NETTALI.COM - En voie de réhabilitation, le fils de l’ancien président Abdoulaye Wade devra batailler pour conquérir l’électorat sénégalais à sept mois du scrutin présidentiel.

Son nom est régulièrement cité aux côtés des ténors de la scène politique sénégalaise. Pourtant, Karim Wade brille davantage par son silence que par ses éclats médiatiques à l’approche de l’élection présidentielle du 25 février 2024. Même la réforme électorale qui lui a ouvert, début août, les portes du prochain scrutin après des années d’inéligibilité n’a pas suffi à le faire sortir de sa réserve. Pas plus que sa revanche sur la Cour de répression de l’enrichissement illicite, finalement supprimée fin juillet.

Cette juridiction spéciale était le symbole des déboires du fils de l’ancien président Abdoulaye Wade avec le régime de son successeur Macky Sall. Elle l’avait fait condamner à six ans de prison après des années de procédure judiciaire controversée. La grâce présidentielle, qui lui avait été accordée en juin 2016, puis son exil au Qatar avaient mis fin à cette descente aux enfers. Mais depuis, l’ancien tout-puissant « ministre du ciel et de la terre » se fait discret. Pour ne pas dire fantomatique.

Alors que le scrutin approche, Karim Wade n’a toujours pas clarifié ses intentions et la date de son retour au Sénégal est bien gardée. Ses rares interventions se résument à des messages postés sur sa page Facebook ou transmis aux journalistes par la cellule de communication du Parti démocratique sénégalais (PDS), sa formation politique. Un mystère qui attise la curiosité, veut croire son premier cercle. Nafissatou Diallo, chargée de la communication du PDS, l’assure : « On a des centaines de demandes d’interviews sur la table. »

Pour ses proches, l’ancien ministre de la coopération internationale, des transports aériens, des infrastructures et de l’énergie, âgé de 55 ans, souhaite avant tout garder la maîtrise du temps. Mais le pari est risqué à sept mois de l’élection présidentielle. « Il a un grand rattrapage à faire et le temps qui nous sépare des élections n’est pas suffisant », confie un journaliste politique.

Pas très populaire chez les plus jeunes

Dans les rues de Dakar, l’image du possible candidat est au mieux terne, au pire suspecte. Des badauds interrogés le décrivent comme quelqu’un de « non charismatique qui n’a pas essayé d’établir un lien avec le peuple », de « pas digne de confiance », mais qui « a ses chances si Ousmane Sonko [le leader des Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité, Pastef] ne participe pas ». Emprisonné pour plusieurs charges et en grève de la faim depuis vingt-quatre jours, ce dernier a vu ses chances de concourir à la prochaine présidentielle compromises par deux condamnations, dont une en juin à deux ans ferme.

Contrairement à Ousmane Sonko, Karim Wade n’est pas très populaire chez les plus jeunes.  « Ceux qui avaient une dizaine d’années au moment de son départ ont maintenant l’âge de voter, mais ils ne le connaissent pas bien, ni [son père, l’ancien président] Abdoulaye Wade », constate Babacar Dione, analyste politique. « Il n’a pas exploité à fond les atouts des réseaux sociaux pour que les Sénégalais s’habituent à son discours et son image », souligne-t-il

« L’exil est politique, il n’a jamais cessé de se battre », rétorque Lamine Ba, responsable du PDS au sujet des années de Karim Wade loin de la scène politique locale. Le parti l’avait présenté comme son seul choix en 2019, préférant boycotter le scrutin présidentiel après le rejet de sa candidature par le Conseil constitutionnel. Difficile d’imaginer une autre option pour le PDS en 2024.

Pourtant, les performances électorales du fils de l’ancien président n’ont, jusque-là, rien eu d’ébouriffant. En 2009, sa volonté de conquête de la mairie de Dakar, test grandeur nature, vire au fiasco. Les lieutenants de son mouvement politique créé en 2006, la « Génération du concret », avaient à peine pu faire mieux. Cela n’empêchera pas son père de le faire entrer au gouvernement quelques semaines plus tard, symbole d’un entêtement qui lui sera fatal selon plusieurs observateurs.

Surfer sur l’aura paternelle

« S’il n’y avait pas eu Karim, Abdoulaye Wade aurait été élu même avec le troisième mandat », tempête un ex-cadre du PDS aujourd’hui membre de la majorité présidentielle, qui avait publiquement demandé à l’époque la dissolution de la Génération du concret, une « structure qui fonctionnait comme un parti ». « L’histoire m’a donné raison, aujourd’hui ils ont tous quitté », dit-il à propos des anciens proches du fils Wade dont beaucoup ont rallié le pouvoir. Certains sont restés et « ont intégré les instances du parti », nuance Lamine Ba, ancien membre de ce « mouvement de soutien ».

S’il finit par sauter le pas, Karim Wade devra composer avec un appareil construit par douze années de pouvoir mais fragilisé par le départ de plusieurs cadres historiques. Le parti compte toutefois quelques bastions notamment à Touba, fief de la confrérie musulmane des mourides, où Macky Sall n’a jamais réussi à s’imposer.

La coalition Wallu Senegal, pilotée par le PDS avec quelques alliés de longue date, est aussi la troisième force politique au Parlement en partie grâce à une alliance de circonstance lors des dernières législatives avec la principale coalition d’opposition du pays, Yewwi Askan Wi. Cette dernière vit elle-même des moments troubles après sa séparation d’avec Taxawu Senegal, le mouvement politique de Khalifa Sall, l’un de ses membres fondateurs.

Dans ce rapport de force au sein de la classe politique sénégalaise redéfini par la décision de Macky Sall de ne pas briguer une troisième mandat, Karim Wade peut espérer surfer sur l’aura paternelle en espérant que ses années d’exil aient contribué à façonner la même image de martyr que s’était construite Abdoulaye Wade dans ses années d’opposition. « Certains pensent que ça sera compliqué s’il ne vient pas tôt, mais je crois qu’il copie la stratégie du retour gagnant de son père en 2000 », estime Babacar Dione. Abdoulaye Wade s’était absenté volontairement pendant de longs mois avant de revenir au pays à l’approche du scrutin présidentiel qu’il avait remporté devant le président sortant.