CONTRIBUTION - Monsieur le président vous faites fausse route. Dans une Afrique de l’Ouest complètement dans la tourmente, traverséé de part en part par le cliquetis des armes avec ses milliers de morts et ses centaines de milliers de déplacés sans compter les destructions de biens inestimables, le Président de la République du Sénégal se devait d’avoir d’autres préoccupations que de parader à la manière des autocrates africains des années 60 du siècle dernier.

 

Oui, nous savons tous que le Mali, dont feu le Président Amadou Toumani Touré disait qu’il n’était que le Sénégal oriental (tandis que le Sénégal n’était que le Mali occidental), est dans une situation des plus délicates en dépit d’efforts méritoires conduits avec courage et dignité par les dirigeants de la transition pour sortir ce pays frère de l’ornière. Le Burkina et le Niger comptent quotidiennement leurs morts et leurs blesseś tout comme le Nigeria géant économique et démographique de notre sous-région. Nous savons aussi que le Sénégal lui-même est sous la menace de la déstabilisation ; des sources nombreuses et diverses l’ont dit est répété́ et les facteurs d’approfondissement de la crise sont là : crise économique structurelle aggravée par l’irruption de la pandémie du covid-19, crise sociale, crise culturelle, crise de perspective comme le confirment le drame quotidien de notre jeunesse qui continue de mourir par centaines au fond des mers ou encore les émeutes de mars dernier. Personne ne peut contester qu’un tel tableau est irréfutable. Que doit donc faire dans un contexte comme celui-ci un Président de la République à mi-chemin de son second et dernier mandat ? Le Président Sall ne s’est manifestement pas posé cette question. Ce qui autorise à se poser la question de savoir s’il a pris toute la mesure de la situation actuelle.

Un proverbe de chez nous dit bien : « boo xamon li lay yoot di nga baỳ yi li ngay yoot te daw”. En français estimatif « si vous saviez ce qui vous guette, vous abandonneriez ce que vous guettez pour vous sauver en toute vitesse ». Qui peut avoir la naïveté́ de croire que le pétrole et le gaz en voie d’exploitation dans notre pays, le zircon et les autres richesses de la mer, du sol et du sous-sol ne suscitent pas des convoitises de toutes sortes et de toutes origines ? Qui pour ignorer que de telles convoitises, assez souvent, n’ont aucun souci du sort de ce peuple sénégalais dont ces richesses sont, en dernière instance, la propriété́?

Aujourd’hui, Macky Sall aurait dû être en train de s’atteler à enrayer tous les gros contentieux qui subsistent dans le pays comme le foncier par exemple, à étancher toutes les sources de division et de confrontations, à éteindre tous les feux qui peuvent alimenter les menaces qui pèsent sur la paix et la stabilité́ intérieures. Qu’il fasse cela, c’est sa mission ; qu’il ne le fasse pas aussi, c’est sa mission. Or ce qu’il fait ne va absolument pas dans ce sens.

Bien au contraire. Si sa tournée était une tournée économique, la première leçon qu’il devrait en tirer serait une amère leçon d’échec. Ces jeunes qui l’accueillent ou l’accompagnent par milliers parce qu’ils sont «loués» (terme consacré) devraient constituer à ses yeux la preuve par 9 qu’il a pour le moins raté sa politique d’emploi si toutefois il en avait une. Les manifestations de défiance à son encontre de la part de populations autochtones qui n’ont brandi aucune revendication incongrue, irraisonnée ou déplacéé sont la preuve que pour ces populations les réalisations dont il se glorifie ne sont que l’arbre qui ne peut, hélas pour eux, cacher la foret de la déception et du désespoir qui peuple aujourd’hui le Fouta.

Au lieu d’un état d’esprit tourné vers l’ouverture et l’écoute, on a eu droit au forcing et à une violence physique aux formes nouvelles qui doivent retenir particulièrement l’attention du pays tout entier et de ses instances de légitimation. En effet, pour la première fois depuis l’époque du parti unique et de ses comites d’action, on a vu, à l’ombre du Président, des personnes physiques qui n’en ont aucune compétence parce que n’étant ni gendarmes ni policiers ni militaires pour recevoir des ordres de cette nature, brutaliser des citoyens exerçant leur liberté́ d’expression pour signifier, par la parole et par l’image, au Président de la République, qu’ils n’étaient pas contents de sa gestion. Voilà où nous en sommes aujourd’hui. Autrement dit, comme annoncé par certains ténors du pouvoir, la solution aux émeutes de mars n’est pas d’ordre politique mais une solution par les milices armées qui remplacent les forces de défense et de sécurité.́ Celle-ci sont ainsi transforméé s en forces supplétives dans une entreprise qui ruine les libertéś et l’Etat de droit. J’ai entendu les thuriféraires du régime tenter de dédouaner le Président de la République devant l’ampleur du phénomène et le deś aveu populaire mais l’épisode de Thilogne où un jeune a réussi à l’approcher pour lui parler sans aucune agressivité́ est venue clore ce débat.

Le garçon a été́ brutalisé et humilié sous ses yeux sans aucune réaction de sa part. Une scène insoutenable. Voilà la vérité́ qui nous interpelle tous. Ainsi donc, la seule leçon qui semble avoir été́ tirée des émeutes de mars par le pouvoir semble être de créer les conditions de s’opposer à la volonté́ des populations par la force, par la répression et l’humiliation exercéé s hors des voies de droit. Il est clair qu’à ce jeu il sera perdant sur toute la ligne mais le peuple n’a pas besoin de cela. Je vois que les organisations des défense des droits humains ont du pain sur la planche. Du temps des comites d’action du parti unique les vidéos et le multimédia n’existaient pas. Aujourd’hui, tout est filmé en direct et les coupables sont identifieś . Seront-ils poursuivis ? Que ferait la justice si de tels suspects leur et́ aient livreś ? De graves questions sont désormais ouvertes dans le fonctionnement de notre pays.

Monsieur le Président, vous roulez en sens interdit et à vive allure. Il faut vous arrêter et changer de cap si vous en êtes encore capable. C’est la seule voie de salut pour vous-mêmê e. Ceux qui vous poussent sur cette voie étaient avec Wade et vous le savez. Certains d’entre-deux étaient dans l’entourage de Diouf et vous le savez. Ils ont fini d’écarter les compagnons d’hier et ne s’arrêteront que quand vous serez renvoyé́ dans l’opposition dans les pires conditions. Le cas échéant, ils se dépêcheront d’aller encenser le nouveau venu après vous avoir jeté une pelletée pour mériter les futurs avantages escomptes. Ce n’est pas là une vocation. Préparez-vous à sortir honorablement si cela vous est possible. Nous sommes en République, du moins théoriquement. Soutenez quelqu’un de votre camp pour la prochaine échéance présidentielle, créez les conditions d’un consensus entre acteurs politiques sur les conditions d’une dévolution démocratique et pacifique du pouvoir. Voilà ce que le Sénégal, l’Afrique et le monde attendent de vous. Voilà la posture qui ouvrirait la voie à une atmosphère de paix et de sérénité́ susceptible de décourager les entreprises funestes dirigées contre notre pays. Une atmosphère qui favoriserait l’émergence de débats programmatiques et de vision sur l’avenir du pays à la place des injures et invectives. Enfin un tel contexte ouvrirait la voie à une contribution de taille du Sénégal aux solutions largement arrivées à maturité́ à la guerre asymétrique qui ruine l’Afrique de l’Ouest. Je sais qu’avec vous ceci est un rêvê e fou. Mais il faut rêver par écrit pour que tous sachent que le bon cap existe bel et bien mais que vous avez choisi de ne pas le prendre.

Par Mamadou Diop  Decroix

Secrétaire général de Aǹd-Jef̈/Pads Député́ à l’Assembléé nationale