NETTALI.COM - A 14 mois de la fin de son mandat, Macky Sall peut-il se targuer d’avoir un bon bilan ? La question est a priori difficile à trancher. L’on ne peut y arriver qu’à la condition de mettre ses réalisations sur une balance, tout en raisonnant en termes de priorité, de coûts, d’opportunité et de nécessité. Toujours est-il que dans l’appréciation de ce bilan, entreront forcément en compte des considérations subjectives, mais aussi personnelles liées à l’activité exercée par celui qui juge.

Ce sont en tout cas des appels incessants et pressants de la part de ses partisans et alliés, avec de rares sons discordants qui sont notés, ces derniers temps en faveur de la 3ème candidature du président Sall. Des appels qui se fondent, si on suit les conclusions du récent séminaire de Benno, sur le bilan jugé glorieux du président de la république. Normal, il s'agit de l'appréciation de ses partisans et alliés.

Personne n’osera dire que Macky Sall n’ait rien fait en termes de réalisations et de bilan.  Sauf les nihilistes évidemment ou ceux qui ne connaissent pas bien le Sénégal. Il a amélioré les infrastructures routières, de transport, désenclavé des régions en y érigeant des ponts, autoponts, piste de production, etc, c’est sûr. Mais quid de la question des coûts et opportunités de ces réalisations et projets ?

Dans ce bilan honorable par certains aspects, il y a en réalité un grand hic, notamment sur des aspects tels que la transparence et la bonne gouvernance qui pèsent lourd sur la balance puisqu’ils sont le socle de la conduite des affaires dans tout état qui se respecte. Sans elles, rien ne peut fonctionner de manière efficiente et orthodoxe.

L’exemple de ces slogans, axes de la campagne de Macky Sall, tant déclamés et chantés sur les toits, «la gestion sobre et vertueuse » et « la patrie avant le parti » notamment, se sont par exemple tous évaporés à l’épreuve du pouvoir, comme de vulgaires promesses de campagne non tenues, avec en toile de fond, une gestion du pouvoir clanique et familiale désastreuse, source de problèmes et de grandes complaintes.

Si du point de vue familial, des Sénégalais se sont toujours offusqués de voir le frère du président, rôder autour du pouvoir, en devenant tour à tour maire de Guédiawaye et président de l’Association des Maires du Sénégal (AMS), c’est bien parce qu’ils se doutaient bien que la gestion des affaires publiques et la famille ne font pas bon ménage. L’affaire des 94 milliards de Petrotim, encore fraiche dans les mémoires, a laissé beaucoup de nos concitoyens sur leur faim quant à la vérité des faits. Non pas que l’on cherche à s’en prendre au président et à son frère parce qu’on ne les aimerait pas, mais bien parce que dans ce dossier, un fort doute persiste encore.

De même lorsque Mansour Faye, tout beau frère du président qu’il est, se permet de menacer à l’antenne, un journaliste qui lui demande si le marché du riz dans le cadre de la gestion des fonds du covid, n’a pas été attribué à des amis, c’est bien parce qu’il se sent tout puissant. A l’entendre également dire qu’il ne répondrait pas à l’Ofnac, si d’aventure il venait à le convoquer, il y a de quoi s’interroger sur sa nomination en étant conscient qu’il se permet des postures qu’un citoyen normal, n'osera pas adopter ! C’est Macky Sall himslef qui a choisi et décidé de lui confier des ministères aussi tentaculaires qu’astronomiques en termes de budgets. Qu’il ait la décence de supporter au moins les critiques.

Son cas rappelle d’ailleurs à certains égards, celui d’un certain Karim Wade, jadis appelé ministre du ciel et de la terre. Et comme si cette jurisprudence Wadienne n’avait pas suffi, Macky Sall a installé son beau-frère au cœur de la République. Farba Ngom, le courtier de la république lui, n’en parlons même pas. Il brasse du liquide comme pas possible et se permet même d’accréditer l’idée qu’il y a des enveloppes qui circulent au cœur de la république ; bref qu’il y a des corrupteurs et des corrompus qui font la pluie et le beau temps au Sénégal !

Les 45 milliards dédiés à l’achat d’armement pour le compte du ministère de l’Environnement et passés par la voie du « secret-défense », le récent rapport de la Cour des comptes qui épingle des gestionnaires, les affaires Bictogo avec l’université Amadou Makhtar Mbow et les visas biométriques, le building administratif et bien d’autres nébuleuses. La liste est longue. Bien longue !

Mais, à la vérité est que ce pays souffre d’un grave problème moral. Si ce ne sont pas ces nébuleuses, c’est cette affaire de supposé viol d’Adji Sarr qui tient le pays tout entier en haleine et qui coûte 14 morts à la nation. Une banale affaire de faits divers qui salit l’image du pays et renvoie à la figure des Sénégalais, la pâle copie d’un pays peu vertueux et peu transparent.

Autres générations, autres armes !

Le Sénégal est en effet tombé bien bas et le débat dans l’espace public et politique avec. Les références sont désormais les Mollah Morgan, Maty 3 pommes, Gabrielle Kane, Kaliphone Sall, Cheikh Bara Ndiaye, MC Niasse, etc qu’on écoute et lit au point de disserter sur ce qu’ils disent ! Comment peut-on être établi à l’étranger et vouloir apprendre aux Sénégalais, des choses sur leur pays ?  Comment peut-on être insulteur public devant l’éternel et vouloir devenir tout d’un coup crédible après avoir retourné plusieurs fois sa veste ? Comment passer subitement de tradipraticien officiant dans une émission à vocation comique, à analyste hors pair ? Autant de questions que l’on peut se poser. Quelle crédibilité peut-on aujourd’hui accorder à Adji Sarr qui nous sert des versions différentes au gré de ses audios et qui ne cesse de piailler. Elle était en train de tester Baye Mbaye Niasse, nous a t-elle dit ! La voir avec sa posture osée ou entendre ses propos loin d’être un modèle de langage de femme posée et sereine, l’on peut raisonnablement se poser des questions sur sa personnalité ! Tout comme Ousmane Sonko n’aurait jamais dû ses rendre dans ce salon de massage qui n’est pas le lieu approprié pour soigner ce dont il souffre. Même si disons-le clairement, il n’est point question de traiter de problème moral dans cette affaire, mais d’une accusation de viol.

Une affaire qui n’est toutefois pas sans lien avec les prochaines échéances politiques de 2024. Et le tableau aujourd’hui qui se donne à lire, est aux antipodes de ce qui a pu être observé par exemple en juin 2008. Nous étions à 4 ans de la Présidentielle de 2012, donc relativement dans les mêmes enjeux politiques. Or, à l’époque, l’opposition travaillait à la gestation des Assises nationales. Le débat n’était point circonscrit, lumière tamisée, dans un salon de massage, mais dans le salon de feu Amath Dansokho. Les cerveaux n’étaient pas anesthésiés par des caresses qui auraient débordé le périmètre d’une arthrose, mais par la rédaction d’un rapport de synthèse, achevé le 24 mai 2009, qui abordait la plupart des problèmes auquel le pays est confronté en termes de droits de l'homme, de corruption, de boulimie foncière, etc.) et d'une Charte de la gouvernance démocratique pour jeter les bases d'un développement durable et construire un nouveau paradigme.

Tout cela pour dire que l’esprit du 23 juin, n’était pas tombé du ciel. C’était bien le fruit mûr d’un processus mené avec une très grande finesse par l’opposition d’alors et la société civile. C’est le consensus et l’éthique discursive qui avaient prévalu, loin du bruit. Dans la transpiration à la fois physique et cérébrale. Les Assises nationales, faut-il le rappeler, avaient fini de produire leurs conclusions au terme d’un travail titanesque de franges entières de la société, dans une approche inclusive.

Ce pays, et on le constate, a donc bien changé. Dans le mauvais sens du terme. Les acteurs politiques ont changé. Les méthodes politiques aussi. Et le discours baveux révèle tout cela. On l’a répété à longueur d’éditoriaux, mais la répétition n’est-elle pas pédagogique ? Cette mise en scène des injures, la culture de la haine, ce refus des différences et ce dogmatisme digne des âges les plus sombres, n’a rien à voir avec l’esprit du 23 juin 2011.

Complotisme et “Ponce pilatisme” ! Evoquer cela veut aussi dire que la manipulation et le mensonge ne sont pas du seul ressort de la puissance gouvernante. L’Etat, c’est connu, a naturellement ses appareils de brouillage des cerveaux des citoyens. L’opposition aussi sait manipuler les esprits et divertir les coeurs. Bien souvent, le fait–elle mieux que le pouvoir, à l’image de Me Abdoulaye Wade, quand il régnait sur la planète Sopi, Macky Sall lorsqu’il convoitait le pouvoir et aujourd’hui Sonko et Barth qui occupent la place. C’est pourquoi, le véritable travail de la presse devrait consister à baisser les masques. Pas seulement de ceux qui sont au pouvoir, mais, de tous ceux qui aspirent à parler à notre nom. Cela devient une exigence de la démocratie, pour éviter de prendre des loups pour des brebis ou de se réveiller comme des idiots au lendemain d’élections.

Aujourd’hui que la manipulation a pris des atours plus sophistiqués dans l’espace public, avec l’intrusion des Réseaux sociaux dans le jeu, il devient urgent de rendre le commerce politique moins violent et plus serein, dans l’intérêt de tous les acteurs.

Ce qui est réellement nouveau et inquiétant, c’est cette tendance à s’enfermer dans ses discours, à faire dans le tout musculaire. Et à n’ouvrir d’autres perspectives que la confrontation.

L’affaissement du niveau dont nous parlions plus haut, se révèle ici dans tous ses atours. Car même si Me Abdoulaye Wade, qui savait bien utiliser ce que Serigne Diop a pu appeler la « stratégie du bord du gouffre » qui consiste, en substance, à faire monter la tension jusqu’à un niveau très élevé, ce même Wade savait prendre son téléphone en off, pour discuter de manière responsable de stratégie, cette fois pour s’éloigner… du gouffre. C’est en cela qu’on peut dire de lui qu’il fut un opposant fort talentueux. Il savait être “lion’’ et “njomboor’’ à la fois. Intrépide et audacieux, mais aussi ouvert et diplomate.

Un trait de caractère qu’il partage avec certains de ses aînés et cadets en politique, que les principaux animateurs des forces de gauche des soixante dernières années ont su mettre en oeuvre pour conjurer le chaos. On oublie souvent que la politique n’a pas commencé dans ce pays ni en 2012 ni en 2022. Et qu’à des moments déterminés de la vie de cette jeune nation, l’esprit de discussion, l’intelligence consensuelle a régulièrement pris le dessus sur les instincts basiques, guerriers, fermés et souvent suicidaires.

Même dans les moments les plus critiques de l’histoire politique de ce pays, à la veille et au lendemain de l’assassinat du juge Me Babacar Sèye, le “cordon’’ du dialogue n’a jamais été totalement rompu.

Disons que la politique s’est gravement dépréciée sous nos Tropiques. Il y a aujourd’hui comme une sorte de « rachitisation » continue des us et codes. Une course contre on ne sait quelle montre. Mais pour aller où ? Et pour quoi faire ? Les projections en termes de stratégie déployée sont « court-termistes ».

La culture tik-tok ou fast-food empêche les jeunes loups de la politique de miser sur un temps plus long. Or, c’est seulement ce temps-là qui est porteur de projet durable et solide, comme le prouve bien la longue marche vers l’alternance de 2000. L’arrivée de Macky Sall en 2012 est une continuité de l’esprit de 2000 ; lui qui a largement bénéficié du cadre politique mis en place par l’opposition en profitant aussi de son expérience de gouvernance au coeur du système Wade.

C’est dire que l’exception sénégalaise qui nous vaut une certaine stabilité dans la durée doit être réinventée, si nous ne voulons pas sombrer dans le gouffre. Ce ne sera pas le tout messianique qui sera porteur de nouveauté et d’esthétique, au sens profond du terme. Mais un paquet d’intelligences et d’idées nouvelles adossées sur notre glorieux passé d’hommes et de femmes libres, ouverts sur un monde devenu complexe et difficile.

Notre réputation encore préservée au niveau mondial doit coûte que coûte être sauvegardée. Les acteurs politiques ont un besoin impérieux de faire monter le niveau du curseur en intelligence et de le faire baisser du point de vue de la tension engendrée.

Car si l’on n’y prend pas garde, le pays risque d’être ingouvernable pendant longtemps, voire de s’inscrire dans une logique de confrontation durable.