NETTALI.COM - La mise en accusation de ministres de l'ancien régime, devant la Haute cour de justice, a été actée, le jeudi 8 mai. Ils sont au total au nombre de cinq (5). Il s'agit d'Ismaïla Madior Fall, d'Amadou Mansour Faye, de Sophie Gladima, de Moustapha Diop et de Ndèye Saly Diop Dieng. Ils devront faire aux juges de la Commission d'instruction de la Haute Cour de justice.

Réunis le jeudi 8 mai 2025, dans le cadre des projets de résolution portant mise en accusation de cinq anciens ministres, les députés ont voté tous les projets.

Pour ce qui est du projet relatif à la gestion des deniers publics de 2019 à 2024 examinée par la Cour des comptes, deux ministres sont concernés.

Il s'agit de l’ancien ministre de la Justice et garde des Sceaux, Ismaïla Madior Fall qui devra s'expliquer sur l’utilisation des fonds d'assurance foncière destinés à la construction des tribunaux de grande instance de Pikine et Guédiawaye. Celui-ci est aussi accusé dans une affaire de corruption.

Le second ministre concerné est l’ancienne ministre des Mines et de la Géologie Aïssatou Sophie Gladima, mise en cause pour un préjudice de 193 millions F CFA, lié à des fonds initialement destinés à la construction d'un centre à Kédougou.

Dans l’affaire du fonds Force- Covid-19, trois ministres sont concernés. À la suite du rapport relatif à la gestion de ce fonds de riposte et de solidarité face à la Covid-19, des enquêtes ont été diligentées par la Division des investigations criminelles (Dic).

En ce qui concerne le ministère du Développement communautaire et de l’Équité sociale et territoriale, le rapport de la Cour des comptes relève un surplus global facturé pour l'achat de riz d’un montant de plus de deux (2) milliards.

L’autre ministre concerné est Moustapha Diop, ministre du Développement industriel et des Petites et moyennes industries à l'époque. Il doit s'expliquer sur un préjudice estimé à 930 millions de F CFA. Soulignons que ce sont deux milliards cinq cents millions F CFA qui ont été alloués au ministère qu’il dirigeait pour l’acquisition de masques.

Enfin, Ndèye Saly Diop Dieng, ancienne ministre de la Femme, de la Famille, du Genre et de la Protection des enfants, fait l'objet d'une procédure pour irrégularités dans les décaissements de paiements, avec un préjudice de 57 millions F CFA. La Cour des comptes révèle que son ministère a reçu une enveloppe de 150 000 000 F CFA.

L’affaire Ismaïla Madior Fall

Le 24 septembre 2024, le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Pikine- Guédiawaye a saisi la Division des investigations criminelles pour l'ouverture d'une enquête contre Cheikh Guèye, représentant de la société Technologie Consulting Service (TCS) et éventuellement toute personne impliquée, relativement à l'accaparement de l'assiette foncière du tribunal de Pikine-Guédiawaye.

En effet, en juin 2020, l'État a affecté au ministère de la Justice une assiette foncière de 2 ha 85 a 14 ca sur le Plan d'urbanisme de développement (PUD) de Guédiawaye pour réaliser le palais de Justice de Pikine- Guédiawaye. Lors de son audition, l'ancien directeur de la Construction du ministère de la Justice, Mohamed Anas El Bachir Wane, a expliqué que lorsqu'il a pris fonction en mars 2022, il a saisi, par correspondance, le directeur des Domaines et le chef du bureau des Domaines d'un état des lieux de l'assiette foncière d'une superficie de 2 ha 85 a 14 ca attribuée au ministère de la Justice.

Selon le rapport de la Commission des lois, de la décentralisation, du travail et des droits humains, après la construction du tribunal de Pikine- Guédiawaye sur une étendue de 8 327 m², l'ancien ministre de la Justice, garde des Sceaux, Ismaïla Madior Fall, lui a demandé de sécuriser le reste de l'assiette foncière.

El Bachir Wane a indiqué avoir été sollicité par le ministre de la Justice, garde des Sceaux de l’époque. Ce dernier lui avait demandé de trouver un promoteur immobilier capable de réaliser des projets d'utilité publique sur la partie inoccupée de la surface attribuée au palais de Justice de Pikine-Guédiawaye. Monsieur Wane renseigne que le promoteur a opté pour un règlement par dation en paiement des prestations dues. Sur ces entrefaites, il a présenté au ministre le nommé Cheikh Guèye. Ce dernier a confirmé ces propos, soutenant avoir été convaincu par le directeur des Constructions qui l'a conduit au bureau du ministre, où ils ont tenu une réunion tripartite à l'issue de laquelle ils ont conclu deux accords.

En premier lieu, il s’agit de la construction d'un centre d'accueil pour enfants à Liberté 6. La superficie de 373 m² devait abriter le bâtiment, dont les coûts étaient estimés à 375 000 000 F CFA, d’après le rapport. En guise de paiement, le promoteur allait recevoir un terrain d'une superficie de 1 000 m² situé dans la même zone. Deuxièmement, il y a un accord sur l'édification d'un centre de surveillance électronique pour une valeur de 576 460 571 F CFA et, en contrepartie, une superficie de 9 430 m² faisant partie du TF 01/GW a été allouée au promoteur à titre de paiement.

Cheikh Guèye a précisé avoir exigé l'établissement du bail à son nom, car Ismaïla Madior Fall lui avait personnellement réclamé la somme de 250 000 000 F CFA contre attribution des marchés. “Sans désemparer, il a remis à ce dernier un acompte de 50 000 000 F CFA en espèces dans son bureau, en présence de son directeur des Constructions Mohamed Anas El Bachir Wane”, lit-on dans la note.

Ce dernier, entendu lors de l'enquête, a confirmé les déclarations du promoteur Cheikh Guèye, reconnaissant qu'il y a eu des discussions entre Cheikh Guèye et Ismaïla Madior Fall, relativement à un montant que devait débourser le premier nommé pour la signature du contrat de construction du Centre de surveillance de bracelets électroniques, selon le rapport. Poursuivant, il a déclaré être témoin, le jour indiqué par le promoteur, de la remise effective, par M. Guèye, d'une somme d'argent en espèces à l'ancien ministre Ismaïla Madior Fall dans son bureau.

Il a signalé que “toutes les démarches en vue de l'obtention du bail ont été accomplies par le ministre de la Justice, garde des Sceaux, et le directeur des Constructions”.

Selon le rapport, quelque temps après la remise de cette somme, le promoteur Cheikh Guèye a soutenu que le ministre voulait le contraindre à lui remettre les 200 000 000 F CFA restants en espèces, ce qu'il a refusé en raison des lenteurs dans la délivrance du bail. Le ministre lui a alors restitué ses cinquante millions F CFA, tout en lui indiquant qu'il allait annuler le bail.

Le directeur des Constructions, M. Wane, a confirmé, lors de l'enquête, avoir lui-même procédé à la restitution des fonds sur demande du ministre”, a-t-on indiqué.

S'expliquant sur le retard accusé dans le démarrage des travaux de construction des deux ouvrages susvisés, Cheikh Guèye évoquait, d'une part, une absence d'autorisation de construire et, d'autre part, un désaccord avec M. Ismaïla Madior Fall qui, dès la réception de l'acompte de 50 000 000 F CFA, ne cessait de lui mettre la pression pour le versement du reliquat de 200 000 000 F CFA, alors qu'à ce moment, le bail n'avait pas encore été établi, poursuit la note.

Il a soutenu que le refus de solder le reliquat a conduit l'ancien ministre de la Justice, garde des Sceaux à mettre un terme aux accords convenus.

Il résulte de l'enquête de police portant sur l'assiette foncière affectée au ministre de la Justice, garde des Sceaux, pour la construction du tribunal de grande instance de Pikine-Guédiawaye “une violation manifeste du Code des marchés publics”.

En effet, il est expliqué qu'en attribuant les marchés de construction au promoteur Cheikh Guèye en gré à gré sans appel d'offres, le ministre de la Justice, garde des Sceaux, Ismaïla Madior Fall, a délibérément violé les articles 6, 54 et 77 du Code des marchés publics.

Mieux, il y a eu “une volonté manifeste de cacher ces marchés”, car même le Dage du ministère de la Justice, au moment des faits, M. Abdoulaye Sy, a soutenu ignorer totalement leur existence. Le moyen de paiement utilisé indique que Madior Fall aurait délesté le patrimoine foncier du ministère en violation du décret n°2020- 1281 du 8 juin 2020 portant affectation de l'assiette foncière.

En procédant ainsi, selon la Commission des lois, le ministre a également violé l'article 24 du Code des obligations de l'Administration, qui définit les principes fondamentaux de l'efficacité de la commande publique, le tout sans préjudice des fautes pénales qu'il a commises.

Soulignons que les cinq (5) ministres devront faire face, après cette mise en accusation, à la commission d'instruction de la Haute Cour de justice composée de Magistrats professionnels au nombre de cinq (5). Ceux-ci devront instruire à charge et à décharge.

Avec EnQuête