CONTRIBUTION - Je me réjouis du texte de Felwine Sarr même si je ne partage pas du tout l’idéologie politique qu’il défend en avançant masqué derrière une posture d’universitaire. Les sorties de Felwine montrent que dans la division du travail politique, l’ex-Pastef reconnait la défaite des gladiateurs avec leurs cocktails Molotov et lance dans la bataille ses nervis intellectuels.

Dommage qu’un si grand esprit comme Felwine ait dégénéré en nervi intellectuel ; mais les idées sont tou- jours préférables au cocktails Molotov. Balancer un cocktail Molotov sur un bus rempli n’est pas une idée, c’est un crime. En tout cas la presse a sauvé son honneur et l’honneur de notre démocratie en condamnant unanimement ce crime barbare.

J’espère que Felwine Sarr retrouvera sa capacité d’indignation pour condamner l’attentat de Yarakh. Donc les gladiateurs ayant rangé l’épée des cocktails Molotov dans le fourreau, les nervis intellectuels entrant en scène. Le texte de Felwine comme les précédents a deux failles intellectuelles : il est fondamentalement partisan et il est excessif. Tout ce qui est excessif est insignifiant nous apprend Talleyrand connu pour sa grande retenue et sa grande réserve, deux qualités qui font défaut à Felwine depuis qu’il est devenu un nervi intellectuel.

Dans son classique Le Savant et le Politique, Max Weber nous dit de façon fort sage qu’en "prenant une position politique, on cesse d’être savant" parce qu’en le faisant, on s’éloigne de ce qu’il appelle la "neutralité axiologique” qui doit être consubstantielle à la démarche de l’intellectuel ou du savant. Felwine Sarr n’est plus dans la science, il est dans la politique. Malheureusement en entrant sur le terrain glissant de la politique, il s’éloigne de la "confrérie des éveillés" sur le plan de la science. Et pour qu’il demeure éveillé dans la politique comme il l’est en économie, il a besoin, lui comme Sonko, d’avoir plus de culture politique pour éviter ses jugements rapides et lapidaires sur notre démocratie.

Lui comme Sonko devraient lire en urgence le classique de Christine Desouches, Le PDS, une opposition légale en Afrique, pour comprendre comment Wade a fait évoluer notre democratie avec une opposition légale en devenant de fait le deuxième poumon de l’exception sénégalaise à côté de Senghor qui n’a jamais cédé aux sirènes du parti unique. Les affirmations du Pr Sarr révèlent son ressentiment mais surtout son inculture politique. Chaque semaine il use de “cette liberté d’ex- pression qu’on nous enviait tant” pour le citer et j’ajoute qu’on nous envie encore.

Il y a quelques jours il a usé avec ses collègues agrégés de cette liberté d’expression qu’il conjugue à l’imparfait comme le font souvent des pétitionnaires. La pensée et la parole sont libres au Sénégal avec ses 339 partis politiques, ses dizaines de journaux, de radios, télés et ses centaines de sites internet, mais aucune démocratie ne peut tolérer que balancer des cocktails Molotov sur des bus, des biens publics ou privés soit une forme ou une liberté d’ex- pression. Ah ! Jusqu’à présent Felwine n’a pas encore condamné l’incendie de l’université et surtout

de sa bibliothèque car comme dit le penseur allemand Henrich Heine "Là où l’on brule des livres, on finit par bruler des hommes". Par conséquent quand on ne condamne pas ceux qui brule des livres, on ne condamne pas ceux qui brule des humains. Donc le silence assourdissant de Felwine et d’une certaine société civile se com- prend. "Nous allions aux urnes, votions en paix et choisissions nos représentants" dit Felwine. L’emploi de l’imparfait est loin d’être fortuit car il conjugue notre démocratie au passé alors qu’avec le printemps des coups d’État qui souffle en Afrique de l’Ouest le Sénégal reste plus que jamais l’exception démocratique. Dans six mois, nous irons aux urnes, voterons en paix et choisirons nos représentants contrairement aux affirmations du gourou de Felwine qui affirme que ce sera lui ou le chaos. Notre democratie ne se conjugue pas à l’imparfait mais au présent et au futur.

L’horizon de notre démocratie n’a jamais été aussi ouvert parce qu’au Sénégal l’élection est un mécanisme de remise en jeu du pouvoir pas un simple mécanisme de relégitimation du pouvoir comme c’est le cas ailleurs. Et la Présidentielle de 2024 sera l’une des plus ouvertes avec pour la première fois un Président sortant qui ne se représente pas. "Dans quelle démocratie, élimine-t- on formellement du jeu parti le plus représentatif du moment" se demande Felwine. Il est de bon aloi de lui rappeler que dans une démocratie, la représentativité se mesure par les élections, et ceci qui infirme sa thèse.

En plus aux Etats-Unis, Trump, même s’il est un des favoris de la prochaine présidentielle, est en train de faire face à la justice pour plusieurs affaires et personne n’a entendu Felwine s’indigner. Je suis même convaincu que Felwine ; enseignant en Caroline Du Nord, n’oserait jamais défendre un homme politique ou un universitaire accusé de viol aux États-Unis. Si l’on suit la logique de Felwine, les hommes poli- tiques doivent être au-dessus des lois et être des zones de non droit. Ainsi Sonko peut appeler au meurtre du chef de l’Etat et demander aux jeunes de le traiter comme Samuel Doe, insulter les magistrats, menacer les juges en toute impunité tout simplement parce qu’il est représenté. “La Démocratie c’est la justice” nous dit Felwine. Quelle contradiction.

Adji Sarr n’a-t-elle pas droit à la justice parce qu’elle est frappée de la double peine de la précarité sociale et de n’être la fille de personne. Mame Mbaye Niang n’a-t-il pas le droit de défendre son honneur tout simplement parce qu’il est ministre ? Les ministres ne sauraient être au- dessus des lois mais aussi en dessous tout comme les opposants. L’idéologie et l’instinct partisan rendent aveugles intellectuellement et font qu’on voit les choses telles qu’on voudrait qu’elles soient. C’est pourquoi Felwine nous dit que "le parti qui vient d’être interdit est celui dont le message recueille l’adhésion de la majorité de la jeunesse, des classes laborieuses et de la masse silencieuse".

Là on est plus proche de la propagande soviétique, ou celle de Enver Hoxha que de la science. On a envie de lui demander sur quoi il se fonde. Son gourou qui avait fait le pari de vouloir se soustraire à la justice, de défier l’Etat est aux arrêts depuis bientôt un mois et les jeunes savourent les vacances, et la masse silencieuse redécouvre les vertus de l’ordre, de la liberté et de la quiétude que garantit l’Etat. Henry Kissinger nous apprend dans son livre Diplomatie : "Quand un universitaire se trompe, c’est juste une hypothèse qui n’a pas marché mais pour un homme d’Etat, c’est une catastrophe pour le présent et pour l’avenir."

On voit ainsi rapidement la différence entre un intellectuel qui s’égare en politique et les hommes d’Etat qui ont sur leurs épaules la responsabilité de veiller à la stabilité d’un pays. Pour Martin Heidegger parier sur les nazis n’était qu’une hypothèse de travail qui ne l’empêchera pas de continuer à faire d’autres hypothèses après la chute des nazis, en revanche le jugement de l’histoire a été implacable pour les responsables de la République de Weimar qui par faiblesse ont permis aux nazis de prendre le pouvoir.

Il faut le répéter, Felwine peut commettre la même erreur que Heidegger mais l’Etat du Sénégal ne commettra pas la même erreur que la République de Weimar et cela quelles que soient les manipulations d’une certaine société civile dégénérée et l’activisme de nervis intellectuels. Le problème de Felwine est au fond simple. Il avait tout misé sur l’hypothèse d’un éventuel 3e mandat comme son gourou dont c’était aussi l’alibi, le bouclier, l’assurance vie mais avec le contre-pied digne de Messi du Président, ils sont à quatre appuis politiquement et intellectuellement. L’honnêteté intellectuelle et scientifique commence par l’humilité de reconnaitre qu’on s’est trompé et que son hypothèse de travail n’a pas fonctionné. S’éveiller au relati- visme, à la nuance et à l’autocritique est un bon réflexe pour rester éveillé aussi bien dans la science que dans la politique. Le retour au débat d’idées marque la fin de l’intermède de la “banalité du mal” que Pastef voulait imposer avec des cocktails Molotov.

DR YORO DIA