NETTALI.COM - Plus le temps passe, plus Ousmane Sonko ne semble en faire qu’à sa tête et à continuer à faire feu de tout bois. Récemment, il s’en est encore pris à la presse, à l’opposition, à la magistrature, ses cibles favorites, pour les empêcheurs de tourner en rond et contrepouvoirs qu’ils sont. Mais cette fois-ci, il s’est choisi une nouvelle cible, la société civile dont il a traité ses membres de « fumiers ». Sans doute, a-t-il été contrarié par cette certains d’entre eux, à la voix audible, qui ont dénoncé les convocations et emprisonnements de chroniqueurs et journalistes, en invoquant la nécessité du respect des droits de l’homme ?

Une sortie, des interprétations différentes

Mais la grosse surprise que personne n’attendait hélas, c’est cette sortie virulente du Premier ministre contre le président de la république. En fait, le PM Ousmane Sonko est convaincu qu’il y a dans Pastef, des responsables qui s’emploient à le combattre, ajoutant avoir demandé au Président Faye d’y mettre un terme, puisque dès lors qu’il s’agit de lui, il s’en occupe. Bien plus que cela, Ousmane Sonko a déclaré avoir « tout enduré…. Et aujourd’hui, les gens bombent le torse, certains essayant de créer des clans. », avant de faire remarquer que « cela n’arrivera pas dans le Parti », puisqu’il y veillera personnellement, estimant au passage que « chacun doit prendre ses responsabilités »

Absence de marges de manœuvres réelles ou victimisation ? Diversion voire prétexte pour cacher le manque de résultats dans la gouvernance un peu plus d’un an après, ou encore tentative de se défausser sur le président de la république ? Autant d’interrogations et des positions différentes.

Récemment, lors d’un conseil des ministres, le premier ministre avait tapé du poing sur la table, dressant un sévère réquisitoire contre les pratiques observées dans plusieurs structures publiques, en dénonçant des manquements graves, récurrents et contraires aux règles de transparence et de bonne gouvernance. Il mettant par la même occasion en cause, la performance du service public, tout en relevant la mauvaise qualité de la représentation dans certains conseils d’administration, due au profil inadapté.

On l’avait aussi entendu évoquer un plan de redressement national. Mais la question, c’est qu’est-ce que cela voulait réellement dire à un peu plus d’un an d’exercice du pouvoir, même si le PM doit, à la vérité, se rendre à l’évidence que la définition de la politique de la nation revient au chef de l’Etat, alors que lui n’est chargé que de l’exécuter.

Samba Sy, le secrétaire général du Parti de l’Indépendance et du Travail, notre à travers cette sorties, des relations complexes entre le président Bassirou Diomaye Faye et son Premier ministre Ousmane Sonko, assimilant la cohabitation en cours, « à une crise institutionnelle latente ». C’était lors de « Jury du dimanche » du 13 juillet sur iRadio,

Olivier Boucal, le ministre de la fonction publique et membre du Pastef, a lui une autre lecture de la situation. Il pense qu’« il faut d’abord distinguer le Premier ministre du président du parti. La dernière fois, c’est le président du parti qui s’est exprimé. » Une clarification qui, selon lui, permet de replacer les propos dans leur contexte réel. Olivier Boucal affirme que cette culture du débat franc et ouvert, s’étend jusqu’au sommet de l’État. « Il n’y a aucun problème entre le président Diomaye et le Premier ministre Sonko. Je peux vous l’assurer. Les relations sont excellentes et dépassent même le cadre politique », a-t-il déclaré, avant de rappeler un fait symbolique : « Tout le monde sait que le président Diomaye a donné le nom de son enfant à Ousmane Sonko. »

La directrice générale de l’ADEPME et non moins porte-parole adjointe du Pastef Marie Rose Faye a de son côté tenu à clarifier qu’"il y a des contradictions, certes, mais pas de rupture." Selon elle, ceux qui spéculent sur un éventuel divorce entre le président Diomaye Faye et son Premier ministre Sonko s'aventurent sur un terrain qu’ils ne maîtrisent pas.

Quant aux femmes de Pastef, elles ont fait bloc derrière leur leader Ousmane Sonko. Dans une déclaration rendue publique, le dimanche 13 juillet, le Mouvement national des femmes de PASTEF dit exprimer « son adhésion totale et sa détermination à faire écho à l’appel historique à l’unité, à la discipline et à l'engagement militant » lancé par le président du parti, il y a quelques jours, estimant qu’à ses yeux, “il est urgent de taire les divergences, de bannir les logiques de clans, de rejeter toute manœuvre souterraine et de (se) consacrer entièrement à la réussite du projet national patriote”.

Difficile en effet de savoir ce dont se plaint réellement Ousmane Sonko, après été jugé détenir bien trop de pouvoirs qu’il n’en faut par bon nombre d’observateurs et d’opposants, alors même que le président de la république avait été critiqué sur ses propos quant à sa volonté de se battre pour l’arrivée d’Ousmane Sonko au pouvoir ; ou encore celle d’avoir « un Premier ministre super fort ».

Au-delà, c’est l’équation du parti Pastef dans la gouvernance qui est posée. « Certains parlent d’Etat-parti, ce n’est pas un problème…. Nous étions plusieurs à briguer le suffrage des Sénégalais. Il faut avoir le courage de gouverner avec ceux qui croient au projet ; en assumant cette responsabilité. Ce n’est pas une question de partage de postes…», a soutenu le président de Pastef.

Pour le journaliste-chroniqueur Ibou Fall, lorsque le PM s’adresse au parti et dit « nous sommes l’état », ne revendique-t-il pas une « position » que le parti doit avoir dans la gouvernance ? Ce qui selon lui, ne mènera sans aucun doute que vers le parti-état.

En somme, des complaintes qui laissent sans aucun doute accréditer l’idée d’une dualité au sommet de l’exécutif que d’aucuns ne manquent pas de relever, alors dans les rangs de Pastef, l’on s’inscrit en faux.

Le rapport entre les deux têtes de l’exécutif, Samba Sy du PIT la qualifie de situation de « gouvernance évasive et de justifications permanentes », ajoutant qu’« on cherche des défaussoires, des exutoires… mais nulle part les alibis n’ont permis à un pays d’avancer », dénonçant un pouvoir davantage préoccupé à désigner des coupables qu’à s’attaquer aux vrais défis du Sénégal.

Ils étaient en tout cas nombreux, les Sénégalais, à se demander si le président de la République allait répondre aux attaques de son Premier ministre. Bassirou Diomaye Faye a ainsi profité de la réception officielle des conclusions du dialogue national politique pour réagir. « Non ! Comme Ousmane Sonko l’a dit lui-même, il est mon ami. On n'a aucun conflit », a réagi Diomaye Faye. Avant d’ajouter : « préserver la paix et la stabilité politique du pays » et se concentrer sur les « difficultés des Sénégalais. C’est là qu’on nous attend ». Une façon indirecte de répondre à son Premier ministre quand Ousmane Sonko évoquait jeudi dernier la nécessité d’accélérer les réformes et notamment la reddition des comptes.

À Sonko qui réclame l’envoi en prison de certains dignitaires de l’ancien régime qu’il juge coupables de graves détournements, Diomaye oppose l’intérêt particulier qu’il accorde à la libération de la Justice. Pour le président de la république, « le seul combat qui vaille, c’est le combat contre les difficultés que les Sénégalais endurent ». Ajoutant qu’« en tant que président de la République, conscient de (sa) responsabilité », il va « inscrire (son) action dans cette dynamique » qu’il « ne compte pas en dévier ». Une réponse simple, concise sans esprit polémique qui montre que le président Faye ne compte pas dévier de sa trajectoire.

Dans une tribune au vitriol, le député Thierno Alassane Sall s’attendait lui plutôt à un recadrage par le président de son Premier ministre et a dit sa déception, estimant que c’est une prise de parole « qui a choqué presque autant » que les propos d’Ousmane Sonko. Pour Thierno Alassane Sall, la réponse du chef de l’État aux propos polémiques de son Premier ministre a été « un glissement grave ». Le député estime que le président a fait le choix de défendre son « ami » au détriment des piliers de la République. Dès lors, refuser de désavouer ses propos, c’est accepter une remise en cause de l’autorité présidentielle. « Il n’y a pas d’autorité là où l’on hésite à rappeler à l’ordre ceux qui franchissent les lignes rouges de la République. » Au-delà du malaise institutionnel, Thierno Alassane Sall met en accusation ce qu’il appelle le « Protocole du Cap Manuel », un accord politique secret entre Diomaye et Sonko qui aurait organisé leur conquête du pouvoir plus sur la base d’ambitions personnelles que de projet commun.

Le député ne manque d’ailleurs pas de s’interroger sur la crédibilité des engagements du chef de l’État à défendre la justice et la démocratie. « Que valent désormais ses refrains répétés sur la nécessité de libérer la Justice (otage de qui ?), si lui-même n’est pas en mesure de prononcer un mot de compassion envers les magistrats ? ». Tout comme l’incohérence qu’il relève entre les déclarations d’intention du Président et la réalité des actes judiciaires. « Il n’est pas apparu paradoxal aux yeux du Président qu’au moment où il parle de libérer la Justice, des prisonniers d’opinion continuent à affluer dans les geôles de la République comme jamais ». Thierno Alassane Sall pointe ainsi une justice où « le parquet, capable d’une intraitable sévérité contre des pécadilles quand il s’agit d’Abdou Nguer, de Moustapha Diakhaté ou encore de Badara Gadiaga, se bouche les oreilles pour ne pas entendre les propos de Ousmane Sonko ».

Pour TAS, seule une action immédiate pourra convaincre de la sincérité du président. Et celui-ci de rappeler que les attaques du Premier ministre ont visé des institutions fondamentales. « Des magistrats ont été gravement mis en cause. Des accusations aussi violentes que gratuites ont été proférées contre une institution dont l’indépendance est le socle de tout État de droit. » Face à cela, « l’émotion légitime de beaucoup… ne méritait ni réponse claire, ni condamnation ferme ».

Le président de la république, clef de voûte des institutions

Les attaques du PM contre la justice, la presse, l’opposition sont devenues tellement récurrentes, qu’elles en arrivent à être banalisées et considérées comme normales auprès d’un certain public qui suit ce refrain hostile, sans toutefois mesurer la réalité des accusations et le danger qui est de tenter d’affaiblir ces institutions de la république. Une posture pourtant facilement évitable, d’autant plus que le déclenchement d’une procédure contre tout magistrat passible d’une faute, n’obéit qu’à une autorisation préalable, celle du ministre de la justice qui peut au préalable demander la diligence d’une enquête au niveau de l’Inspection générale de l’Administration de la Justice (IGAJ). De même, tout journaliste peut faire l’objet d’une plainte auprès du Cored, le tribunal des pairs. Comment en effet concevoir que l’on puisse traiter un opposant de « résidu » ou un membre de la société civile de « fumier », alors que dans le même temps, l’on déplore des propos et comportements supposés déplacés de chroniqueurs et de journalistes ? Pourquoi ce besoin de les lyncher tous sur la place publique, alors qu’il existe dans les différentes corporations énormément de magistrats et de journalistes intègres ?

La vérité est que ceux qui s’en prennent au président de la république, ne mesurent certainement pas son vrai poids. Il a de tels pouvoirs que lorsqu’on l’attaque, on s’attaque à l’Etat dans sa toute-puissance. Le président trône en effet au-dessus des institutions de la république. Il est le garant du fonctionnement régulier des institutions, de l’indépendance nationale et de l’intégrité du territoire. Il est le gardien de la Constitution et le premier protecteur des Arts et des Lettres. Il incarne l’unité nationale. Il détermine la politique de la Nation et préside le Conseil des ministres.
Il signe les ordonnances et les décrets. Le président de la République nomme aussi aux emplois civils et militaires. Il est responsable de la Défense nationale. Il préside le Conseil supérieur de la Défense nationale et le Conseil national de la Sécurité. Il est le chef suprême des armées.

Le président de la République accrédite les ambassadeurs et les envoyés extraordinaires auprès des puissances étrangères. Les ambassadeurs et les envoyés extraordinaires des puissances étrangères sont accrédités auprès de lui. Le président de la République a le droit de faire grâce.
Il peut adresser des messages à la Nations. Il nomme le Premier ministre et met fin à ses fonctions. Ce qui veut dire qu’il n’est pas n’importe qui puisqu’il est le président de ceux qui ont voté pour lui comme ceux qui n’ont pas voté pour lui. D’où sa posture républicaine qui est d’être au-dessus de la mêlée. Ce qui signifie en d’autres termes, tous ceux qui cherchent à imposer une prégnance du parti dans la gestion étatique, se trompent.

L’affaissement du niveau des politiques

La politique en tout cas, telle qu’elle se mène actuellement sous nos cieux, ne laisse pas beaucoup de place à la force des arguments. Il suffit de noter ce type de campagne impudique qui se mène dans les réseaux sociaux, appelant à limoger les ministres de la justice et de l’intérieur, Ousmane Diagne et Jean Baptiste Tine, afin de les remplacer respectivement par Alioune Ndao et Waly Diouf Bodian. Comme si la gestion du pouvoir devait s’exercer au niveau des réseaux sociaux dans une sorte de logique d’onction populaire ? Que reproche-t-on au juste à ces deux-là ? Peut-être de ne pas trop se soumettre aux caprices du Pastef !

Tout comme cette sortie aussi explosive que celle du ministre de l'Energie, du Pétrole et des Mines, à l'Université Gaston Berger de Saint- Louis, ce temple du savoir, dans le cadre d’une activité des jeunes de Pastef. Il a tout simplement appelé les jeunes de Pastef à rendre leurs insultes à tous ceux qui osent insulter Ousmane Sonko. "Ku saaga Ousmane saaga leen ko (Insultez tous ceux qui osent insulter Ousmane Sonko)", a-t-il lancé aux militants. Des propos accueillis, dans la salle, par un tonnerre d'applaudissements.

Une situation qui a d’ailleurs installé la polémique dans les réseaux sociaux. Beaucoup d'internautes dont des responsables du parti au pouvoir n'ont pas hésité à dénoncer une telle sortie. Pour eux, il appartient à la Justice de faire appliquer la loi contre les insulteurs.
Parmi les pourfendeurs de Birame Soulèye Diop, il y a Lamine Niang, responsable Pastef et Directeur général du quotidien national "Le Soleil". « Dans un temple du savoir, on encourage la force des arguments et la bataille des idées. Revenons à l’orthodoxie idéologique de Pastef. L’émotion est mauvaise conseillère », a-t-il posté sur Facebook.

Seydi Gassama d'Amnesty Sénégal ajoute, de son côté, que "venger l'insulte par l'insulte ne peut que créer l'anarchie et même troubler l'ordre public". "Tous les acteurs politiques et sociaux doivent promouvoir un débat public serein et porteur de progrès pour le pays", souligne-t-il. Mais il ne manque de gens pour soutenir Birame Soulèye Diop. Certains militants s'en sont même pris à tous les responsables qui critiquent le ministre de l'Energie, du Pétrole et des Mines.

Tout cette ambiance électrique de clivages et de haine manifestes, est sans doute lié à l’affaissement du niveau des politiques (comme des autres secteurs d’ailleurs de la vie nationale) au point que le seul génie déployé est de type musculaire. Il y a comme une sorte de carence qu’on cherche à camoufler avec la poussière de la meute. Disons que la politique s’est gravement dépréciée sous nos Tropiques. Il y a aujourd’hui comme une sorte de « rachitisation » continue des us et codes. La culture tik-tok ou fast-food empêche les jeunes loups de la politique de proposer à leurs cibles, en majorité des jeunes, d’ailleurs de moins en moins cultivés avec un niveau d’études qui se déprécie de plus en plus, des contenus structurés qui vont leur permettre d’avoir plus de lisibilité sur la gestion de la cite et sur l’avenir qu’on leur propose.

De ce point de vue, il y a une nette différence entre les hommes politiques actuels et leurs aînés, ceux-là qui avaient une solide culture politique et étaient beaucoup éduqués et plus cultivés.

On oublie souvent que la politique n’a pas commencé dans ce pays en 2000, ni 2012 ou 2019 et encore moins en 2024. Et qu’à des moments déterminés de la vie de cette jeune nation, les vertus de la discussion et l’intelligence consensuelle ont régulièrement pris le dessus sur les instincts basiques, guerriers, fermés et souvent suicidaires. Me Wade par exemple a dû mener par exemple 26 ans d’opposition avant d’accéder au pouvoir. Que représente alors le temps d’opposition de Macky Sall et d’Ousmane Sonko ?

Il est en tout cas bien incompréhensible, avec toute l’expérience politique acquise par notre pays, depuis plus d’un siècle, qu’on en arrive là. Et que nos hommes politiques se prennent encore et toujours pour des demi-dieux sortis de la cuisse de Jupiter ou des messies sans qui le Sénégal ne sera pas sauvé de la pauvreté.

Selon des observateurs, cette cohue dans la gouvernance, est assimilable à une volonté de mettre la pression sur le président de la République, dans le seul but de recentrer la gestion du pouvoir dans le giron de Pastef, avec en ligne de mire, la candidature d’Ousmane Sonko en 2029. Une situation qui intervient au moment où est évoquée l’émergence d’un mouvement de soutien « And Doleel Diomaye » qui tisserait sa toile à Touba.

Mais la vraie question est surtout de savoir où cette ambiance électrique et de confusion dans la gestion du pouvoir nous mènera, si ce n’est tout droit dans le mur. Après les attaques répétées contre la magistrature, l’opposition, la presse, la société civile et maintenant le président de la république, qui pourrait-on épargner ? Une bonne question.

 

 

 

 

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