NETTALI.COM - De l’affaire Me Babacar Sèye à la Commission d’enquête parlementaire contre la décision invalidant la candidature de Karim Wade, la relation entre le Parti démocratique sénégalais (Pds) et le Conseil constitutionnel a toujours été marquée par des tensions. Décryptage d’une relation aux multiples taches noires.

Le Parti démocratique sénégalais (Pds) n’est pas à son premier coup. Sa commission d’enquête parlementaire initiée contre la décision du Conseil constitutionnel invalidant la candidature de Karim Wade à l’élection Présidentielle du 25 février 2024 a juste fortifié les taches noires dans les relations entre le Pds et l’institution judiciaire. En effet, les députés du Pds ont juste suivi les pas de leur leader, Me Abdoulaye Wade, Secrétaire général national dudit parti. Avant cette commission d’enquête parlementaire, il y a eu l’affaire Me Babacar Sèye (alors vice-Président du Conseil constitutionnel assassiné en 1993) dans laquelle le Secrétaire général national du Pds, Me Abdoulaye Wade, était cité. Il y a eu d’autres épisodes, selon le journaliste-analyste politique, Aliou Ndiaye, qui soutient qu’au moment où il était dans l’opposition et même quand il était au pouvoir, Me Abdoulaye Wade a toujours eu des problèmes avec les magistrats du Conseil constitutionnel. Qu’est-ce qui explique donc cette relation «tendue» entre le Pds et le Conseil constitutionnel ? C’est quoi leur problème ? Coordonnateur du collectif des anciens de l’Union des jeunesses travaillistes libérales (Ujtl), Assane Kébé répond : «C’est parce que le Conseil constitutionnel ne nous pardonne rien, et nous ne lui pardonnons rien. Certains de ses membres ont été souvent utilisés contre nous. L’affaire Babacar Sèye a été très édifiante. Ce n’est pas pour rien que le juge Kéba Mbaye avait démissionné, ce n’est pas pour rien qu’ils ont tué Me Babacar Sèye».

A l’en croire, le problème remonte au temps du régime des Socialistes, quand ils étaient dans l’opposition. Le Pds qui est un grand parti, souligne Assane Kébé, a eu de l’expérience de par la souffrance. «Et, à force d’être confrontés à tous les pièges du Parti socialiste, ajoute-t-il, nous avons fini par avoir une idée sur la vraie personnalité de ces gens qu’on appelle membres du Conseil constitutionnel. Ce sont des personnes qui ne sont pas élues au suffrage universel et qui ne doivent leur légitimité qu’au bon vouloir du président de la République». Même s’il n’accuse pas tous les membres du Conseil constitutionnel de "corrompus’’, Assane Kébé croit fermement, comme son parti le Pds, qu’il y a des corrompus partout.

«Me Wade a une certaine aversion pour les décisions de Justice»

Le journaliste-analyste politique, Aliou Ndiaye, lui, a une autre explication du problème. Il l’analyse à partir du comportement du leader du Pds, Me Abdoulaye Wade sur les décisions de Justice. A l’en croire, Me Abdoulaye Wade serait victime de frustrations d’un avocat repoussé qui était ténor du Barreau et dont on dit qu’il n’a pas beaucoup gagné de procès et qui a gardé un certain esprit de contradictions avec les juges. Il développe : «Qu’il soit au pouvoir ou dans l’opposition, Me Wade a une petite idée de la moralité des juges et il le montre très souvent. J’ai l’impression que Me Wade a des problèmes d’avocat frustré, qui n’a pas souvent gagné ses procès devant les juges et qu’il a une certaine aversion pour les décisions de Justice. Pour lui, toutes les décisions de Justice sont entachées, si cela ne lui est pas favorable. En dehors de ça, Wade pense que son fils, Karim Wade, est au-dessus de tout et de tout le monde». Ce qui intéresse Me Wade et le Pds, c’est de gagner, pas la vérité. Ils sont en politique et ne sont intéressés que par la victoire, selon le journaliste Aliou Ndiaye.

Il ajoute : «La politique à la sauce Abdoulaye Wade, ce n’est pas très moral. La morale n’a aucune place là-bas. Ceux qui ont connu, pratiqué Abdoulaye Wade, savent qu’il est capable de vous parler aujourd’hui, de rire à pleines dents avec vous, de dîner avec vous et le lendemain, vous envoyer en prison. Ça ne lui pose aucun problème.» Ses anciens Premiers ministres, Idrissa Seck et Macky Sall sont des exemples patents. Malgré les relations qu’il a eues avec Idrissa Seck, souligne Aliou Ndiaye, on a tous vu, après, comment cela s’est terminé. «Pour Macky Sall, ajoute-t-il, Me Wade a fait des accusations contre sa famille, il a même insulté le président de la République. Il y a des tas de cas où Abdoulaye Wade est capable de sortir des trucs très gros sur quelqu’un et deux ou trois ans après se trouver avec lui à rire et à dire que c’était simplement de la politique». Même s’il n’est pas politique, le magistrat Cheikh Tidiane Coulibaly n’a pas échappé à cette pratique de Me Wade.

«Dans l’affaire Me Babacar Sèye, le juge Cheikh Tidiane Coulibaly a cru aux arguments de Me Wade et l’a blanchi»

Ce juge membre du Conseil constitutionnel fait partie, aujourd’hui, des cibles du Parti démocratique sénégalais (Pds). Avec son collègue Cheikh Ndiaye, il est accusé par le Pds de «corruption, conflits d’intérêt (…)» à la suite de la décision du Conseil constitutionnel invalidant la candidature de Karim Wade. Pourtant, le juge Cheikh Tidiane Coulibaly a eu, par le passé, d’excellentes relations avec Me Abdoulaye Wade et son parti. «Leurs relations étaient bonnes, le courant passait bien entre eux. Maintenant, qu’est-ce qui s’est passé pour qu’il y ait ces affaires-là, je n’en sais rien», déclare d’emblée Pape Samba Mboup, ancien chef de Cabinet du Président Wade. Il révèle : «Je sais qu’à l’époque, dans l’affaire Me Babacar Sèye, en 1993, Me Abdoulaye Wade a été innocenté par le juge Cheikh Tidiane Coulibaly qui était le président de la Chambre d’accusations de la Cour d’Appel de Dakar.» Son ancien frère de parti, Assane Kébé confirme : «Cheikh Tidiane Coulibaly avait refusé en 1993 de condamner Abdoulaye Wade.  Il avait cru aux arguments posés par Me Abdoulaye Wade et l’avait blanchi. Je me souviens, à l’époque, quand il avait donné son verdict, nous avions sauté de joie et l’avions considéré comme un messie.» Même s’il est solidaire avec son parti, le Pds, le coordonnateur du collectif des anciens de l’Ujtl n’approuve pas les accusations contre Cheikh Tidiane Coulibaly qui, selon lui, fait partie des rares juges non corrompus, qui ont le mérite d’être juges parce qu’ils ont des principes et des fondements sur le plan moral. «Je suis en solidarité avec le Pds, mais personnellement je n’ai rien à reprocher à Cheikh Tidiane Coulibaly. Peut-être que le Pds a des arguments que je n’ai pas, mais je tiens à ce qu’on aille jusqu’au bout. Si effectivement Cheikh Tidiane Coulibaly a quelque chose à se reprocher, je dirai qu’il a changé», dit Assane Kébé.

Le Colonel Abdoulaye Aziz Ndaw, lui aussi, témoin de l’affaire Me Babacar Sèye en sa qualité de d’Officier de Police judiciaire qui a participé à l’enquête, rappelle que le magistrat Cheikh Tidjane Coulibaly avait annulé en 1994 sans hésiter toute la procédure incriminant le Pds quand l’enquête avait démontré, suite aux accusations de tortures contre des personnes arrêtées par la Gendarmerie, que les seuls faits et personnes pouvaient lier la bande à Clédor au Pds. «Ce même juge, ajoute-t-il,  quelques années auparavant, avait relaxé Me Wade dans une procédure sur la base de la liberté de culte. Me Wade avait organisé des prières pour le départ du Président Abdou Diouf et avait été arrêté sur la voie publique pour attroupement et manifestation non autorisée. Accuser ce magistrat, lui particulièrement, est une hérésie et une atteinte grave à l’honneur d’un homme que je juge digne, courageux et conséquent».

«Me Wade avait fait de Cheikh Tidiane Coulibaly son Directeur de Cabinet dans le gouvernement élargi de Diouf»

La relation entre Me Abdoulaye Wade et le juge Cheikh Tidiane Coulibaly était profonde au point que les deux hommes ont eu à travailler dans un même Cabinet ministériel. La révélation est de l’ancien ministre libéral, Pape Samba Mboup qui était aussi dans le même Cabinet. Il détaille : «Quand Me Abdoulaye Wade est entré dans le gouvernement élargi du Président Abdou Diouf, comme ministre d’Etat auprès du président de la République, il avait fait de Cheikh Tidiane Coulibaly son Directeur de Cabinet. J’étais dans le Cabinet et nous étions installés au Building administratif. Tout le monde sait qu’on ne choisit pas n’importe qui comme Directeur de Cabinet, on met une personne de confiance parce qu’elle gère les dossiers sensibles.» Pape Samba Mboup souhaite seulement que le Pds ait les preuves de ce qu’il avance parce que ce sont des accusations graves. «Un parti sérieux, souligne-t-il, ne va pas s’amuser à incriminer des magistrats comme ça sans preuves. Peut-être qu’ils ont des preuves. Je suis déconnecté du Pds.  Donc, je ne sais pas ce qui s’y passe mais, je souhaite qu’ils aient des preuves parce que je ne leur souhaite pas de mal.»