NETTALI.COM - Quels rois de la surenchère que nos hommes politiques sénégalais ! L’on se rend en effet compte que, dans leur grande majorité, la plupart d'entre eux ne veut en réalité pour rien au monde, rater cette grand-messe de la politique. Aussi, certains ont-ils tenté de montrer qu’ils comptent et qu’ils ne sont pas prêts à participer à ce dialogue, à n’importe quelles conditions.

Bien malin en tout cas celui qui s’aventurera à vouloir satisfaire toutes ces conditions posées, surtout que certaines ont été formulées à 48 heures de l’évènement. Bref, entre les politiques et le bluff, c’est une bien vieille et longue histoire.

Participation ou pas à ce dialogue ou pas, deux logiques s'affrontent. Une première qui défend l’idée selon laquelle, la politique de la chaise vide n'est jamais bonne. Une seconde qui développe la thèse selon laquelle, le régime actuel veut seulement faire valider certaines décisions déjà arrêtées. Une thèse confortée par l'analyste Bachir Fofana qui pense que ce dialogue n'est pas nécessaire, estimant que celui de 2020 sur le système politique a produit 25 points d'accord, citant l'élection du maire au suffrage universel direct, le projet de loi sur le financement des partis politiques, le statut de chef de l'opposition, etc. Si le président Diomaye veut une cour constitutionnelle, il a sa majorité, croit savoir  Fofana, pour cela ; si le président souhaite que tout sénégalais âgé de 18 ans puisse être inscrit sur les listes électorales, aucun souci, selon lui. Citant un exemple, celui de renforcer les pouvoirs du Premier ministre, il conseille aux participants de faire attention. Tout au plus recommande le journaliste a l'opposition d'exiger un référendum pour tout ce qui va nécessiter une révision de la constitution. Même son de cloche chez Ibou Fall qui pense que le gouvernement a la majorité qui lui permet de gouverner, concluant qu’il a la marge de manœuvre pour cela. Une manière de disqualifier le dialogue.

Comble de l’ironie, c’est le parti Pastef qui a toujours refusé toute participation à un dialogue sous Macky qui l’organise. De même, c’est ce dernier, Macky Sall en l’occurrence, patron de l’Apr qui avait instauré cette date du 28 mai journée du dialogue qui sera le plus grand absent de ces discussions. Son parti a tout bonnement récusé Cheikh Guèye qu’il juge partisan et ne se voit pas non plus participer à un dialogue, au moment où les membres de son parti vivent des déboires judiciaires sans précédent.

Ce cher ex-président de la république Sall n’a pas toutefois pu compter sur la solidarité de certains de ses anciens ministres et DG parmi lesquels Abdoulaye Diouf Sarr, Abdoulaye Daouda Diallo, Abdou Karim Sall, Ali Ngouille Ndiaye et Modou Diagne Fada. De même que sur celle d’Amadou Ba, le candidat malheureux à la présidentielle passée qu’on a récemment vu en plein conciliabule avec le premier ministre Ousmane Sonko, lors des 50 ans de carrière d'architecte de Pierre Goudiaby Atepa. On imaginait bien que certains membres en particulier ministres de l’APR n’auraient pour rien au monde raté cette grand-messe politique. Allez savoir pourquoi !

Côté opposition, même Khalifa Sall l’ancien allié de Pastef, devenu par la suite opposant de Pastef, sera de la partie. De même qu’Idrissa Seck de Rewmi devenu très aphone depuis son maigre résultat de la présidentielle. Tout comme le Parti démocratique, soutien de l’APR aux Législatives passées et affilié au groupe parlementaire Takku Wallu mené par l'Alliance pour la République qui participe à ces concertations. Book Guiss Guiss de Pape Diop, Aminta Mbengue Ndiaye du Parti socialiste, Oumar Sarr aussi. Par contre l’empêcheur de tourner en rond du Pastef, Thierno Alassane Sall a lui préféré décliner l’invitation. De même que Bougane qui organise en compagnie de "Rappel à l'ordre", RTS, un contre dialogue avec plusieurs thématiques telles que la confiscation des libertés publiques, la nécessité d'une abrogation totale des libertés publiques et la criminalisation de l'homosexualité.

Tout cela pour dire que la plupart de la classe politique sera bien présente, surtout qu’il s’agit de défendre les intérêts supérieurs de la politique et de la nation.

Pour beaucoup d’hommes politiques en effet, ce dialogue est l’occasion rêvée pour à nouveau être sous le feu des projecteurs puisqu’on ne les avait plus, pour beaucoup, vus nulle part, en dehors des députés de l’opposition qui siègent à l’Assemblée nationale, depuis la débâcle de la présidentielle et la razzia du pastef des législatives.

Privilégier les vertus de la discussion pour apaiser les tensions et réduire les clivages

La question à se poser aujourd’hui est d’ailleurs de savoir comment se passer des vertus de la discussion au regard de l’ambiance qui reste tendue, du duel Pastef-APR qui se prolonge, des clivages persistants notamment entre anciens alliés (Sonko, Barth, Khalifa Sall par exemple) et ces règlements de compte que l’on brandit sans cesse pour critiquer la reddition des comptes et l’emprisonnement d’anciens dignitaire du régime passée.

Ne pas admettre que ce pays a changé depuis quelques années dans le mauvais sens du terme, relève à la vérité de l’aveuglement et de la mauvaise foi. A la place des vertus du dialogue que l’on attribue au président Senghor sous le vocable « pays de dialogue » et qui ont toujours prévalu, c’est le paradigme musculaire qui structure désormais les rapports dans le champ politique, sur fond de violence verbale, d’invectives et de débats au ras de pâquerettes. Il suffit de suivre les sessions parlementaires à l’Assemblée nationale pour se rendre à l’évidence que les crispations sont réelles et les débats sont loin d’être sereins et sont en plus totalement en inadéquation avec ce que le peuple attend de ses représentants. L'attitude hostile du  Premier ministre vis-à-vis des députés de Takku Wallu le démontre à suffisance.

La politique, telle qu’elle se mène actuellement sous nos cieux, n’est pas productrice de progrès démocratique et encore moins de renforcement des institutions. Cela est sans doute lié à l’affaissement du niveau des politiques (comme des autres secteurs d’ailleurs de la vie nationale) au point que le seul génie déployé est de type musculaire. Il y a comme une sorte de carence qu’on cherche à camoufler avec les déclarations hostiles, guerrières et viriles. Disons que la politique s’est gravement dépréciée sous nos Tropiques. Et l’on oublie souvent qu'elle n’a pas commencé dans ce pays en 2000, ni 2012 et encore moins en 2024. Et qu’à des moments déterminés de la vie de cette jeune nation, les vertus de la discussion et l’intelligence consensuelle ont régulièrement pris le dessus sur les instincts basiques, guerriers et souvent suicidaires de nos jours.

Il est d’ailleurs bien incompréhensible, avec toute l’expérience politique acquise par notre pays, depuis plus d’un siècle, qu’on en arrive là. Et que nos hommes politiques se prennent encore et toujours pour des demi-dieux sortis de la cuisse de Jupiter ou des messies sans qui le Sénégal ne sera pas sauvé de la pauvreté.

La question à se poser, est dès lors de se demander si l’APR a vraiment raison d’ignorer ce dialogue. Car se retirer de discussions qui engagent l’avenir du pays, ce n’est pas affirmer une ligne, ni un positionnement, c’est même renoncer à les défendre là où ils comptent. Se faire entendre et se faire comprendre surtout par rapport à ce que l’ancien régime considère comme une campagne de dénigrement, des règlements de compte intentés contre ses membres et une volonté de salir son bilan. C’était pour ce parti l'occasion inespérée de se faire entendre sur la question de la défense des libertés, sur l’évolution de la démocratie, sans oublier la vision du futur du pays et sa gestion actuelle. Qu’on le veuille ou non, cette non-participation affaiblit toute prétention à porter un projet alternatif.

Et même si d’aucuns ont toujours déploré certains dialogues comme celui de la veille de la présidentielle 2024 qui n’avait d’autre motivation que celle de chercher à rebattre les cartes et reporter l’élection, le menu de celui-ci semble par contre bien appétissant et copieux, pour que des politiques soucieux de leur avenir, puissent le rater.

Une concertation inclusive pour poser les bases d'un renouveau démocratique

Ce grand rendez-vous républicain qui se veut un cadre de concertation inclusive pour poser les bases d’un renouveau démocratique au Sénégal, permettra ainsi d’aborder plusieurs sujets. Notamment des questions de Démocratie, de libertés et de droits humains. Sur le point relatif à la démocratie d'une manière générale, les discussions porteront notamment sur la “rationalisation des partis politiques et du calendrier républicain, l’encadrement du financement des partis, ainsi que la reconnaissance du statut de l’opposition et de son chef”. Selon les initiateurs du dialogue, l’objectif est de “renforcer le pluralisme tout en assurant une plus grande stabilité du système politique”.

De même, il faudra repenser le processus électoral. Et il sera question d’examiner plusieurs aspects clés tels que “les modalités du parrainage, l’inscription automatique sur le fichier électoral avec la carte d’identité biométrique CEDEAO, l’opportunité d’un audit du fichier électoral, la numérisation du processus ainsi que le vote des personnes en détention”. Aussi, il sera mis sur la table et discutée la question des “spécifications techniques du bulletin unique”.

Mais le hic dans ce volet processus électoral est que le dialogue national prévu ce mercredi 28 mail à Diamniadio n’a pas encore ouvert ses portes que le débat enfle déjà autour de l’un des points inscrits à l’ordre du jour : l’opportunité de remplacer la Commission électorale nationale autonome (CENA) par une Commission électorale nationale indépendante (CENI). Une proposition portée par le président Bassirou Diomaye Faye et qui figurait dans ses promesses de campagne. La proposition de remplacer la CENA par une CENI suscite des réactions contrastées. Si certains saluent une avancée démocratique promise par le président Diomaye Faye, d’autres dénoncent une réforme “inutile” et motivée par des calculs politiques. Cette initiative rencontre en tout cas des oppositions de taille. Ibrahima Thiam, président de l’Alliance pour la citoyenneté et le travail (ACT) juge ce projet “inopportun” et “mal fondé”. Dans un entretien à l’Agence de presse sénégalaise, il estime qu’aucune situation de crise électorale ne justifie aujourd’hui une telle réforme, rappelant que la présidentielle de mars 2024 s’est déroulée dans un climat apaisé et sans contestation majeure. « Pourquoi vouloir tout bouleverser si ce n’est pour des calculs politiques à moyen terme ? », s’interroge-t-il, avant de proposer plutôt un renforcement des prérogatives de la CENA existante.

Une position partagée par l’expert électoral Valdiodio Ndiaye qui, dans une interview publiée en avril dans Sud Quotidien, rappelait que le modèle de CENI trouve son origine dans les conférences nationales africaines des années 1990, à une époque de transition démocratique. Il plaide pour une modernisation des organes électoraux et suggère la création d’une “haute autorité électorale” ou d’une “délégation générale aux élections”.

Pour ce qui est du volet réformes institutionnelles et organes de gestion des élections, il ressort des termes de référence que les réformes à venir concerneront “le choix du système électoral le mieux adapté au contexte sénégalais, la place de la justice dans le processus électoral ainsi que le rôle et les attributions des autorités en charge des élections et des médias”.

Un Dialogue national pour lequel les initiateurs visent à dégager des consensus forts autour de recommandations portant sur “la révision du Code électoral, la clarification des règles électorales, la redéfinition du rôle des autorités électorales et des médias ainsi que l’encadrement de la vie politique”.

En guise de rappel, un tel dialogue se veut une étape majeure dans la volonté des autorités d’engager “des réformes profondes, transparentes et participatives pour consolider la démocratie sénégalaise”.

Dans le volet élections et même sur les questions de démocratie, il s’agira de ne point oublier la presse qui n’entretient pas les meilleurs rapports avec le régime actuel, alors qu’elle est l’une des premières institutions à veiller à la transparence des élections qui ont en partie permis à ces mêmes hommes politiques d’accéder au pouvoir. Elle est aussi l’une des premières institutions qui contribuent au renforcement de la démocratie puisque les médias, quelles que soient les critiques qu’on peut leur faire, participent activement à l’éducation et à l’éveil des populations.

Ce dialogue est donc un test pour le nouveau régime, surtout en termes de capacité d'écoute, sans oublier cet esprit d’ouverture qu'il doit apprendre à cultiver. Au moment où la gestion du pays semble concentrée entre les mains du seul parti Pastef qui ne brille par la qualité de certains de ses cadres installés à des postes stratégiques, avec des résultats économiques loin d’être au rendez-vous, il est peut-être temps de passer à une gestion plus inclusive avec les autres fils de la nation, surtout que ce ne sont pas uniquement les Pastéfiens qui ont permis à Diomaye président d'accéder au pouvoir. Loin de là.

Il ne reste plus qu'à souhaiter un bon dialogue aux participants d'où seront issues des recommandations fructueuses.