CONTRIBUTION - La finalité d’une formation politique est la conquête, l’exercice et la conservation du pouvoir, conformément aux règles et principes démocratiques. Mais au Sénégal depuis l’instauration du multipartisme intégral en 1981, on assiste à une prolifération  de partis politiques qui, pour beaucoup, ont un faible ancrage électoral  dans les pores de la société politique, ou seulement une visibilité médiatique autour d’un leader souvent solitaire. L’obtention d’un récépissé est un gage ou un fonds de commerce pour intégrer ou négocier des positions de pouvoir au sein d’une coalition en cas de victoire. La politique est privée de son sens dans l’esprit et la pratique d’autant que la perte de crédibilité de la parole politique est une réalité et ne semble pas gêner ceux qui pensent que l’action politique se réduit à un marchandage pécuniaire faisant fi des engagements et convictions.  C’est dans ce contexte que la démocratie sénégalaise s’évanouit dans les méandres des calculs d’intérêt et d’ambition personnels ou de clans affectés par la hantise d’un pouvoir qui risque de leur échapper. Alors, tous les moyens sont mobilisés pour le préserver allant même jusqu’à sacrifier son âme, en termes de principes, de valeurs et d’éthique.  Toutefois, la question reste de savoir comment une opposition responsable, devrait se comporter dans une perspective d’alternance politique.
 
Face à cette échéance importante des élections législatives du 31 juillet 2022, sauf cas de force majeure pour son report (la période de l’hivernage n’est pas l’idéal),  l’opposition se distingue encore par des rivalités de groupes ou de coalitions pour cette bataille électorale déterminante afin de baliser le chemin devant mener vers le sommet de l’Etat. Elle se présente de manière dispersée par des coalitions antagonistes, parfois de faible intensité pour ne pas dire épaisseur électorale, facilitant non seulement des infiltrations, mais une défaite programmée, malgré l’euphorie des résultats des locales dans les grandes villes à forte concentration électorale.  Pourtant, elle ne perd pas de vue que le mode de scrutin majoritaire dans les départements ne conforte pas sa position, eu égard au monopole des zones rurales par la majorité et l’activation du principe « raw gaddu » en wolof (on rafle tout, même quand l’écart est d’une seule voix), et il lui sera difficile de renverser cette tendance en misant sur l’état de l’opinion qui lui semble être acquis, notamment auprès des jeunes. Nul doute que  cela explique l’engouement et les stratégies de communication pour ravir cette catégorie de la population, très attachée aux discours annonciateurs de changements de fond dans les pratiques politiques. Le défi est considérable pour susciter une dynamique collective occultant les ambitions individuelles et opportunistes aux fins de ne pas décevoir  les aspirations d’une grande partie des citoyens confrontés aux rudes réalités de la vie. Cette opposition est-elle consciente de sa responsabilité de « changer la vie » en se mettant ensemble, dépassant les contradictions internes ? C’est possible, elle est éminemment douée de savoirs et d’expériences, tout dépend des motivations politiques des uns et des autres. Il est vrai que les choses sont plus complexes dans les grandes démocraties comme la France où les clivages idéologiques constituent des obstacles majeurs pour faire bloc et s’entendre sur l’essentiel, cela exige d’âpres  et intenses négociations entre les différents acteurs. Au Sénégal comme ailleurs en Afrique, la « politique du portefeuille » ou de promesses de postes (ministre-conseiller, DG, PCA, etc.) l’emporte sur des considérations idéologiques, volontaristes. Il s’ensuit un paysage politique éclaté qui fait le jeu de la majorité qui détient des ressources lui permettant d’amadouer aisément des leaders en situation de « vulnérabilité » dans leurs convictions politiques.
 
Cela étant, l’opposition doit faire son introspection mais surtout éviter l’éclatement qui risque de compromettre ses chances d’imposer une nouvelle vision de la politique loin des pratiques obsolètes qui plombent, à tous les égards, la fonctionnalité de la démocratie. Reste à privilégier l’intelligence, l’imagination politique, la lucidité et le courage pour se mettre ensemble, sans état d’âme, au service des citoyens.
 
Moussa Diaw, enseignant-chercheur en science politique, UGB, Saint-Louis.