NETTALI.COM - Après moult déclarations, communiqués, posts, certains pour poser des conditions, d’autres pour prendre position sur les termes de références, d’autres encore pour marquer leur approbation ou désapprobation au dialogue national, l’évènement politico-socio-religieux a finalement eu lieu le 28 novembre 2025, conformément au rendez-vous institué par Macky Sall et baisse ses rideaux, le mercredi 4 juin. Le seul hic dans l’affaire est que l'ancien président n’y a pas participé, malgré la présence remarquée de certains de ses anciens ministres, DG et alliés.
Mais qu’est-ce qu’elle fut animée cette grand-messe politique ! Elle a en tout cas permis à certains hommes politiques disparus des radars médiatiques depuis belle lurette, de ressurgir comme par enchantement. Les images qui ont circulé ont ainsi révélé des moments forts d’expositions médiatiques, sur fond de conciliabules, de messes basses, de poignées de mains, d’éclats de rire, de tapes dans les dos, mais aussi de regards en chien de faïence etc.
Dans le lot des présents, plusieurs catégories d’acteurs ont été notées : une société civile sur sa ligne constante de renforcement des institutions, de la bonne gouvernance, du processus électoral, de l’exercice des libertés ; cette vieille garde composée de Moustapha Niasse, d’Aminata Mbengue Ndiaye, Mamadou Diop Decroix, Idrissa Seck etc ; ces religieux, acteurs culturels, artistes et ces communicateurs traditionnels sans cesse en quête de renforcement de la culture de la paix et de la concorde nationale ; ceux qui ont voulu faire des clins d’œil aux nouvelles autorités ; Il y a enfin ceux qui ont des choses à se reprocher et qui cherchent des parapluies contre d’éventuelles poursuites ou désagréments judiciaires. En somme, le Sénégal dans ce qu’il compte de composantes.
Un mélange de différentes catégories d’acteurs qui a poussé l’ancien directeur de cabinet de Me Wade et actuel PCA de la Senelec, Habib Sy, à juger à « Jury du Dimanche » d’Iradio / D’ITV, qu’il y a " trop de participants, trop de folklores, trop de politiques-spectacles " et que " ce n’est pas toujours utile ", préconisant "un format plus restreint, avec des acteurs expérimentés, capables d’apporter des contributions pertinentes." " Quand vous mélangez politiques, société civile, chefs religieux, etc., ça devient un grand forum où l’efficacité se dilue. Il faut des formats de travail resserrés, avec de vrais sachants, pour aboutir à des solutions concrètes ", a suggéré celui-ci.
Des innovations qui risquent d’attendre encore puisque le chef de l’État, déjà plongé dans son dialogue, a justifié de son bien-fondé en donnant un exemple qui allait sans aucun doute parler aux politiques. A savoir que sur les 386 partis politiques recensés au Sénégal, seuls les 14 sont en règle, laissant voir que s’il avait pris la décision en tant que président de la république de dissoudre 372 partis politiques, on allait dire qu’ "il ne devrait pas procéder ainsi sans dialogue ". C'est pourquoi, a pensé le président de la république, "il est nécessaire d'échanger et de dialoguer sur le système politique " ajoutant ceci : "heureusement que ce conclave est organisé dans un contexte où il n'y a pas d'élection et je n'ai aucun agenda caché ".
Une tribune pour opposants de fraîche date et défenseurs d'une presse libre et indépendante
Un dialogue qui a finalement rendu un grand service aux opposants en leur servant de tribune. D’Amadou Ba, en passant par Ali Ngouille Ndiaye, Khalifa Sall, tous ont presque abondé dans le sens en dénonçant la posture du régime actuel. Il a par exemple été beaucoup question de libération des détenus considérés comme politiques, de restrictions de libertés individuelles sans décisions judiciaires, d’"arrestations et d’interpellations qui ne sont pas des méthodes qui peuvent permettre une gouvernance apaisée, de réforme de la Haute Cour de Justice pour garantir l’impartialité des juges et remédier à l’absence d’un double degré de juridiction "qui prive de recours équitables".
Des préoccupations liées au processus électoral ont aussi été soulignées. Il s’agit du renforcement des moyens et de l’indépendance de la Commission électorale nationale autonome (Cena) et sur l’inscription automatique des jeunes majeurs sur le fichier électoral, sans oublier l’introduction de la proportionnelle dans l’élection des députés ou d’un second tour dans le scrutin majoritaire.
Il a été également beaucoup question de liberté et d’indépendance de la presse surtout les arrêtés administratifs ciblant certains organes de presse qui ont été déplorés, considérés qu’ils sont comme "une tentative manifeste de museler la presse et de restreindre la liberté d’expression ", alors même que celle-ci constitue, rappelle-t-il, un pilier essentiel de toute démocratie. Ils ont en effet été nombreux à appeler de leurs voeux à des concertations pour prendre en charge les préoccupations de ce secteur névralgique. Seydi Gassama, le Directeur exécutif d’Amnesty International Sénégal, est ainsi revenu sur le rôle majeur de la presse dans la marche démocratique du pays, précisant que "celle-ci a contribué au développement de la conscience citoyenne dans ce pays ainsi qu’à la transparence des élections et à la publication des résultats".
Embouchant la même trompette, le communicateur traditionnel a rappelé le rôle de la presse et invité le chef de l'État à les accompagner, précisant que cette presse a toujours été aux côtés du président en couvrant toutes vos activités et continue de le faire à l’heure actuelle.
L'ancien ministre Ali Ngouille a pour sa part évoqué l'article 11 de la constitution qui dispose que la création d'un organe de presse n'est soumise à aucune autorisation, pointant du doigt le ministre de la communication qui a récemment interdit certains organes de diffuser, estimant que ni la loi, ni la constitution ne l'y autorisent. Une manière de dénoncer l'interdiction de diffuser contre certains médias.
En somme, des déclarations qui ont concerné la partie médiatisée et publique avec des participants qui ont dit tout ce qu’ils avaient sur le cœur.
Des tendances ont filtré
Toujours est-il qu’au-delà de ces complaintes et doléances, des tendances dans les discussions ont déjà commencé à filtrer, ainsi que l’a révélé le journal « Les Echos » dans son édition du lundi 2 juin. A savoir : le rejet par Pastef de l’article 80 ; l’unanimité sur le statut de chef de l’opposition pour le candidat arrivé 2ème à l’élection présidentielle ; le rejet par Pastef du cumul des mandats, alors que l’opposition est d’accord pour le cumul « député-maire » ; le refus par l’opposition du renforcement des pouvoirs du Premier ministre ; la rationalisation des partis politiques avec un parrainage limité pour créer un parti politique ; un accord total sur le bulletin unique, le vote des détenus et le débat au 2ème tour de la présidentielle ; les 21 jours de campagne maintenus.
Le journal Le Quotidien du mercredi 4 juin lui, nous apprend que sur les sujets liés à la nature du régime, les fonds politiques, l'article 80 (trouble à l'ordre public), le statut du chef de l'opposition.... il n y a pas eu de consensus.
Sur cette dernière question spécifique du chef de l’opposition d'ailleurs, selon certaines indiscrétions que la question n’est pas tranchée entre les deux positions sur celui qui doit l'être : celui qui est arrivé 2ème de la présidentielle et le critère de 2ème force issue des législatives.
Entre des "écartés" et des "contre-dialogueurs"
Mais l’on ne pouvait pas ne pas évoquer, en marge du dialogue, tous ceux-là qui ont fait des sorties pour déplorer leur mise à l’écart, Cheikh Oumar Diagne et Guy Marius Sagna notamment. D’ailleurs ce dernier a ouvertement accusé le ministère de l’intérieur, le général Jean-Baptiste Tine, de les avoir «délibérément écartés » des concertations sur le système politique sénégalais, dénonçant une manœuvre antidémocratique visant à réduire au silence les forces sociales les plus critiques, estimant que "Le FRAPP n’est pas un faire-valoir à agiter devant les caméras. Il est un patrimoine du peuple ". Il serait en tout cas intéressant de savoir le vrai positionnement de Guy Marius Sagna et ce qui le fait courir. Est-il un homme politique, un député, un activiste ? Difficile de savoir alors qu’il est lui-même député de Pastef !
De même, au moment où se tenait le dialogue national, le Nouveau front force alternative (NFA), a organisé son "contre-dialogue". L'Alliance pour la République, l’ex-maire de Dakar, Barthélemy Dias ainsi que le mouvement Gueum Sa Bopp Les Diambars, pour ne citer qu'eux, tenaient des concertations parallèles, le même jour, intitulé "Dialogue alternatif et citoyen", ou encore "contre-dialogue". Durant plus de trois tours d'horloge, cette frange de l'opposition s'est entretenue avec le public sur des questions économiques démentant le Premier ministre sur certaines de ses déclarations, estimant que “le peuple a droit à l'information » tout en s’interrogeant sur l’utilisation des ressources publiques.”
L’Alliance pour la République, emmenée par l’ancien ministre de la Jeunesse, Pape Malick Ndour, s’est surtout appesanti sur les sujets économiques, notamment la question de la dette, ciblant ces emprunts considérables chez les pays voisins tels que le Mali et la Côte d'Ivoire. L’ancien ministre de la Jeunesse sous Macky Sall, nous a par exemple appris que dans le budget 2024, déjà, l'extérieur a contribué à hauteur de 1 178 milliards F CFA. Plus virulent que ses alliés de l'opposition, Bougane Guèye Dany s'est offusqué des dettes auprès du Mali et s’est inquiété de l’opacité qui entoure le rapport d’exécution budgétaire que l’ancien régime publiait, qui était un outil pour contrôler l’action de l’État et qui n’est toujours pas rendu public. Gueum Sa Bopp a aussi alerté sur « la dette qui devient de plus en plus exponentielle ».
Une opportunité de dialogue ou non, à mesurer en fonction des résultats
La question est au-delà, de savoir quelle est la vraie position d’Ousmane Sonko sur ce dialogue, alors que des observateurs ont semblé voir à travers sa phrase prononcée au "Grand Théâtre National", lors du lancement de la phase 2 du Projet d’Appui et de Valorisation des Initiatives Entrepreneuriales (PAVIE), qu’il n’était pas pour ces conclaves. "Notre pays n’a pas de problème politique, pas de problèmes sociétaux… Notre pays a un seul problème et un seul défi à relever : c’est le défi économique ", avait-il déclaré.
Il était en tout cas bien présent, ce cher Ousmane Sonko et a échangé des poignées de mains, quelques mots par-ci, par-là, adressé quelques sourires, etc, mais sans piper mot, les jambes et les mains croisées. Une posture tout à fait éloquente qui laissait transparaître qu’il attend sans doute patiemment le moment venu pour se prononcer. Il a même eu droit à une flèche décochée par Anta Babacar Ngom, la présidente du Parti Alternative Pour La Relève Citoyenne (ARC) qui a répondu subtilement au premier ministre Ousmane Sonko, lui faisant comprendre que comme il peut le constater, "l'opposition n’a rien de résiduel, elle est vivante, consciente et exigeante ".
Mais dans ce brouhaha, ce qui va être le plus important, c’est ce qui va ressortir des travaux des trois commissions (la commission réforme institutionnelle et organes de gestion des élections, la Commission processus électoral et la commission démocratie, liberté et droits humains), le consensus qui va se dégager et la suite à donner. C’est en ce moment qu’on saura si le dialogue en valait la peine ou pas.