NETTALI.COM - L’arrestation de Maïmouna Ndour Faye et de Babacar Fall, après leur entretien avec Madiambal Diagne, sous le coup d’un mandat d’arrêt international, soulève une question simple : depuis quand informer est-il un crime ?
Les régimes précédents d’Abdoulaye Wade et de Macky Sall ont souvent eu maille à partir avec les journalistes, que cela soit dans le cadre d’auditions, de placements en garde à vue comme en détention. De nos jours, l’attitude des gouvernants actuels, malgré la rupture promise, sonne comme une continuité avec la convocation et l’arrestation de chroniqueurs et de journalistes. De ce point de vue-là donc, rien de nouveau sous le soleil.
L’on se rappelle par exemple que, poursuivi pour diffusion de rapports secrets et de fausses nouvelles tendant à causer des troubles graves, Madiambal Diagne qui défraie la chronique avec son dossier d’extradition, avait subi en 2004, 18 jours d'incarcération, suivi d'un non-lieu total, suite aux démêlés l'ayant opposé au ministère public. C’était sous la gouvernance Wade.
Sous Macky Sall, le journaliste Pape Alé Niang a été incarcéré trois fois en moins d’un an, au point même que « Reporters sans frontières » s’en était mêlé et appelé à sa libération immédiate. Pape Alé Niang était particulièrement ciblé par les autorités en raison de son ton critique.
Sous le régime actuel, le journaliste Bachir Fofana a été poursuivi pour diffusion de fausses nouvelles et offense au chef de l’État avant d’écoper d’une peine de deux mois avec sursis après quelques temps en prison. De même, Simon Pierre Faye, rédacteur en chef de Sen TV et Zik FM, a été déféré au parquet pour diffusion de fausses nouvelles, avant de se voir placer sous contrôle judiciaire.
D’autres cas peuvent être cités, comme ceux des chroniqueurs et hommes politiques qui ont été convoqués et placés en détention, dont quelques-uns ont vu leurs dossiers confiés à des juges d’instruction.
La récente arrestation de Maïmouna Ndour Faye et de Babacar Fall, après leur entretien avec Madiambal Diagne, sous le coup d’un mandat d’arrêt international, soulève une question simple : depuis quand informer est-il un crime ?
A la vérité, aucune disposition légale, ni dans la Constitution sénégalaise, ni dans le Code de la presse, n’interdit à un journaliste d’interviewer une personne recherchée. Aucune. Et pourtant, ces deux professionnels des médias ont été interpellés pour avoir simplement exercé leur métier : recueillir la parole d’un acteur d’intérêt public.
L’article 5 du Code de la presse est sans équivoque : le journaliste a droit au libre accès à toutes les sources d’information et peut enquêter sans entrave, sauf en cas de secret-défense, de secret d’enquête ou d’instruction.
Dans cette affaire, aucun secret d’État n’a été révélé, aucune enquête judiciaire entravée, aucun site interdit franchi. Le délit n’existe donc pas. Ce qui est reproché à ces journalistes relève du domaine de la liberté éditoriale et non du pénal.
Le rôle du journaliste n’est pas de juger, ni de protéger l’image du pouvoir, mais d’informer le public. Et dans une démocratie, informer, c’est servir l’intérêt général.
Et pourtant, dans l’histoire récente du journalisme, des figures autrement plus controversées ont été interviewées sans que cela ne conduise à des arrestations.
Oussama Ben Laden avait été interrogé par Al Jazeera. Julian Assange, recherché par les États-Unis, a donné plusieurs interviews à des médias internationaux.
Plus près de nous, en 2021, le média Emedia avait décroché une exclusive avec Boy Djinné, en cavale après une spectaculaire évasion du quartier de haute sécurité du Camp Pénal de Liberté 6. Aucun journaliste n’avait alors été inquiété.
Pourquoi ce qui était toléré hier devient-il aujourd’hui condamnable ? La loi n’a pas changé. Le climat politique, si.
A la vérité, en cas de manquement dans un médium audiovisuel, c’est au Conseil national de régulation de l’audiovisuel (CNRA) d’intervenir en passant par des étapes : mise en demeure, suspension, voire amende. Le Code de la presse est clair. Seules des « circonstances exceptionnelles » — menace à la sécurité nationale, incitation à la haine, appel à la violence — peuvent justifier une suspension administrative immédiate (Article 192 du Code de la presse).
Nous n’en sommes donc pas là. Ni Maïmouna Ndour Faye, ni Babacar Fall n’ont appelé à la haine, et encore moins mis en péril la sécurité de l’État.
Leur arrestation apparaît donc comme un détournement de la loi et une instrumentalisation politique d’un texte qui, à l’origine, visait à protéger la presse.
Ces interpellations ne servent personne : ni le gouvernement qui s’était engagé à défendre les libertés, ni la justice, qui voit son impartialité remise en cause.
Pire encore, elles affaiblissent la procédure d’extradition engagée contre Madiambal Diagne, en donnant du crédit à l’idée d’un acharnement politique.
En tentant de museler la presse, le pouvoir prend le risque de renforcer ceux qu’il veut faire taire.
Des journalistes proches du régime actuel, auront beau tenter de faire des contorsions dans le but de couper la poire en deux dans leur argumentaire sur le sujet, rien n’y fera, ils ne trouveront rien à reprocher à leurs confrères.
Difficile en effet de priver un journaliste qui voit à travers une interview, l’opportunité d’obtenir une exclusivité reliée à une information d’intérêt public, d’y renoncer. Le rôle du journaliste n’est-il pas après tout de débusquer ce qu’on cache au citoyen dans la gestion de ses affaires ? Il doit qu’on le veuille ou non veiller à l’éveil et à l’éducation du citoyen.
Au fond, cette affaire rappelle une vérité essentielle : la liberté de la presse n’est pas négociable.
Arrêter des journalistes pour un entretien, c’est franchir une ligne rouge. C’est dire à toute une profession : « taisez-vous ou payez le prix ».
Mais le silence, dans une démocratie, est toujours plus dangereux que la parole.





