pris par une fièvre des rassemblements. La contestation a subitement quitté le terrain des plateaux télé et web TV pour migrer vers les artères principales de la capitale et les grands espaces. Si la plupart des manifestations qui se sont multipliées depuis un certain temps, ont pour motifs la vie chère, les factures d’électricité qui renchérissent, selon de nombreux consommateurs, des dérives jugées liberticides, des taxes qui grèvent le pouvoir d’achat des populations, etc, le très médiatisé rassemblement du 8 novembre à l’initiative du Président de Pastef Ousmane Sonko, a un prétexte assez particulier.
Il a non seulement la particularité d’être un rassemblement signé par le parti au pouvoir, mais il survient surtout dans un contexte de guerre larvée au sommet de l’exécutif avec des excroissances jusque dans la coalition « Diomaye Président » qui a porté l’actuel président de la république au pouvoir ; celle-ci de l’avis de ses détracteurs dans les rangs pastefiens tels qu’Aïb Daffé ou Waly Diouf Bodian,
l’accusent de défier le parti Pastef et de n’avoir pas le poids et la légitimité pour pouvoir prospérer. Les sorties d’Abdourahmane Diouf entre autres, passées par là, sont en cause.
Ousmane Sonko, déterminé à réussir son « téra-meeting », a en tout cas annoncé la couleur au cours d'une sortie, le vendredi 7, à la veille de l’évènement. Il a évoqué les raisons de la tenue de ce rendez-vous pastefien, estimant qu’en tant que président du parti, il s’est peu exprimé. "L’action de l’État et l’action politique vont de pair, mais nous avons jugé plus important de nous focaliser sur la première. Je ne voulais pas qu’il y ait d’amalgame entre ces deux notions. Et c’était aussi pour éviter que cela gêne le président de la République”, a indiqué le Premier ministre. À l’en croire, cette période de non-prise de parole en public lui a permis d’avoir le temps de formuler des observations.
“Après 18 mois de constat, j’ai accumulé suffisamment de remarques pour pouvoir parler avec vous”, a-t-il déclaré, faisant valoir que les Sénégalais ont hâte de l’entendre. Ousmane Sonko a ainsi donné un avant goût des thèmes à aborder. “Tout le monde connaît les conditions dans lesquelles nous avons hérité le pouvoir. Nous avons observé un pillage des ressources financières du pays. Il y a aussi cette histoire de dette cachée”, a-t-il soutenu. Il veut une mobilisation exceptionnelle, d’où le choix du stade Amitié (Léopold Sédar Senghor). “Nous voulons un rendez-vous inédit au Sénégal, tant par sa mobilisation que par son contenu, c’est à- dire les sujets abordés”, a-t-il expliqué au stade LSS où doit se tenir le “Téra meeting”.
Vêtu d’une tenue de sport et jonglant avec un ballon comme pour montrer une forme olympienne, avec son physique de sportif, l’homme qui ne se sentait pas bien ces derniers temps, sans doute éreinté par ses 18 mois de boulot sans répit, a, dans une mise en scène dont il a le secret, tenu en haleine son public, en appelant à la mobilisation de ses partisans et sympathisants.
Aux militants et sympathisants, Sonko a demandé de modérer le folklore durant les discussions. “Il faut que les gens entendent et comprennent le message. Nous demandons donc de faire moins de bruit pour permettre une écoute optimale. L’aspect festif ne doit pas primer. Avant et après les prises de parole, les animations sont possibles, mais pas pendant les interventions.” Il a salué l’élan militant : “Cela prouve que Pastef reste dynamique. C’est le retour de Pastef”. Le leader a également insisté sur la sécurité : “Nous voulons zéro accident pour cet événement. C’est un rendez-vous de paix et de dialogue”.
Une certaine effervescence est déjà perceptible sur ces puissants relais que sont les réseaux sociaux avec des militants qui occupent déjà les lieux, depuis deux à trois jours, sur fond de rassemblements agrémentés par des berndel(repas) à la façon Mouride et de présence de ténors du parti déjà présents au stade pour des réglages.
Mais la question au-delà, est de savoir si Ousmane Sonko pourra toujours continuer à s’agripper à cette dette dite cachée et au pillage des ressources qu’il attribue à l’ancien régime ? Des arguments qui ne pourront plus prospérer bien longtemps au regard de la crise économique et sociale aiguë après 18 mois de pouvoir, une judiciarisation de l’espace politique et public de plus en plus dénoncée, mais avec également un casting global assis sur la seule et unique croyance au projet qui laisse toutefois à désirer, etc.
Ousmane Sonko fera foule c’est sûr, mais quelle foule au juste ? Des militants de Pastef ? Des sympathisants ? En plus des curieux, etc. Et la majorité silencieuse, qu’en fait-on ? Autant de questions que l’on peut raisonnablement poser. Du point de vue de la mobilisation en tout cas, aucun souci à se faire. Il serait d’ailleurs bien illusoire d’imaginer un parti au pouvoir avec tous les moyens dont il dispose, échouer dans le cadre d’une mobilisation.
De plus, n’oublions pas l’équation personnelle d’Ousmane Sonko, un leader resté très populaire. C’est sûr. Et il ne viendrait à l’idée de personne d’en douter, même si l’on peut comprendre qu’avec l’exercice du pouvoir, l’on ne peut manquer de perdre beaucoup de déçus en route.
A la vérité, la mobilisation d’une foule, peut en effet être un bon préjugé de popularité, mais ne saurait en aucun cas constituer un baromètre suffisant qui se répercuterait forcément dans le résultat des urnes, en cas d’élections.
Qui était plus populaire que Me Wade ? L’on se rappelle de cette veille d’élection de 2012 durant laquelle, soutenu par feu Cheikh Béthio Thioune, les sources du Parti démocratique sénégalais tablaient entre 1,8 et 2 millions de personnes ayant assisté au meeting du président de la république organisé par son parti. Mais à l’arrivée Abdoulaye Wade a été battu par Macky Sall. Abdou Diouf avait également réussi une mobilisation exceptionnelle en 2000 lors de son meeting de clôture de la campagne présidentielle, poussant même certains jusqu’à dire le PS est indéboulonnable. Au finish, Wade l’a coiffé au poteau, au moment où il y croyait le moins.
Une vérité d’hier n’étant en aucun cas celle d’aujourd’hui, il importe ainsi de bien relativiser l’interprétation que l’on peut avoir de la portée de la foule dans le cadre d’un régime au pouvoir que dans le cas d’un parti d’opposition.
De toute évidence, les hommes politiques d’envergure sont toujours une curiosité dans nos pays avec des populations toujours attirées par les rassemblements lorsqu’elles ne sont pas mobilisées à coup de convois, de repas et d’espèces sonnantes et trébuchantes.
Mais quels messages pourrait bien vouloir adresser Ousmane Sonko dont le parti est au pouvoir, avec ce « téra meeting » ? Rien d’autre sinon qu’à faire une démonstration de force et à prouver qu’il est et qu’il reste le seul maître du jeu et à bord de la barque Pastef, surtout après sa sortie au cours de laquelle, il se plaignait du manque d’autorité du président de la république et de ne pas avoir assez de marge de manœuvre pour gouverner.
Il voudrait aussi et surtout montrer qu’il tient les troupes auprès de qui il tire sa légitimité, en les arrimant davantage à cet idéal qu’est le projet. En somme un moment pour sonner la mobilisation et battre le rappel des troupes.
Tout comme ce « téra-meeting » sera le lieu d’adresser un message subliminal à ceux qui seraient tentés de défier son autorité face à ce qui ressemble à des actes de défiance de la part de membres de la coalition Diomaye président ; mais également de remettre en cause sa côte de popularité toujours intacte, au moment où l’on oppose à son gouvernement l’absence de résultats sur le plan économique, la vie chère, les taxes, les arrestations jugées arbitraires, etc
Mais entre nous, le préfet de Dakar aurait pu bien laisser le « Niakhtou National » se tenir au terrain de football de Sacré-Cœur. Cela aurait pu constituer un beau duel à distance surtout que ses organisateurs tiennent à le tenir de gré ou de force. Cela aurait pu également être un gage de rupture, de traitement équitable entre entités politiques dans un pays où les libertés individuelles sont consacrées par la Constitution, mais sont malheureusement régulièrement violées par ceux-là qui devaient en assurer le respect.
Sacrés hommes politiques et leur obsession de la foule ! Un délire qu’ils partagent avec tous les hommes politiques du monde, surtout que cette réalité ne rencontre pas toujours la réalité des urnes. En particulier en Afrique.






