CONTRIBUTION - Six mille neuf cent quarante jours après, nos meurtrissures persistent à l'image d'un mal qui nous ronge et nous condamne. Notre pays aurait mérité un record moins macabre que celui de la catastrophe maritime la plus cruelle de l'histoire de l'humanité mais hélas il en est ainsi. Prions Dieu qu'un tel record ne soit jamais battu par quelque pays que ce soit.

Cette catastrophe n'en est point une sortie de la cuisse de Jupiter mais une conséquence de la somme des attitudes et comportements de l'homosenegalensis. Nous avons toujours privilégié le colmatage à l'entretien exhaustif, la complaisance à la rigueur, le passe droit à l'ordre. Il faut reconnaître la conjonction des tares et manquements ayant conduit à un tel drame, la légèreté du point de vue technique ayant autorisé le bateau à lever l'ancre avec un seul moteur, le laxisme coupable ayant conduit à une surcharge incroyable avec plus du double de la capacité normale des passagers et des marchandises. Toutes ces responsabilités sont humaines et résultent d'une attitude coupable de décideurs identifiés et qui ont bien failli dans leur mission.

Et depuis ce jour, rien dans nos comportements n'a changé pour nous garantir une impossible répétition de l'Histoire. Après l’introspection, la prise de conscience n’aura duré que le temps d’une rose et toutes les mauvaises pratiques sont reparties de plus belle.

Les Sénégalais continuent d'emprunter les raccourcis même mortels (traverser une autoroute en ignorant royalement une passerelle construite au prix de centaines de millions à cet effet),surcharger des bus au point de voir des passagers tomber en syncope du fait de la chaleur, autoriser l'implantation d'usines chimiques en milieu à forte densité démographique. C’est comme si nous avions un rapport pathologique à la médiocrité. Nous sommes le seul peuple qui accepte de se lever à 5 H du matin pour honorer le paiement d'une facture dont la caissière ne se pointera que trois heures plus tard et même avec du retard sans présenter la moindre excuse. Notre malheur est de ne pas être exigeant avec nous mêmes et de l'imposer aux autres. On se contente d'une fatalité prouvant notre totale démission. Le déficit d’exemplarité de l’autorité et l’impunité des fautifs ne permettent pas aux uns et aux autres de se conformer aux bonnes pratiques.

Pire, l’anormalité semble devenue la norme et ceux qui choisissent la voie du bon sens et du respect des règles sont perçus en extraterrestres et deviennent
même coupables car ayant choisi de rester à l’écart d’une dynamique sociale de loin dominante.

Au lieu de faire face à nos propres responsabilités et de prendre notre destin en main, nous préférons nous en remettre à la baraka de saints qui en leur temps n’ont ménagé aucun effort pour mériter leur présence dans les annales de l’histoire. C’est un choix délibéré des vivants que nous sommes de déléguer le combat de notre mieux être à des morts. Nous marchons sur la tête tout simplement.

Au delà du renflouement du Diola tel qu’exigé par certaines familles de victimes , il faudra aussi renflouer le ''moi'' sénégalais pour le réajuster et l'adapter aux réalités d'une citoyenneté normale qui carbure à la responsabilité.
Il n’existe point de miracle, les nations qui émergent sont celles où les règles sont comprises, acceptées et respectées par tous sans exception notable. Et tout contrevenant en subit les conséquences de la manière la plus juste et la plus ferme.

Sarakhe NDIAYE
sarakhe.ndiaye@gmail.com

**** Ce texte bien que datant de 2012 reste plus actuel que jamais comme si rien n’avait changé.