EDITO DE NETTALI.COM - 

’Les nuits sont enceintes et nul ne connaît le jour qui
naîtra.’’ Edgar Morin

Parcourir le fil de vie d’un journal, c’est juger la permanence de la profession de foi qui l’a enfanté, interroger la pertinence de son sens éditorial, jauger la valeur ajoutée supposée que sa publication a engendrée au sein de l’opinion publique et se projeter dans les avenirs proposés, tout en vivant l’instant d’aujourd’hui avec l’humilité sacerdotale de l’historien du présent. Bien difficile exercice que se juger ; vain d’ailleurs, au regard des tendances lourdes d’une société qui fuit le miroir, mais exaltant pour “EnQuête’’, car l’enthousiasme responsable de ses débuts ne s’est pas émoussé.

La passion s’est, en effet, accommodée d’un vécu opprimé par une conjoncture très défavorable, par les difficultés d’un modèle économique en transition, par les nombreuses épines sur le chemin de l’entreprise de presse au Sénégal en 2022, existant qu’il ne traverse qu’aux prix d’un engagement permanent porté par le désir de témoigner, de dialoguer, de partager, de vivre tout simplement. Il a fallu des sacrifices, de la résilience, de la sueur et de la détermination.

En onze ans, la flamme s’est enrichie du panache de l’expérience, des compréhensions sédimentées ayant fixé chez nous l’idée forte que chaque jour est un, et un seul, original, incertain, gros de défis à relever pour les gagner. Une stratégie, si lucide et experte soit-elle, sans la motivation, risque fort de conduire à l'échec. Ce challenge permanent a été notre carburant dans des fondamentaux qui ne nous ont jamais quittés.

En 2011, le processus démocratique sénégalais était à un tournant. Dans un bel élan, trois ans plus tôt, et dans ce qu’elles ont de plus intelligent, la société civile et de larges franges de la classe politique avaient tenu les “Assises nationales’’ pour repenser le projet démocratique, les fondations du consensus qui le porte et les perspectives qui s’offraient à notre démocratie. Dans les termes de référence des “Assises’’, en 2008, le constat était qu’"aux contentieux politiques d’ordre institutionnel ou électoral, viennent s’ajouter les difficultés croissantes de la vie quotidienne, dominées par une misère et un chômage endémiques, une inflation galopante et des pénuries de toutes sortes".

Fleur au fusil, il ne s’agissait rien de moins, pour les “Assises’’, que de “trouver une solution consensuelle globale, efficace et durable à la grave crise multidimensionnelle (éthique, politique, économique, sociale et culturelle) qui sévit dans le pays’’. Ses initiateurs estimaient que “le Sénégal se trouve dans
une impasse et notre choix est de lui éviter des convulsions douloureuses ; de tenter de l’en sortir par le dialogue, qui est plus conforme à nos traditions,
à notre culture, à notre civilisation’’.

Ces années-là ont été celles d’un bouillonnement médiatique sans précédent autour de la défense des libertés, de la souveraineté populaire, mais aussi,
des pénuries d’électricité et de déficit de bonne gouvernance, des accusations de tentation de "dévolution monarchique du pouvoir", d’un ardent et violent débat politique qui a accouché du “23 juin 2011’’ et, partant, de la deuxième alternance au sommet de l’État, après le verdict du suffrage universel. Elles ont aussi été celles de la maturation, puis de la matérialisation de notre ambition.

Aujour-d’hui, plus que jamais, l’ouvrage est sur le métier, car un sentiment diffuse, à la fois d’espérances et de craintes, qui emprisonne l’atmosphère dans un jeu de rôles à se faire peur, à refuser le progrès, à dénier à autrui jusqu’à son existence. L’occurrence de cet anniversaire avec une conjoncture politique chahutée par des outrances au dialogue constructif, exacerbée par le rageant sentiment du recommencement, revigore chez nous le sentiment que notre partition est en cours d’exécution et son rythme en concordance avec la marche du Sénégal.

Sous peu, notre pays va changer de statut économique, avec l’exploitation de ses ressources en gaz. L’adéquation à cette échelle de nos moeurs et pratiques
politiques, collectives et individuelles, la défense d’un label “Sénégal’’ aujourd’hui reconnu, sont un vaste champ d’exploration : le vote comme mode de résolution des contradictions, un État central garant de la bonne marche des institutions, l’égalité des citoyens devant la loi, l’indépendance de la justice, les libertés, le droit à la propriété et l’accès à une éducation et à des soins de qualité…

Ces demandes, pour incompressibles qu’elles soient, n’en appellent pas moins des acteurs de tous bords des postures généreuses de responsabilité, une nouvelle conscience des enjeux, une culture de la performance dans l’innovation. “Enquêter’’ pour ces valeurs-là vaut toutes les peines du monde.

PAR MAHMOUDOU WANE