NETTALI.COM - La scène se déroule à l’Inspection régionale du travail et de la Sécurité sociale de Dakar, située vers la place de l’Indépendance. Une usagère du service public, maîtresse de maison de son état, s’y rend pour solliciter les conseils d’une Inspectrice du travail concernant la mise en œuvre de l’arrêté n°012677 du Ministre du Travail fixant les salaires minima catégoriels des travailleurs domestiques et gens de maison.
Ce dialogue imaginaire (toute ressemblance avec des personnages ou des situations serait une pure coïncidence) adopte une forme très libre, avec pour ambition de contribuer à une meilleure compréhension d’un arrêté qui a semé l’incompréhension autour du cadre juridique régissant le travail des domestiques
1.Inspectrice Aissaitout : Vous me semblez exténuée et nerveuse, Madame…
- 2. La maîtresse de maison : C’est inacceptable ! Je me demande bien ce que fait la Mairie. Figurez-vous, Madame l’Inspectrice, que j’ai tourné en rond pendant une dizaine de minutes à la recherche d’une place pour me garer. Décidément !!! Dakar est un véritable capharnaüm, où tout quidam peut s’approprier un espace et s’improviser vendeur de places de parking. Et pour couronner le tout, il faut une bonne endurance physique pour accéder à votre bureau situé au deuxième étage !
- 3. Inspectrice Aissaitout : Bienvenue à l’Inspection régionale du travail de Dakar. Que puis-je faire pour vous ?
- 4. La maîtresse de maison : Madame l’Inspectrice, ma collaboration avec ma domestique est en grand danger ! Des personnes subversives, depuis TikTok, s’emploient à corrompre l’esprit de ma petite Farmata en faisant la promotion d’une décision du Ministre du Travail sur l’augmentation des salaires des domestiques. Depuis quand, nous autres particuliers, sommes-nous concernés par ces histoires de salaire minimum ou de réglementation d’une relation entre deux personnes physiques dans le cadre d’un domicile privé ?
Vous, les spécialistes, rassurez-moi : nous, particuliers, ne sommes pas concernés par cette décision du ministre, n’est-ce pas ?
- 5. Inspectrice Aissaitout : Madame, vous faites référence à l’arrêté n°012677 du Ministre du Travail fixant les salaires minima catégoriels des travailleurs domestiques et gens de maison. Cet arrêté vise « tout salarié embauché au service d’un foyer et occupé de façon continue aux travaux de la maison ».
À partir de cette définition, votre Farmata, qui travaille à votre domicile et y exécute toutes les tâches utiles à la bonne organisation familiale — ménage, cuisine, garde d’enfants — peut bel et bien se prévaloir des dispositions de cet arrêté.
- 6. La maîtresse de maison : Justement, Madame l’Inspectrice, vous ne pouvez pas considérer ma petite Farmata comme une salariée. Vous voudriez dire qu’elle doit être traitée comme moi ? Moi, ingénieure polytechnicienne, responsable d’atelier à la Société Sénégalaise des Eaux ?
J’estime que le statut de salarié ne concerne que ceux qui travaillent dans une structure organisée : entreprise, banque, ONG, etc.
- 7. Inspectrice Aissaitout : Je comprends votre réticence. Le travailleur domestique n’est effectivement pas un salarié comme les autres. Il travaille dans un domicile privé, et non dans un lieu destiné à la production. Mais c’est justement cette réalité qui rend cette main-d’œuvre invisible, souvent non déclarée et en retrait du droit du travail.
Pourtant, même si les domestiques échappent souvent à la vue de l’Inspecteur du travail, ils restent concernés par les dispositions du droit du travail.
- 8. La maîtresse de maison : Mais il me semble que le Code du travail ne s’applique qu’aux relations encadrées par un contrat écrit. Or ma relation avec Farmata — que ses parents m’ont confiée alors qu’elle avait 13 ans, elle en a 20 aujourd’hui — n’a jamais été formalisée.
Je lui versais 40 000 F CFA par mois à ses débuts, et aujourd’hui elle reçoit 70 000 F CFA. Sans compter les présents que j’envoie à ses parents, de vrais amis !
À son arrivée, elle ne savait ni cuisiner ni entretenir une maison. Je l’ai formée à tout cela. Je lui offre aussi gîte et couvert, gracieusement.
- 9. Inspectrice Aissaitout : Vous touchez là à une réalité complexe. Effectivement, cette relation s’inscrit dans des logiques d’entraide, de solidarité et de confiance, très ancrées dans notre culture. Mais le droit considère que le simple accord verbal sur des tâches précises contre rémunération suffit à établir une relation de travail.
Si Farmata travaille sous vos instructions, dans un lien de subordination, vous êtes dans le champ du droit du travail — qu’il y ait un contrat écrit ou non.
- 10. Maîtresse de maison (éberluée) : Inspectrice, « échapper » vous dites ? Mais votre droit du travail là, on dirait une guerre !
- 11. Inspectrice Aissaitout (souriant légèrement) : Non, Madame, pas de panique. Le droit du travail n’est pas une menace. Il permet de structurer la relation et de garantir des droits fondamentaux à Farmata.
Par exemple, en l’affiliant à l’IPRES pour sa retraite, à la Caisse de sécurité sociale contre les accidents du travail ou la maternité, et à une IPM (Institution de Prévoyance Maladie) pour ses soins médicaux.
Dans votre cas, vous êtes liée à Farmata par un contrat de travail à durée indéterminée (CDI).
- 12. Maîtresse de maison : Pardon ? Là je ne comprends plus rien. CDI, Caisse de Sécurité sociale, IPM, IPRES… Mais c’est quoi tout ça !? C’est de la haute voltige. Je me demande si ceux qui écrivent les lois vivent la réalité du terrain.
Ce texte est, à mes yeux, complètement déconnecté de notre contexte. Cela me fait penser à Montesquieu :
« Les lois doivent être tellement propres au peuple pour lequel elles sont faites, que c’est un très grand hasard si celles d’une nation peuvent convenir à une autre. »
Avec un secteur informel généralisé, un salaire moyen sous les 300 000 F CFA, vous voulez imposer des salaires minima ? Inspectrice, ngua balma dé, mais vous êtes sérieuse ?
Bon… Je veux quand même savoir : quelles sont les exigences minimales fixées par votre fameux arrêté pour ma petite Farmata ?
Rendez-vous dans notre prochaine parution pour la suite du dialogue.
Propos (presque) recueillis par Mansour FALL, Inspecteur du travail