CONTRIBUTION - «Je remercie le Président Zelenskyy pour son appel de ce jour. Nous avons évoqué l’impact de la Guerre en Ukraine sur l’économie mondiale et la nécessité de privilégier le dialogue pour une issue négociée du conflit. J’ai noté également sa demande de faire une communication à l’UA ». Macky Sall dixit.

Cette annonce du Président Macky Sall, président en exercice de l’Union Africaine (UA) intervient après le vote divisé de l’Afrique sur la conduite à tenir face à cette guerre qui en a surpris plus d’un et qui met face à face la Russie et l’Occident.  L’Ukraine, sortie du bloc soviétique, n’est pas encore totalement entrée dans le camp occidental, l’OTAN qu’elle cherche à intégrer mesurant, depuis plusieurs années, le risque majeur d’intégrer en son sein un ami encombrant qui risque de remettre en cause le respect des équilibres jusque-là acceptés d’un commun accord.

Surpris par ce conflit à l’intérieur des frontières européennes, les Etats africains n’ont certainement pas eu le temps de mesurer les conséquences immédiates et à long terme de cette guerre et d’adopter une position commune face à la rapidité et à l’ampleur des dégâts. Ce conflit imprévisible par sa nature en raison d’une longue histoire de respect par l’Est et l’Ouest de l’équilibre des forces et des frontières établies depuis la deuxième guerre mondiale, ne semblait plus s’inscrire dans l’agenda des relations internationales.

Le démantèlement des missiles soviétiques à Cuba aux frontières américaines en 1962 semblait être le gage de la fin de la confrontation directe entre la Russie et l’Occident à l’intérieur de leurs frontières respectives.  Mais, voilà que pour des intentions exprimées avec insistance par l’Ukraine et plusieurs fois renvoyées par certains pays de la ligne de front pour des raisons géostratégiques et d’opportunité politique, les vieux démons de la guerre reprennent de plus bel au sein même de l’Europe. Cette fois les rivalités, les divergences et les ressentiments ne sont plus exportées vers des champs de conflit éloignés de l’Europe comme la Libye, l’Irak, la Syrie, l’Afghanistan, et le Yemen.

L’invasion russe en Ukraine a cristallisé des positions antagonistes mais jusque-là contenues au stade des intentions en fermant toute voie de négociation pour un retour de la paix. C’est comme Russes et Ukrainiens avaient une pressente envie de s’affronter, de s’accrocher pour régler leur différend sur un terrain déjà miné par les ressentiments des uns et les ambitions prématurées des autres.

Russes et Ukrainiens, naguère une même nation, maintenant séparés en deux peuples ont pourtant une histoire commune ou tout au moins partagée. Ils ont combattu ensemble l’ennemi nazi et résisté depuis 1945 à toutes les velléités de remise en cause de leur modus vivendi. Certes, la chute du mur de Berlin en 1990 a ébranlé cette architecture qui semblait être une forteresse imprenable.

Face à une telle situation, l’Afrique vers qui étaient transférés la plupart des conflits très souvent alimentés par les deux blocs se devait d’adopter une position sinon de neutralité, tout au moins d’observateur averti et sensible aux risques qu’une telle guerre peut engendrer sur le continent.

En cela, l’Afrique s’est alignée sur une position médiane, celle dictée par le souci de préserver le continent des conséquences désastreuses d’un conflit qui, au-delà des destructions massives en Europe, peut avoir des répercussions insoupçonnées sur le continent. Prendre parti dans un tel conflit équivaut à s’inscrire dans une logique de guerre totale ou économique contre l’un des belligérants. Le conflit russo-ukrainien nous renvoie à la parabole de l’œuf et de la poule, un débat qui ne sera jamais vidé tant il est vrai que les responsabilités sont partagées du fait que les deux parties ont longtemps appris à se faire peur. Personne ne pouvait alors imaginer que l’une et l’autre allaient franchir le Rubicon et remettre en cause une vieille idée de la coexistence pacifique que l’on pensait définitivement installée dans les consciences. L’ONU, conçue comme l’instrument de la paix depuis 1945, semble, elle-même s’inscrire dans une logique de pousser l’un contre l’autre, les enfermant dans des positions figées comme dans des camps de tranchée.

Erreur de casting ou surestimation de sa puissance de persuasion  ? Les décisions qu’elle a prises en vue d’obliger la Russie à se replier dans ses frontières n’ont pas été à la hauteur des attentes d’une communauté internationale éprise de paix et de stabilité. Elles ont, tout au contraire, eu pour conséquences de diviser le monde en deux voire trois blocs et de ramener ainsi les adeptes de la paix à douter de ses capacités à instaurer la stabilité dans le monde.  António Guterres, secrétaire général de l’ONU et son équipe ont-ils bien mesuré les conséquences de actes posés dans un contexte d’une complexité extrême qui met en confrontation respect des conventions, préservation des frontières, acceptation du modus vivendi, autodétermination, droits de l’Homme et des peuples à disposer d’eux-mêmes ? Chacun de ces principes qui fondent l’existence des Nations Unies est prise en compte par l’une partie et utilisé comme un argument massue pour défendre ses intérêts. C’est dire que l’ONU ne semble pas avoir pris le temps d’évaluer les risques pour arbitrer ce différend entre les deux puissances majeures disposant chacune de soutiens inconditionnels à travers le monde du fait de leur histoire particulière.

Deux puissances disposant surtout de l’arme fatale que constitue la bombe atomique dont l’utilisation engendrerait la fin du monde. Certes la Turquie s’est proposée pour assurer la médiation après avoir affiché une certaine neutralité dans ce conflit. Les pourparlers conduits sous son auspice semblent avancer à grands pas. Pourvu qu’ils soient couronnés de succès pour l’équilibre et la stabilité du monde.  Sous ce rapport, force est de considérer que Erdogan a bien compris le sens de la neutralité et de la puissance de la médiation dans un conflit de cette nature qui, dans le meilleur des cas, devrait nous conduire au statu quo ante.

Que le chef de l’État sénégalais Macky Sall, également président en exercice de l’Union africaine (UA), ait annoncé la volonté du président ukrainien Volodymyr Zelensky de « faire une communication à l’UA », peut donc être une offre alternative qui viendrait renforcer les prémices de paix et éviter au monde de vivre une situation difficile après le passage de la pandémie à Covid 19.  Il s’agit là d’une sage décision qui doit repositionner l’Afrique au centre de la paix et du respect des principes sacrés de dialogue dans un mode où, au-delà des idéologies et des convictions voire des intérêts, seule la compréhension mutuelle peut garantir les grands équilibres.

Sous ce rapport, le conflit russo-ukrainien ne devrait pas conduire à redéfinir une nouvelle architecture de rupture Est-Ouest qui serait un retour à la guerre froide et à la reprise des conflits larvés à travers le monde. L’Afrique doit saisir cette occasion pour redéfinir elle-même ses futurs rapports avec les deux blocs pour ne plus être le terreau fertile de conflits dont elle ne serait que le champ d’expression.

L’invasion de la Russie en Ukraine, aura, à cet égard démontré l’importance du respect de l’intégrité territoriale et de la souveraineté nationale de chaque pays et de l’impérieuse nécessité de respecter les engagements souscrits pour garantir la paix dans le monde. L’Afrique trouve là une occasion d’exhorter Moscou et Kiev à un cessez-le-feu immédiat et à l’ouverture de négociations sincères sous l’égide d’une ONU, elle-même garante de la paix et de la stabilité dans le monde. La guerre prenant naissance dans l’esprit des hommes, c’est dans l’esprit des hommes qu’il faut bâtir les armes de la paix.

MAMADOU KASSE

Journaliste écrivain