CONTRIBUTION - Le ministre de la Communication, des Télécommunications et de l'Economie numérique, M. Moussa Bocar Thiam a pris le vendredi 9 juin 2023, la décision de suspendre la diffusion des programmes de Walfadjri pour 30 jours. À compter du jeudi 1er juin 2023 à 15h au samedi 1er juillet à 15h. Cette décision est critiquable pour diverses raisons :
1- Le ministre est compétent pour attribuer l'autorisation de diffusion des programmes suivant la procédure de l'article 94 du code de la presse. Mais il n'a pas la compétence pour suspendre la diffusion de programmes.
2- La compétence de prononcer des sanctions administratives à l'encontre d'un organe de communication audiovisuelle est dévolue au Conseil National de Régulation de l'Audiovisuel ( CNRA).
Le CNRA peut prononcer un avertissement, une suspension des programmes de 1 à 3 mois, une réduction de la durée d'exploitation de la licence de 6 mois à un an et même une sanction pécuniaire de 2 à 10 millions de FCFA ( article 210 code de la presse) accompagnée d'une astreinte.
3- Troisièmement l'avis favorable du CNRA permettant au ministère d'autoriser la diffusion des programmes n'a pas été visé dans la décision du ministre.
Dès lors, il est possible d'intenter un recours pour excès de pouvoir aux motifs d'une violation de la loi, d'un vice d'incompétence, vice de forme, détournement de pouvoir. Walf dispose également d'un droit à réparation pour cette violation d'une liberté fondamentale.
La décision du ministre signifie que le département ministériel peut suspendre un organe, qu'il a autorisé à diffuser des programmes, en dépit de la compétence attribuée à l'organe de régulation en matière de sanctions administratives relatives aux mêmes programmes.
Pour schématiser le ministère s'occupe du tuyau et le CNRA de ce qui en sort. Ce partage des compétences est logique. La veille sur la modalité technique de diffusion d'un programme de radio ou de télévision est dévolue à l'Etat qui gère les ressources publiques terrestres, maritimes et aériennes. Or les fréquences radioélectriques permettant la diffusion audiovisuelle sont dans le domaine public aérien. Elles constituent alors des ressources publiques, soumises à l'emprise de l'Etat.
En revanche, l'appréciation des contenus relève de l'autorité de régulation audiovisuelle qui est compétente sur le terrain de la police des programmes.
Cette confusion des rôles vide le Code de la presse de toute autorité normative, de même elle crée une insécurité juridique manifeste pour les opérateurs d'organes de diffusion audiovisuelle. Qui sont après tout, des chefs d'entreprises. Ce qui signifie qu'ils sont les dirigeants d'une communauté professionnelle organisée autour du profit.
Mais ici, il ne s'agit pas seulement d'une activité lucrative. Les médias, compris comme moyens d'information de masse, exécutent une mission de Service Public à l'aide d'un bien public qui se trouve être l'information.
Au-delà de son caractère d'intérêt général, l'information repose sur une liberté fondamentale : la liberté d'expression, notamment, par voie de presse. À ce titre le Pacte International relatif aux droits civils et politiques précise en son article 19 que : "Toute personne a droit à la liberté d'expression; ce droit comprend la liberté de rechercher, de recevoir et de répandre des informations et des idées de toute espèce, sans considération de frontières, sous une forme orale, écrite, imprimée ou artistique, ou par tout autre moyen de son choix ».
Approuvé, ratifié et publié au journal officiel, cet accord international a une force supérieure aux lois sénégalaises ( article 98 Constitution du Sénégal).
En cela, cette décision constitue une violation du droit à l'information du public, après la restriction de l'internet mobile. Mais le plus inquiétant c'est de constater comment ce Code de la presse porté par la corporation et les pouvoirs publics est en train de montrer la pigmentation sinistre d'une face liberticide. Hier, c'était à l'égard des professionnels des médias par une vérification sévère de la qualité de journaliste ( article 4 code de la presse). Aujourd'hui, c'est l'Entreprise média qui est paralysée.
Le sort réservé aux médias est une atteinte à un pilier de l'appareil idéologique de l'Etat. D'autres piliers sont attaqués ou affaiblis. C'est le cas de l'école, des syndicats, et des groupes politiques. Or l'Etat c'est un appareil répressif d'Etat équilibré par l'appareil idéologique de l'Etat. Comme la liberté équilibre l'autorité.
À partir de là, on comprend mieux la dérive autoritaire du pouvoir politique. Parce que le système institutionnel et normatif de l'information est fils du système politique.
*M. Bouna Manel Fall est ancien Conseiller juridique du Ministère e la Communication Télécommunications et TIC, ancien Conseiller juridique du CNRA, Enseignant en Droit des médias, Président de SILEX (Savoir, Information, Liberté d'Expression).