NETTALI.COM- Même si légalement le régime ne manque pas d’arguments plaidant en sa faveur pour demander la déchéance d’Aminata Touré, moralement, Macky Sall et ses hommes qui ont indemnisé Moustapha Cissé Lo et Mbaye Ndiaye (exclus en 2008 de l’Assemblée pour le même motif), devraient s’employer et trouver des arguments solides pour se prévaloir de cette jurisprudence.

 La bataille semble inéluctable. A Aminata Touré qui estime que rien ni personne ne peut l’exclure juridiquement de l’Assemblée nationale, Benno Bokk Yaakaar oppose les dispositions constitutionnelles qui, selon les tenants du pouvoir, sont sans équivoques sur la question de la déchéance. Dans le fond, deux questions principales sont au centre de ce débat. La démission peut-elle être tacite ou elle est obligatoirement expresse ? Est-ce que la démission d’un député élu sur la liste d’une coalition entre dans le champ d’application des dispositions en vigueur ? Avant de répondre à ces questions, il convient de rappeler les dispositions législatives applicables en pareilles circonstances. D’abord, il y a l’article 60 de la Constitution qui prévoit de manière explicite : “Tout député qui démissionne de son parti en cours de législature est automatiquement déchu de son mandat. Il est remplacé dans les conditions déterminées par une loi organique.” Dans la même veine, il y a le Règlement intérieur de l’Assemblée nationale qui, en son article 7 alinéa 2, reprend textuellement la même disposition constitutionnelle. Alors, les actes posés par Aminata Touré, depuis quelques jours, sont-ils constitutifs d’une démission ? S’il s’agit d’une démission, la députée encourt-elle l’application des dispositions précitées, sachant que celles-ci parlent de démission d’un parti et non d’une coalition ?

Pour apporter des éléments de clarification, EnQuête revisite l’histoire parlementaire avec la “jurisprudence” Mbaye Ndiaye et Moustapha Cissé Lo qui se rapproche le plus du cas d’espèce. Que dit cette “jurisprudence” et pourquoi l’actuel régime serait très mal placé pour l’invoquer ?

Ce que prévoit la loi !

En 2008, alors que Macky Sall venait de quitter le Parti démocratique sénégalais pour mettre en place l’Alliance pour la République, certains députés libéraux, particulièrement Moustapha Cissé Lo et Mbaye Ndiaye, lui avaient témoigné leur soutien indéfectible. Ils s’affichaient à ses côtés, prenaient des positions publiques en faveur du banni du PDS et n’hésitaient pas à aller à l’encontre des directives de leur groupe parlementaire. A l’époque, le président du Groupe parlementaire du PDS (Doudou Wade) et ses hommes disposaient certes d’une majorité assez confortable, mais, avaient tenu à laver l’affront, sur la base des articles 60 de la Constitution et 7 du Règlement intérieur. A la question de savoir si les intéressés ont effectivement démissionné, voici la réponse que servait Monsieur Wade et que semble répétait presque textuellement Ismaïla Madior Fall : “Le fait est là. Par leur comportement politique, Moustapha Cissé Lô et Mbaye Ndiaye se sont placés hors du PDS. Leur attitude expresse est de faire du PDS un parti d’opposition. Ils travaillent avec les ressources politiques dont ils disposent, à la défaite du parti aux prochaines élections locales (prévue le 22 mars prochain”, peut-on encore lire dans un article posté sur le site de JA, le 15 janvier 2009. La déchéance, renchérissait-il, est la sanction du non-respect de la loyauté et de la fidélité vis-à-vis du parti qui investit.

Selon donc cette doctrine libérale de la déchéance, on pourrait croire qu’il y a bel et bien démission dans le cas Mimi Touré. Et comme dans le cas de Mme Touré, Mbaye Ndiaye et Cissé Lo étaient également élus sur la base de la coalition Sopi et non du Parti démocratique sénégalais. Ce qui n’avait pas empêché leur éjection de l’Assemblée nationale, en raison d’une interprétation large des textes, permettant de s’appuyer sur le but recherché par le législateur.

Les arguments juridiques en faveur de la déchéance

L’histoire va-t-elle se répéter ? En 2008, Cissé Lo et Mbaye Ndiaye invoquaient les mêmes arguments que Mimi en 2022. Pour eux, le député n’est pas le fonctionnaire d’un parti, mais d’une institution. Mbaye Ndiaye en 2009 dans JA : “On m’a arraché mon poste de viceprésident à l’Assemblée nationale, on m’a arraché mon poste de maire des Parcelles Assainies. Il restait le mandat de député à l’Assemblée nationale. Mais, ce n’est pas eux qui peuvent m’empêcher d’être député à l’Assemblée. Je n’ai pas démissionné du PDS, personne ne peut me faire perdre mon mandat à partir de mon exclusion du PDS”. A l’arrivée, ils perdront effectivement le combat. Moralement, l’actuel régime est très mal placé pour invoquer une telle jurisprudence qu’il avait jugée injuste et illégale. Mieux, à la faveur de l’alternance de 2012, Macky Sall et sa nouvelle majorité avaient tenu à réparer ce qu’ils considéraient comme de l’arbitraire. Ils avaient indemnisé à coups de dizaines de millions FCFA les deux députés.

Interpellé par EnQuête, cet ancien proche collaborateur du Président qui a préféré garder l’anonymat estime que ce serait illégal et injuste de demander l’exclusion de Aminata Touré du Parlement. “Je ne pense pas que les gens iront jusque-là. On a eu à connaitre les cas Moustapha Cissé Lo et Mbaye Ndiaye, mais, leur exclusion a été illégale et injuste. C’est d’ailleurs pourquoi, ils ont eu à bénéficier d’une mesure de compensation pour les injustices subies. Juridique-ment donc, rien n’impose à Aminata Touré de quitter l’Assemblée nationale.”

Embouchant la même trompette, l’ancien député Alioune Souaré considère que cette interprétation des dispositions de l’article 60 de la Constitution et 7 du Règlement intérieur est complètement erronée. La loi, selon le parlementaire, est formelle. Elle vise bien les députés élus sur la base d’un Parti et qui démissionnent en cours de législature. “Il ne faut pas oublier qu’Aminata Touré est élue sur la base d’une coalition. Donc, même si elle démissionne de l’Alliance pour la République, elle ne perd pas pour autant son mandat”, explique Monsieur Souaré, qui invoque la “jurisprudence” récente de Déthié Fall pour justifier son propos.

Les limites de la doctrine Doudou Wade

En mars 2021, ce dernier avait, en effet, créé son parti et démissionné de fait de Rewmi. Pour autant, il avait continué à conserver son poste jusqu’à la fin de la législature, sans que cela n’ait soulevé une quelconque polémique. Mais, à l’époque, la voix d’un député n’était pas aussi prépondérante dans une Assemblée nationale où le camp présidentiel disposait d’une large et confortable majorité dite mécanique. Selon Alioune Souaré, ce serait “un forcing”, si le régime s’emploie dans cette dynamique. “Je le répète, juridiquement, aucune loi ne prévoit la déchéance de celui qui démissionne de son Groupe parlementaire. Seul le cas du député élu sur la liste d’un Parti et qui démissionne de son parti est concerné. Et dans la présente législature, ils sont tous élus sur la base d’une coalition”, souligne-t-il.

De l’avis de l’ancien proche collaborateur de président de la République, même si rien ne lui impose de quitter l’Assemblée nationale, Aminata Touré se devait “moralement” de renoncer à ce poste acquis grâce à l’Alliance pour la République, puisqu’investie en raison de son appartenance au Parti présidentiel. Il cite l’exemple de Macky Sall qui, en 2008, avait préféré, contrairement à Cissé Lo et Mbaye Ndiaye, se décharger de tous ses postes électifs acquis grâce au PDS. Il disait : “Je décide de démissionner du Parti démocratique sénégalais. Aux termes des dispositions de la Constitution, en son article 60, cette démission de mon parti emporte la démission de mon mandat de député. J’ai en outre décidé de rendre mon mandat de Conseiller municipal de Fatick ; cette décision entrainant ma démission de mes fonctions en tant que maire de Fatick. Vous aurez sans doute remarqué que j’ai choisi de me défaire de toutes les fonctions obtenues sous les couleurs du PDS, consécutivement à ma démission de ce Parti… Bien-sûr que j’ai pris l’exacte mesure de ces actes et les ai posés en toute responsabilité.

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