NETTALI.COM - Lors de son audience avant-hier, lundi avec le Cadre unitaire de l’Islam au Sénégal (Cudis), le Chef de l’Etat, Macky Sall a exprimé son ouverture à engager des discussions pour la réhabilitation des leaders politiques, Khalifa Sall. Qu’est-ce que le Président Sall cherche réellement. 

Alors qu’on n’a pas encore fini d’épiloguer sur son vœu de restaurer le poste de Premier ministre, le chef de l’Etat semble donner un autre os à ronger à la classe politique en se disant prêt à discuter de la réhabilitation de Khalifa Ababacar Sall et Karim Meissa Wade qui ont perdu leurs droits civiques et politiques après des condamnations par la justice. Une décision subite qui donne de la peine aux sens pour la seule et simple raison que le chef de l’Etat a eu maintes fois par le passé l’occasion de le faire, mais s’en est même détourné quand les experts de mission d’audit du fichier électoral l’avait montée en recommandation. Un timing donc pour le moins hasardeux. Et, non sans ruses politiques.

«Macky Sall veut montrer à tout le monde qu’il est un homme de paix»

Pour le journaliste-politologue Babacar Dione, la volonté du chef de l’Etat est bourrée d’artifices politiques. Elle est une sorte d’anticipation éminemment politique sur les conclusions du Cudis qui seront rendues à la fin de leurs consultations des acteurs politiques. Il dit : «Macky Sall a un principal adversaire qui s’appelle Ousmane Sonko. Ce dernier a déchiré la charte de non-violence avant même de l’avoir vue. Il a dit à tout le monde qu’il ne signerait pas cette charte et il a été suivi en cela par tous ses alliés de Yewwi Askan Wi (Yaw). Si on regarde la rapidité avec laquelle le Président Macky Sall a accueilli le Cudis, à donner suite favorable à leur audience, il est en train de jouer un coup politique. Au moment où ses principaux adversaires sont en train de déchirer la charte, il veut montrer à tout le monde que lui est un homme de paix, de dialogue, en rencontrant ceux qui ont été rejetés par ses adversaires et qui n’ont rien fait à part demander à la classe politique d’être beaucoup plus sereine, de prôner la paix.» Mieux, pour prouver si besoin en était sa bonne foi, selon Babacar Dione, le chef de l’Etat a fait une digression pour aborder des dossiers judiciaires très sensibles, les cas Khalifa Sall et Karim Wade. «Il s’est dit, je ne vais pas m’en arrêter là, je vais annoncer encore, le règlement de ce qui peut être un obstacle majeur dans nos rapports avec l’opposition. Macky Sall est du genre à cacher son jeu. Il ne dit jamais ce qu’il veut faire. Il mène une démarche politique pour montrer que ce n'est pas lui le promoteur de la violence, qu’il est un homme épris de paix.» Un homme de dialogue, ouvert à toute la classe politique. «Le Président Macky Sall dit qu’il est prêt à discuter de la réhabilitation de Karim Wade et de Khalifa Sall. Il avait déjà dit qu’il était prêt à faire une amnistie juste après les élections, mais il s’est retenu de le faire. Maintenant, on est dans une logique de paix et les propos du Président vont dans le sens de l’apaisement et faire en sorte que son discours aille dans le sens de la paix de façon générale et l’ouverture d’un dialogue parce qu’il parle de concertations», explique Moussa Diaw, Docteur en Sciences politiques, Enseignant-chercheur à l’Université Gaston Berger de Saint-Louis (Ugb). Mais comme Babacar Dione, Dr Diaw s’étonne du timing et soupçonne une acrobatie politique. «C’est un discours responsable, un discours d’ouverture d’esprit. La question est pourquoi le Président attend ce moment pour justement parler de ça. S’il était dans les bonnes dispositions, il aurait dû prendre ces mesures depuis longtemps.  Pourquoi veut-il une discussion ? Ces personnalités sont sous l’emprise de la loi et c’est lui seul qui détient la clé pour qu’ils puissent recouvrer leur liberté. La discussion, c’est peut-être attendre des contreparties.»

«C’est une balle lancée dans le camp de l’opposition»

Dr Diaw est convaincu qu’avec cette promesse faite au Cudis, Macky Sall a jeté une balle dans le camp de l’opposition. «Il a montré sa volonté à aller dans le sens de l’apaisement et de la paix, soutient Dr Diaw. Il montre qu’il est réceptif aux questions qui lui sont posées par le Cudis, notamment en ce qui concerne la charte pour la paix. C’est une balle qui est dans le camp de l’opposition dont une partie a donné sa réponse par rapport à la charte de non-violence du Cudis, mais maintenant reste à voir comment on pourrait rapprocher les points de vue des uns et des autres pour qu’on puisse avoir un climat apaisé dans le cadre de la préparation des élections locales.» Babacar Dione qui penche plus pour un coup politique, pense que Macky Sall voit plus loin que les élections locales. «Il faut se demander quelle sera la posture de Khalifa Sall dans son alliance après avoir bénéficié d’une amnistie avec une possibilité de participer aux prochaines élections ? Est-ce que ce n’est pas un moyen pour Macky Sall de gâcher cette alliance ? On pouvait s’attendre à ce que Khalifa Sall soutienne la candidature de Sonko 2024. Il y a un énorme jeu politique dans ce que fait ou dit Macky Sall. C’est un coup politique.»

Avec les élections locales qui s’annoncent palpitantes, les observateurs de la scène politique redoutent un regain de violence, tellement la tension est électrique entre pouvoir et opposition. Cette sortie de Macky Sall pourrait donc être, de l’avis de Babacar Dione, une manière aussi de siffler la fin de la récréation. «Le Président Macky Sall a créé une division, regrette Babacar Dione. On a l’impression qu’il y a deux Sénégal. Quand on n’est pas avec lui, on est victime de toutes sortes de brimades. Avec cette annonce, c’est peut-être la fin de la tension. Depuis les condamnations de Khalifa Sall et de Karim Wade, la tension entre le pouvoir et une grande partie de l’opposition a été attisée. Maintenant, il veut montrer qu’il n’est pas comme ses adversaires, qu’il prône un dialogue et qu’il est un homme de paix. Macky Sall avait déjà annoncé ça dans un entretien avec France 24 à la veille de la Présidentielle de 2019.  Mais au lendemain de l’élection, on a vu le Président continuer à faire face à l’opposition alors qu’on s’attendait à ce que ce deuxième mandat soit un mandat de calme, de sérénité, d’autant plus qu’il avait engagé un dialogue. Il doit être conscient de l’échec de ce dialogue national parce qu’après, on a eu des manifestations, des contradictions entre son opposition et lui. Il sait que maintenant ; il doit savoir raison garder. Il doit se dire qu’il est temps, à mi-mandat, de calmer le jeu. C’est lui seul qui peut arrêter tout ce qui se passe actuellement.»