NETTALI.COM - Les conseils présidentiels tenus entre Kaffrine, Fatick et Kaolack ont montré un Président colérique. Macky Sall n’a été tendre ni avec ses collaborateurs, ni avec ses détracteurs. Une attitude, synonyme de grosses frustrations et de profondes déceptions, de l’avis d’experts en la matière.

Longtemps, le Président Macky Sall s’est accommodé du sobriquet dont certains l’affublent : "Niangal Sall’’. Il a traversé presque tout son premier mandat avec cette image d’un homme au visage serré et au ton ferme. Puis on a connu un Président taquin, qui lance des piques à son auditoire, quand il tient un discours. Encore, on a retrouvé un Président qui a remis le masque de la sévérité qu’on lui attribue ou qu’on lui connait, comme il dit dans son ouvrage "Le Sénégal au cœur ‘’ «(…) parfois, il faut un petit “Niangal” aussi, parce qu’il y a des gens tant que tu n’es pas dans le registre “Niangal”, ils ne comprennent pas.» Mais quand en quelques jours les excès de colère du Président Macky Sall s’accumulent et se ressemblent, l’on ne comprend pas non plus. Kaffrine, Kaolack, Fatick ont été témoins de la colère du Président. Le Sine-Saloum a été comme une sorte d’exutoire pour le chef de l’Etat. Au Conseil présidentiel de Fatick, son fief, tenu vendredi dernier, le Président a laissé éclater sa colère devant ce qu’on peut appeler l’immobilisme ou la fuite en avant de ses collaborateurs, quand il s’agit de défendre leur bilan. «(…)Il faut faire revenir la disponibilité des gouvernants et leur capacité à communiquer avec le peuple, savoir dire et montrer ce qu’on a fait. Si on a des problèmes pour expliquer ce qu’on a réalisé, comment les gens peuvent-ils le savoir ? Si tu n’expliques pas ce que tu fais, c’est comme si tu n’as rien fait. En plus, les actes sont plus difficiles que le verbiage et le bavardage. Dans le passé, il y avait des délestages de l’électricité, des routes cabossées, des pistes cahoteuses, des marigots…

Aujourd’hui, on ne voit que des autoroutes, des ponts, des universités, un train etc. On n’est même pas capables d’aller défendre ces réalisations et ce bilan. On laisse des gens qui n'ont aucune capacité, aucune qualité et qui ne comprennent rien du tout, nous embrigader par un bavardage. Cela, c’est un manque de caractère. Nous devons cultiver la rigueur en nous, préserver notre dignité et forcer le respect.» Ça, c’était une attaque dirigée certainement contre ses ministres. L’opposition a reçu un coup du Président. «(…) Il y a des choses que je ne vais pas accepter de ma vie. On ne doit jamais accepter qu’on nous marche sur les pieds. Au nom de quoi on accepterait que certains veuillent mettre ce pays sens dessous dessus ? Au nom de quoi ? Ce n’est pas possible. Je mets en garde ceux qui pensent pouvoir semer le chaos dans ce pays. Ils n’ont qu’à se tenir tranquilles.  (…) Ça suffit ! Pourquoi on doit détruire le pays par le mensonge, la délation à travers la télévision, la radio, l’Internet…»

Puis le Collectif des cadres casamançais a reçu une gifle.  «Des escrocs comme ça ! Tous les jours, ils sont là à écrire ‘’Cadres Casamançais’’. Je n’ai pas leur temps, je ne vais pas leur répondre. Il n’y a aucun cadre. C’est un seul qui écrit pour après signer ‘Cadres Casamançais.» Une déclaration de Macky Sall qui intervient dans un contexte tendu, marqué par la demande du Collectif des Cadres de la Casamance la libération immédiate d’Ousmane Sonko.

Le chef de l’Etat avec comme qui dirait un besoin de vider son cœur. Le ministre du Commerce, porte-parole du gouvernement, Abdou Karim Fofana, n’oubliera pas lui aussi le Conseil présidentiel de Fatick. Lui qui devait expliquer au Président et à l’assistance où en était l’exécution du décret sur la grande réforme de l’union nationale des chambres qui doit se transformer en chambre nationale. De ce qu’a dit le ministre, on pourrait penser qu’il y a un statut quo. «Nous sommes encore dans le processus pour concilier encore avant de passer à cette réforme que vous demandez depuis un moment. Nous y travaillons.»

Une réponse qui n’a pas satisfait le Président. «Ce qu’on appelle la langue de bois, vous expliquez mais personne ne sait où en est le dossier», lance-t-il à la figure du ministre. L’assistance rit. Karim Fofana est gêné. Sa tentative de rattrapage est stoppée net par le Président. «Pas besoin d’insister Karim, à notre retour tu m’en diras un peu plus de ce que tu ne peux dire en public.» Avant cela, Ahmed Khalifa Niass en a pris pour son grade au Conseil Présidentiel de Kaolack. «Si Léona ne dispose pas de route goudronnée, vous n’aurez rien à Kaolack», assure-t-il.

Menace ou mise ne garde ? Macky Sall l’a plutôt pris comme une menace puisqu’il l’a interrompu. «Si vous pensez que nous n’aurons rien à Kaolack, ce n’est pas grave ! C’est votre avis. Ce n’est pas de cette manière qu’il faut résoudre un problème.» A Kaffrine, un geste, une salutation manquée entre le Premier ministre et son candidat Amadou Bâ a attiré l’attention. Macky Sall a-t-il ignoré Amadou Bâ ou était-il juste pressé de s’asseoir ? Le Premier ministre lui a tenu à le saluer, même si c’était pour tenir un bout de doigt.

«Cette colère est l’extériorisation du sentiment de déception qui l’anime, de cette trahison qu’il sent  de la part de certains collaborateurs»

Plusieurs faits, plusieurs déclarations intervenus en l’intervalle de quelques jours. Des gestes du Président, un ton haut qui a attiré l’attention et dont les clichés ont inondé les réseaux sociaux. Cette attitude du Président est à analyser d’abord sous l’angle de la communication politique. Jean Sibadioumeg Diatta, Docteur en communication explique que cette colère du Président traduit une profonde déception. Il dit : «Cela est révélateur de l’état psychologique de l’acteur politique, de la personne qui donne l’impression de ne pas avoir une certaine sérénité face à une situation. La colère traduit une certaine déception. Une déception qu’il a nourrie parce qu’après avoir géré un pays pendant douze ans, lui qui pensait avoir réalisé d’énormes choses, se rend compte que le peuple ne lui rend pas la monnaie et cela se traduit par l’acharnement dont il est victime. C’est une certaine déception parce qu’au finish, il se rend compte qu’il y a une grande partie de la population qui ne se retrouve pas dans son bilan.» Il ne s’en cache pas d’ailleurs. Il ne supporte pas que ses collaborateurs désertent le terrain face à l’opposition.

«Le Président a des sondages, il donne les résultats de probables élections parce que c’est quelqu’un qui est très informé et cela aussi se reflète sur ses positions, son expression corporelle, son expression faciale. Le Président depuis quelque temps, même à l’étranger, c’est quelqu’un qu’on voit toujours avec une expression faciale de quelqu’un qui est très ferme, qui ne sourit presque plus, qui n’a plus cette joie de vivre. Que ce soit au Sénégal, que ce soit à l’étranger, c’est quelqu’un qui a le visage qui ne reflète pas l’esprit de quelqu’un qui a géré le pays pendant douze ans.» Dr Diatta insiste énormément sur les déceptions vécues par le Président en tâtant le terrain.

«On a l’impression que le Président est un peu déçu de ceux qui sont autour de lui. Depuis quelques temps, ils ont déserté les espaces de débats publics où ils sont censés défendre son bilan dont il pense que c’est un bilan extrêmement positif. Malheureusement, aujourd’hui, on se rend compte que ceux qui étaient pourvus à cette tâche sont devenus aphones. Contrairement à cela, on entend une opposition qui tire sur lui. La colère est le reflet de ce qu’il est en train de vivre. La colère est l’extériorisation du sentiment de déception qui l’anime, de cette trahison qu’il sent à côté des leaders qui ont beaucoup bénéficié de privilèges au cours de ses deux mandats. Cette colère aboutit forcément à des écarts de langage. Quand vous êtes en face d’une situation, si vous n’avez pas une certaine maitrise de vous, une certaine retenue, la conséquence, c’est que la colère vous emporte et forcément, les conséquences seront désastreuses parce que vous allez dire des choses que les gens ne vont pas apprécier.»

Autre élément d’analyse, Dr Diatta lie l’attitude du Président à sa décision de ne pas briguer un troisième mandat. «Cela peut aussi se traduire par une déception liée à sa volonté de faire un troisième mandat. Il avait l’intention de faire un troisième mandat face à une communauté internationale, il a été obligé de faire un choix qui n’est pas le sien. Son comportement avec le Premier ministre qui est son candidat, prouve en réalité que ce n’était pas le candidat du Président. Il montre l’image de quelqu’un qui est déçu, qui donne l’impression d’avoir énormément fait de choses pour ce pays et qu’en retour, au lieu de le lui rendre avec les honneurs, malheureusement, on le lui rend par un certain désaveu, par rapport à la politique qu’il mène depuis 2012», explique Dr Diatta. Une attitude qui peut leur être fatale, selon toujours Dr Diatta.

«A l’approche de la Présidentielle, le Président ne rassure pas. Cette colère est un aveu de taille par rapport à un échec face à des élections. Vous allez vers une élection, mais l’expression de la colère montre votre manque de sérénité par rapport à cette échéance. Malheureusement, la perception que cela aura du point de vue du parti, ce ne sont pas de bonnes impressions parce qu’il donne l’impression d’être dans une posture où ils ont déjà perdu le pouvoir. La sérénité devrait être de mise pour montrer aux militants et aux leaders de Benno Bokk Yaakaar (Bby) de gagner plus en confiance, mais s’ils se rendent compte que celui qui maitrise tout, qui connait les sondages, qui est le plus informé est dans cette posture de défaitiste, ça peut influencer négativement sur le comportement des militants et des leaders qui l’accompagnent.»

«On sent que le Président Macky Sall est très frustré»

Au-delà de la communication, il y a aussi l’état d’esprit du Président. Abdou Khadre Sanogo, Sociologue, Certifié en Psychologie et Diplômé en Sciences politiques pose un diagnostic. «On a senti qu’il a les nerfs tendus. C’est tout à fait normal. Il commence à se décaler de ce manteau assez lourd de président de la République, même s’il l’est toujours. On a beaucoup plus l’impression ces derniers temps, que c’est le citoyen simple, l’homme décalé lambda qui parle. Quiconque dit que c’est facile de dire au revoir au pouvoir se trompe.»

Dr Sanogo pointe du doigt une profonde frustration pour expliquer l’état du Président Sall. «Quand on l’écoute, on voit qu’il a l’impression d’avoir beaucoup fait, mais les gens ne lui ont pas trop rendu la pareille. Quoi qu’on puisse dire, on le sent très frustré par le fait que pendant un bon bout de temps, la manipulation a trop marché dans ce pays. Les gens ont beaucoup fait dans la surenchère. On lui a trop mis la pression. C’est un homme qui n’avait pas envie de partir, qui ne s’était pas préparé à partir et le cours des choses, le déroulé des événements de manière intelligente l’ont poussé à complètement renoncer. Il ne dit jamais j’ai respecté ma parole, il dit, j’ai renoncé à la troisième candidature. Quand on renonce à quelque chose, c’est que fondamentalement au-delà du fait qu’on a droit à ça, mais visiblement aussi, on s’était un peu approché de la chose.»

Dans son argumentaire Dr Sanogo constate que le Président sort beaucoup plus de ses gonds pour laisser libre cours à ses moments de frustration. «Il faudrait mettre tout cela en rapport avec le délai qui lui reste par rapport à son magistère. Il lui reste presque à peine trois ou quatre mois, foncièrement, il sait qu’il n’a plus rien à perdre. Il n’a pas demandé à briguer un troisième mandat. Quand on a toujours des projets électifs, on soigne ses propos, mais les quelques mois qui lui restent à la tête de ce pays, on va davantage voir, et de temps à autre, il faut le lui concéder, l’homme Macky Sall beaucoup plus que le Président Macky Sall. Ça arrive à tous les Présidents, aux hommes célèbres, souvent vous pouvez flancher. Il faut le comprendre, il était en face à ses troupes et il a voulu ne pas faire dans une certaine langue de bois et dire les choses comme telles. On a comme l’impression que ces derniers temps, le contrôle de ses émotions lui échappe. Il y a un problème de régulation du contrôle émotionnel.»