NETTALI.COM - « Les ressources naturelles appartiennent au peuple. Elles sont utilisées pour l’amélioration de ses conditions de vie… » : cette disposition de l’article 25-1 de la Constitution, introduite lors du référendum de 2016 sous Macky Sall, devait poser les bases d’une gestion vertueuse des ressources extractives du Sénégal. Huit ans plus tard, alors que les premiers barils de pétrole et cargaisons de gaz ont quitté les côtes sénégalaises, la question de la destination réelle des recettes issues de cette exploitation devient plus pressante que jamais.

En février 2025, l’opérateur australien Woodside Energy annonçait avoir vendu près de 13 millions de barils de pétrole pour un montant total de 595 milliards F CFA en 2024, alors que le premier baril n’avait été extrait que le 11 juin 2024. Cela signifie que cette manne est issue d'à peine six mois d'exploitation.

Dans la foulée, la première cargaison de gaz naturel liquéfié a quitté le Sénégal le 15 avril 2025, générant d’autres revenus substantiels. En toute logique, les prévisions cumulées de recettes pétrolières et gazières pour l’année 2025 devraient aisément dépasser 2 000 milliards F CFA.

Un écart abyssal entre revenus générés et recettes budgétaires

Et pourtant, surprise : selon le quotidien national Le Soleil, relayant les prévisions officielles du ministère des Finances, les recettes budgétaires issues des hydrocarbures ne dépasseraient pas 227,22 milliards F CFA pour les trois prochaines années : 61,59 milliards en 2026, 91,93 milliards en 2027 et 73,70 milliards en 2028.

Un chiffre dérisoire au regard des revenus réels du secteur.

L’économiste Khadim Bamba Diagne avait déjà tiré la sonnette d’alarme en février 2025, expliquant que 75 % des revenus bruts sont absorbés par les coûts de production, et sur les 25 % restants, 80 % reviennent aux compagnies pétrolières, 18 % à Petrosen, et à peine 2 % sous forme de taxes et redevances à l’État. Selon lui, sur les 595 milliards F CFA de ventes annoncées, l’État sénégalais ne pourrait espérer que 70 milliards. Mais la loi de finances initiale 2025 prévoit encore moins : 49,65 milliards F CFA en 2024 et 72,53 milliards en 2025, soit 122,18 milliards sur deux ans.

Un paradoxe budgétaire dans un contexte de crise financière

Alors que l’État peine à boucler ses fins de mois, recourt massivement à des emprunts sur le marché régional de l’UEMOA et auprès du FMI et de la Banque mondiale, ses ressources naturelles génèrent des centaines de milliards qui semblent lui échapper. À défaut de moyens de pression pour réviser les contrats en vigueur, Dakar apparaît pieds et poings liés face aux majors du pétrole et du gaz.

Autre paradoxe : malgré l’exploitation effective du pétrole et du gaz, la Senelec peine à s’approvisionner en gaz domestique et vient tout juste d’obtenir un agrément pour importer elle-même ce combustible stratégique. Par ailleurs, l’État a récemment suspendu l’exploitation du gisement de Yaakaar Teranga, officiellement pour des raisons de rentabilité.

Quant au pétrole brut, raffiné par la SAR (Société Africaine de Raffinage), l’opinion publique ignore encore si l’entreprise l’acquiert au prix du marché international ou bénéficie d’un quota domestique.

La renégociation promise… et oubliée

Avant son accession à la primature, Ousmane Sonko avait promis, dans un discours retentissant, de renégocier tous les contrats pétroliers et gaziers jugés déséquilibrés. Depuis son entrée en fonction, le dossier semble avoir été rangé dans un tiroir. Pire, Woodside a ouvert un contentieux avec l’État du Sénégal portant non pas sur la répartition des revenus, mais sur des différends fiscaux.

Tous les indicateurs laissent penser que le Sénégal est en train de glisser dans le piège de la « malédiction des ressources naturelles » : des recettes colossales accaparées par des compagnies étrangères, un État en surendettement, et une population toujours dans l’attente des bénéfices sociaux promis.

Le Sénégal doit donc  urgemment publier les contrats pétroliers et gaziers, réévaluer les mécanismes de partage de production, clarifier les modalités de fourniture en pétrole et en gaz pour le marché domestique et relancer la promesse de renégociation des contrats, sous peine de voir le pays définitivement spolié de sa rente énergétique.