NETTALI.COM - Le Conseil des ministres de mercredi dernier a adopté un projet de révision constitutionnel restaurant le poste de Premier ministre. Les journalistes Cheikh Yerim Seck, Aliou Ndiaye et Cheikh Diallo, tentent de dresser le profil de celui qui aura pour mission d’exécuter la politique définie par le chef de l’Etat.

Cheikh Yerim Seck est journaliste et analyste politique qui, dit-il, ignore encore le nom du futur successeur de Mahammad Boun Abdallah Dione, mais croit savoir que le Président Macky Sall devrait choisir un profil d’abord et avant tout consensuel. «Dans le contexte actuel du pays, on a besoin d’un homme transversal, qui, quoique appartenant au giron politique du chef de l’Etat, doit être à mesure de parler à tout le monde, insiste Cheikh Yerim Seck. La tension ambiante à l’orée de ces Locales exige qu’il y ait à la tête du gouvernement du Sénégal un homme capable d’initier, y compris en coulisses, un dialogue entre les différentes tendances politiques pour pacifier le climat.»

Au delà de la confiance qui doit lier le chef de l'Etat à son chef de gouvernement, Cheikh Yerim Seck est d’avis que le futur Pm devra être doté d’un certain background politique. «Dans un contexte où on va vers des élections locales et législatives, le futur Premier ministre ne peut pas être un homme qui vient de n’importe où. Le poste est d’abord et avant tout un poste politique. Il faut que ce soit quelqu’un qui, non seulement à un background politique, mais aussi une légitimité politique. S’il n’en a pas, il ne pourra pas avoir un ascendant sur des ministres qui ont tous, chacun en ce qui le concerne, une légitimité locale. Il faut que ce soit un homme d’envergure nationale qui ait une légitimité politique d’emprise nationale. Ça ne peut pas arriver de n’importe où. Le président de la République, dans le contexte actuel, n’a aucun intérêt  à chercher un allié, il a intérêt au contraire à consolider et à élargir la base de légitimité de l’Etat et du pouvoir. C’est quelqu’un qui nécessairement va venir du giron politique du chef de l’Etat», affirme le journaliste et analyste politique.

« Si le Président nomme quelqu’un d’incolore, inodore… »  

Cheikh Yerim Seck est catégorique : «Si le Président nomme quelqu’un d’incolore, inodore sur le plan politique, ça voudra dire qu’il aura choisi quelqu’un pour faire le job tout simplement, mais il n’a pas encore tranché le débat sur sa succession. S’il nomme quelqu’un qui est un pedigree politique, quelqu’un qui a un facteur personnel politique, quelqu’un qui peut nourrir une ambition du fait de son positionnement au sein de l’Etat et l’Apr, le président de la République aura tranché la question de son dauphinat, c’est-à-dire de mettre un homme sur orbite dans la perspective de 2024.»

Il poursuit : «Si Macky Sall nomme un technocrate pour gérer les dossiers de l’Etat, ça voudra dire qu’il ne veut pas, pour le moment, être gêné politiquement dans la perspective de 2024. S’il nomme un homme politique qui est dans la posture d’avoir des ambitions pour lui succéder, ça voudra clairement dire qu’il n’y a plus de calcul dans la perspective de la prochaine élection présidentielle. Et la façon dont il va responsabiliser celui qu’il va nommer est très importante. Est-ce qu’il va le renforcer ? Est-ce qu’il va lui donner les moyens ? Est-ce qu’il va en faire le numéro 2 de l’Apr ? Est-ce qu’il va en faire un point de passage obligé de tous les ministres ? Est-ce qu’il va lui donner un pouvoir ? Et au prorata du pouvoir qu’il va lui donner, on saura si Macky Sall voudra se retirer ou pas.»

Les offres qui s’offrent à Macky Sall

Journaliste et directeur de Pikini Production, Aliou Ndiaye part des justifications données par le Président Sall pour la restauration du poste de Premier ministre. Première option : «Le président de la République a parlé de contexte socio-politique, c'est-à-dire la croissance qui a dégringolé à cause de la pandémie du Covid-19 et d’autres facteurs que nous ne maîtrisons pas. Il y a une situation économico-sociale difficile et des échéances électorales importantes (Locales, Législatives et Présidentielle). Quel peut-être donc le profil d’un Premier ministre dans ce contexte-là ? On peut avoir, comme on l’a vu souvent, un Premier ministre qui soit un technocrate qui ne lorgne pas le fauteuil du Président pour qu’il puisse lui confier la gestion à la fois administrative et financière du pays pour pouvoir se consacrer, lui, à des tâches politiques pour ne pas dire politiciennes. On va vers des échéances et peut-être le Président peut être tenté de se trouver un peu plus de temps pour pouvoir se consacrer à la chose politique et pouvoir donner les rênes du pays sur le plan administratif et financier à quelqu’un qui pourrait s’en occuper.»

Deuxième option : «On peut aussi se retrouver dans une situation où le Président est sur un plan B et qu’il y ait un homme politique à la Primature faire de la politique en même temps que lui. C'est-à-dire faire bien sûr de la gestion aussi administrative et financière, mais pouvoir, au cas où le Président se retrouverait dans une situation où il lui serait impossible d’imposer aux Sénégalais un troisième mandat comme cela se dessine de plus en plus, constituer un plan B. Donc, c’est soit un technocrate qui ne va pas lorgner le fauteuil du chef ou un homme politique qui peut être une sorte de plan B en cas de déconvenue dans la stratégie d’imposer aux citoyens sénégalais un troisième mandat.»

Selon l’ex-Directeur de publication du journal L’Observateur, en décidant du profil du futur chef du gouvernement, Macky Sall pourra aussi régler d’autres questions notamment politiques. Aliou Ndiaye : «Le futur Pm peut être un probable N°2 de l’Etat ou de l’Alliance pour la république (Apr). Mais à un moment donné, le Président Macky Sall n’a pas voulu donner l’impression qu’il sponsorisait quelqu’un et il n’a pas voulu mettre même dans la tête de ses supporters qu’il y a possibilité d’avoir une solution autre que Macky Sall en 2024. Peut-être qu’on assiste là à un revirement et qu’il se dit que le plus prudent, c’est d’avoir un plan B au sein de l’Apr, de Benno Bokk Yakaar, de la mouvance présidentielle ou même ailleurs.»

Dans tous les cas, le journaliste appelle à une grande prudence parce que le Président Sall est d’une grande habileté tactique. «On est en politique et on ne sait jamais. Et Macky Sall a démontré que depuis le début, il est un fin tacticien politique et il peut dérouter. Maintenant, je n’ai pas l’impression qu’a priori, tout cela était prévu depuis le départ. Il y a la pandémie du Covid-19 qui a bousculé beaucoup de choses. Les prévisions, c’était que l’exploitation du pétrole et du gaz allait démarrer au Sénégal en 2022, qu’il y aurait plus de solutions et moins de problèmes. Mais on se retrouve dans une situation complètement inattendue où on a beaucoup plus de problèmes que de solutions. Donc, le prochain Premier ministre peut être un technocrate, venir de la mouvance présidentielle ou même de l’opposition. On ne sait jamais et la stratégie du «Mburu ak Soow» peut aussi opérer. Macky Sall a démontré depuis quelques années qu’en matière de stratégie politique, il est assez habile.»

Impossible de dresser le profil du futur Premier ministre

Cheikh Diallo est le Directeur et fondateur de l’Ecole d’art oratoire et de leadership de Dakar. Et, pour cet ancien collaborateur de l’ex-ministre Karim Wade qui a fréquenté le Palais de la République, il est quasi impossible de dresser le profil du futur Premier ministre. Une difficulté qu’il lie à la nature du Président Macky Sall qui, fait-il remarquer, a l’art de surprendre son monde. «La fonction du Premier ministre est une fiction juridico-politique. Partout où ce poste n'existe pas on veut l'instituer, partout où il existe, on veut le supprimer. Macky Sall est un homme indéchiffrable. Se peut-il que lui-même n'en sache rien pour le moment. Il doit avoir cependant une short-list. Une seule certitude mathématique, sa nomination sera consécutive aux élections territoriales du 23 janvier 2022. Juste avant que son mandat de Président de l’Union africaine ne commence en février 2022.» Selon l’expert en communication, il y a un autre fait, toujours lié à la nature du Président Sall, à faire remarquer.

«Cette nouvelle décision de restaurer le poste de Premier ministre est douloureuse parce que personne n’aime revenir sur ses paroles à plus forte raison l’acte présidentiel. Mais Macky Sall n'avait pas prévu l'imprévu diplomatique. En février 2022, en sa qualité de Président en exercice de l'Union africaine (Ua), il fera au moins 100 déplacements en Afrique et dans le monde, soit au minimum 100 jours à l'étranger. Qui assurera l'intérim et qui coordonnera l'action gouvernementale ? Et le pic de son agenda diplomatique coïncidera avec les élections législatives de 2022. En fait une double contrainte, celle du dehors et celle du dedans, l'a amené à la suppression-reconduction du poste de Premier ministre.» Ça, c’est un fait. Mais pour le profil du poste de PM ?  «Rien n’est encore sûr», conclut-il.