NETTALI.COM - Le jeudi 9 octobre a eu lieu, à l’initiative du ministère de la communication, une session de réflexion sur « la chronique et les chroniqueurs », à la Maison de la presse Babacar Touré. Nul doute que le contexte actuel, marqué par le dévoiement de ce genre journalistique qu'est la chronique et les dérives qui portent la signature de ceux qu’on appelle indument « chroniqueurs », a été le prétexte d’une telle rencontre.

Pour Habibou Dia de la Direction de la communication du ministère de la communication, le prétexte était de discuter de la charte à appliquer aux chroniqueurs, dans une logique de revue du code de la presse, de manière à organiser le métier.

La question dès lors à se poser, est de savoir pourquoi après les Assises de la presse, discuter spécifiquement de la chronique et des chroniqueurs ? Pourquoi pas par exemple tous les autres sujets, comme la question de la tenue d’antenne par exemple, avec l'incursion d'animateurs qui animent des émissions qui devraient être dédiées aux journalistes formés et expérimentés. Voudrait-on à attribuer un statut particulier à ces chroniqueurs d’un nouveau genre ou à légitimer leur présence sur les plateaux ?

Les journalistes présents dans la salle et qui, pour beaucoup, ont écrit les lettres de noblesse de la presse, ont émis de sérieuses réserves sur la présence de ces "chroniqueurs" sur les plateaux. De Diatou Cissé Badiane, en passant par Ass Mademba Ndiaye pour arriver à Daouda Mine, ils ont chacun en ce qui le concerne, émis un avis sur le sujet. Ils ont en effet été unanimes pour dire que la chronique est un genre rédactionnel et par conséquent, les chroniqueurs sont ceux qui ont un background indiscutable ainsi qu’une connaissance certaine dans un domaine précis, sans oublier la technicité requise pour apporter des éclairages aux lecteurs, auditeurs et télespectateurs. Toute autre personne qui se fait appeler chroniqueur, en dehors de ceux-là, n’en est pas un.

Légitimer des chroniqueurs qui n’ont aucun niveau d’études, aucune culture générale, aucun background digne de ce nom, serait comme chercher à banaliser la production de l’information en la mettant à la portée de n’importe qui. C’est comme si tout d’un coup, l’on décidait d’intégrer un u journaliste ou un professeur de lycée ou encore un mécanicien dans le corps des médecins.

Le journalisme ne saurait en aucun cas être ramené au statut de « wax sa halaat » ou plus exactement être considéré comme un concentré d’opinions, domaine par excellence de la subjectivité. Il est bien au contraire, un métier de faits dont la collecte s’apprend dans les rédactions et sur le terrain jusqu’à l’acquisition d’une solide expérience qui fait le bon journaliste, respectueux des normes du métier et armé des règles éthiques et déontologiques.

La chronique est à la vérité un genre journalistique au même titre que l’analyse, l’éditorial, le billet, etc. Le chroniqueur lui est lui un journaliste expérimenté et spécialiste de son domaine (en politique, international, société, santé, culture, etc). Au-delà de la profession, peut être admis comme chroniqueur, un spécialiste d’un domaine donné, que cela soit technique, scientifique ou sur la foi d’une expérience, d’une science sociale, d’une expertise reconnue. Ce qui veut dire en d’autres termes que, « chroniqueur » - ce n’est pas un métier comme beaucoup d’intrus dans le secteur de la presse, sont de plus en plus conduits à en faire un. Il requiert une solide culture générale, une probité morale certaine, une spécialisation, mais surtout un background digne de ce nom, adossé à une expertise avérée. Ce qui veut dire qu’une bonne partie de ces acteurs médiatiques d’un nouveau genre, sont dans la plupart des cas disqualifiés, car ne remplissant pas la moindre de ces conditions, puisque n’ayant ni le niveau d’études requis et ne sachant même pas pour beaucoup construire une phrase correcte en français, la langue de travail.

Une tradition qui s'est installée et qui cause beaucoup de dégâts

Elle est bien longue, la liste de ces acteurs des médias désormais injustement appelés chroniqueurs et qui squattent les plateaux-télés, web Tv et chaînes youtube. Qui ne se souvient pas de Bara Ndiaye et de Birima Ndiaye ? Le premier, aujourd’hui député du Pastef à l’Assemblée nationale, est passé de tradipraticien à « chroniqueur » et « analyste » pour certains, puis député. Il est évident qu’il menait un combat par procuration. De même, Birima Ndiaye, proche de l’APR, qui se revendiquait tantôt du Parti socialiste, que d’aucuns décrivent comme un syndicaliste, agent du Crous de Saint-Louis, défendait aussi bec et ongles Macky Sall. Parfois d’autres proches ou du même camp que l’ancien président.

Tout cela pour dire que la chronique ouvre désormais des perspectives et booste des carrières, sans pourtant autant que ceux qui en bénéficient, ne soient en possession de quelque référence solide que ce soit.

Ils causent à la vérité, beaucoup de torts à la profession de journalistes, ces plateaux web TV, chaînes youtube, réseaux sociaux, remplis de "chroniqueurs" à un point tel que le public n’arrive même plus à différencier le vrai chroniqueur, de l'usurpateur.

Il est en effet énorme le désastre qu’ils causent dans ce métier. En effet, dans le contexte de reddition des comptes, beaucoup de ces "chroniqueurs" bafouent allègrement et au quotidien, la présomption d'innocence des personnes convoquées ou juste citées dans des rapports, en se lançant dans des spéculations tous azimuts et dans l'amplification de rumeurs et des ouïes dire. Ceux-là sont d’emblée traités de « voleurs » et jetés en pâture, sans que ces "chroniqueurs" soient toutefois capables d’édifier sur les raisons des poursuites et encore moins sur les montants réels en cause.

Heureusement que cette vaillante presse écrite, malgré ses difficultés et certaines chaînes de radio, de télé et sites d’informations respectables, a la mérite d'avoir gardé le cap, autrement, le désastre aurait été plus grand.

Le fait que tous ces « chroniqueurs » sans qualification essaiment les plateaux, a pour conséquence de ternir des images et de sceller des destins avant l'heure, face à une certaine opinion assoiffée d’exécutions sur la place publique et friande de faits divers.

Que n’ont-ils pas dit sur le cas Waly Seck ? Beaucoup d’entre eux pariaient en effet sur son emprisonnement aussitôt qu’il aurait foulé le sol sénégalais. Ils prennent souvent leurs désirs pour des textes de loi. Et même si Waly Seck s’était tantôt livré à une communication pas des plus brillantes dans le but de se dédouaner, avant de fouler le sol sénégalais, cela ne faisait pas pour autant de lui, un "blanchisseur d'argent" notoire comme certains ont eu à le qualifier, parce qu'il roulerait des carrosses.

Khadim Diop, ce « chroniqueur » sorti de nulle part et de plus en plus invité sur des plateaux web TV, a par exemple affirmé dans ce dossier et de manière péremptoire, que Waly Seck n’était pas uniquement poursuivi pour cette affaire de véhicule. Les deux avocats du chanteur, en conférence de presse, ne l’ont pas directement démenti, mais ont clairement précisé qu’il n’était poursuivi que pour cette affaire de véhicule d’un montant de 210 millions. Ce « néo chroniqueur » se permet de plus en plus d'ailleurs d’intervenir sur des sujets à caractère social. Il est désormais passé spécialiste dans l’art de parler de tout !

Dans le lot des victimes du lynchage médiatique, Mansour Faye, autre figure détestée du régime précédent, n’a pas non plus été épargné. Aujourd’hui, il bénéficie, après 4 mois passés en prison, d’une liberté provisoire après des contestations sérieuses devant le juge.

Ce qui est d’autant plus dommage de nos jours, c’est de se rendre compte qu’il existe des batailles rangées médiatiques entre « chroniqueurs » pro pouvoir et « chroniqueurs » pro opposition, sur fond de dénigrements et d’invectives par plateaux interposés, dans lesquels, des hommes au niveau très bas ainsi que des femmes, à la langue de vipère, se distinguent par leur manque de retenue et de vulgarité sans bornes, à la façon querelles de bornes fontaines.

Comment a-t-on pu laisser le secteur médiatique se faire gangréner de la sorte par certaines Web TV, chaînes Youtube qui ont laissé passer entre les mailles du filet, ces chroniqueurs d’un nouveau genre et ces influenceurs qui, pour beaucoup, sont des mercenaires lancés dans une sorte de course de « celui qui criera le plus fort » et de « celui qui s’indignera de la manière la plus virulente ». Il y a comme une sorte de concours de zèle qui fait dire tout et n’importe quoi !

Entre sentiment d'une volonté d'affaiblissement de la presse, déficit de régulation et invasion du secteur de la presse par des intrus

Tout ce laisser-aller dans le secteur des médias, ne semble, aux yeux de beaucoup de professionnels des médias, procéder que d’une simple logique, celle d’affaiblir la presse. Les subventions à la presse n'ont jusqu’ici pas été distribuées en 2024 et toujours pas en 2025 . De même que les conventions entre les entreprises publiques et les entreprises de presse qui ont été unilatéralement suspendues.

Azoura Fall, en conflit ouvert avec des camarades de parti, a d’ailleurs déballé sur la question des conventions. Selon en effet le proche du Premier ministre Ousmane Sonko, cité par le quotidien « Enquête », dans son édition du lundi 6 octobre, à travers un article intitulé " Gestion de la pub de l’Etat - Presse étouffée, propagandistes choyés", « il y a quelques “influenceurs” du projet qui s’accaparent des conventions de publicité au détriment des autres. “…Pourquoi certains se taillent de nombreuses conventions au moment où d’autres peinent à y accéder… Quand vous avez cinq, six conventions, il faut quand même laisser une partie aux autres. Mais vous voulez tout prendre.”

Y allant de son commentaire, le journal d’écrire : « Pour le moment, tout se passe dans la plus grande opacité. Comme au temps du régime de Macky Sall. Ce qui était d’ailleurs invoqué par le nouveau régime pour justifier la suspension de toutes les conventions sur décision du Premier ministre. Mieux, l’État s’était même refusé à payer aux entreprises bénéficiaires de telles conventions qu’il a jugé illégales

Ce qui est étonnant à constater, est que des textes existent pour une bonne régulation des médias. Pourquoi ne sont-ils pas appliqués ? Si telle était sa vraie volonté, peut-être que l’Etat n’aurait pas mis autant de temps pour octroyer les budgets nécessaires à la tenue des sessions de la commission de délivrance de la carte nationale de presse, au moment où des non journalistes continuent de s’installer dans les médias, sans toutefois détenir de carte de presse ? Pourquoi devrait-on laisser ceux-là qui n’ont aucune expertise ou background dans un domaine précis, officier comme chroniqueurs ?

Faire endosser aux journalistes, la responsabilité d’avoir laissé leur métier se faire gangréner de la sorte, est à la vérité, un mauvais procès. Les journalistes n’ont aucun pouvoir vis-à-vis d’un patron de presse qui décide de recruter un non journaliste, ou un journaliste à la mauvaise réputation. Ce qu’ils peuvent tout au plus faire, c’est dénoncer cet état de fait qui sape l’image de la presse. Cela a été maintes fois dénoncé. Et c’est bien le rôle de l’Etat que d’opérer une régulation dans ce sens.

La gangrène de la presse s’est même étendue au journalisme traditionnel et en particulier aux plateaux de télévision classique où certains journalistes ne se gênent même plus pour se comporter comme de vulgaires mercenaires à la solde d’états-majors politiques ou de leaders politiques. Ce qui est d’autant plus honteux, est qu’ils arrivent même à assumer cette posture avec fierté et sans scrupules.

Le mal est d’autant plus profond que des prêcheurs, des comédiens, des animateurs, des rappeurs, de pseudo écrivains, des juristes sans pratique, des communicateurs traditionnels, etc ont rejoint la cohorte de la presse et animent désormais des émissions à caractère économique, politique, international, etc. Une sorte de bazar médiatique sans précédent.

La récente sortie de Ngoné Saliou Diop qui s’en est prise à Macky Sall et à l’ethnie pulaar à laquelle il appartient, doit interpeller sur cette arme de destruction massive entre des mains inexpertes. La suivre en train d’évoquer la baisse de la note de Moody’s, fait gentiment sourire. Que sait-elle de ces sujets bien techniques ? A suivre, Abdou Diaw du quotidien économique « la Bourse » sur la TFM, est bien rafraichissant, car avec des explications limpides et accessibles, le journaliste économique a montré qu’il n y a un quelconque lien entre la note de Moody’s et l’appel public à l’épargne appelé à tort « Diaspora bond », qui ont eu lieu à deux moments différents. Une vraie lumière dans cette obscurité produite par ce si grand nombre de "chroniqueurs" ignorant tout de ce secteur de l’économie.

Les sénégalais doivent ainsi mesurer l’ampleur du désastre que causent ces « chroniqueurs » et prendre davantage conscience de l’importance d’avoir une presse professionnelle, libre, indépendante, à même de jouer un vrai rôle dans l’approfondissement de la démocratie.

Qui peut dénier à Daouda Mine, le titre de chroniqueur judiciaire ? Celui de chroniqueur politique ou société à Ibou Fall ? Ils ont tous les deux des background indiscutables, sans oublier un niveau de culture générale solide. C’est cette race de chroniqueurs qu’il nous faut.

Il est en tout cas bien incompréhensible qu’on ait remplacé les journalistes et les experts, sur les plateaux télé et les web TV, par des chroniqueurs mercenaires pour l’essentiel et liés aux états-majors politiques. Il est d’autant plus incompréhensible qu’avec toute l’évolution acquise par notre pays, dans le domaine de l’information, qu’on en arrive là.