CONTRIBUTION - Désormais en Afrique, il suffit pour un chef d’État de quitter le pouvoir après deux mandats, si les dispositions de la constitution en vigueur l’y obligent, pour gagner l’aura d’un Cincinnatus ou d’un Mandela, avoir une place de choix dans le coeur de certaines élites et bâtir ainsi une postérité inattaquable. Nous Africains avons tellement eu l’habitude de voir nos dirigeants faire oeuvre de boulanger-pâtissier avec nos constitutions - d’ailleurs Laurent Gbagbo ne se vantait-il pas à l’époque d’être expert dans l’art de rouler dans la farine ses concurrents- que le simple respect d’une disposition constitutionnelle, censée être le b-a ba en termes de gouvernance, tient lieu de prouesse à célébrer à travers les pages et les âges. L’on ne se soucie plus de savoir si au cours de ses deux mandats, l’homme d’Etat en question a brillé par une gouvernance exemplaire , contribué à améliorer les conditions de vie de ses populations. On ne se formalise pas non plus de vérifier s’il a bâti des institutions solides, ou garanti les libertés individuelles. Seul compte le fait qu’il s’est tenu scrupuleusement à la durée de mandat fixée par la Constitution.

Voyez le formidable élan de sympathie que rencontre partout Mahamadou Issoufou, ex Président du Niger et lauréat du dernier Prix Mo Ibrahim qui récompense la gouvernance et le leadership démocratique. Si on fait abstraction de sa sortie de scène unanimement saluée comme exemplaire, son mode de gouvernance ne fut pas de tout repos pour les journalistes, les cyber activistes, ou encore les opposants. Le cas de Hama Amadou, son principal opposant arrêté et emprisonné en 2015 pour une sombre histoire de trafic de bébés en est l’exemple le plus emblématique. Tout lui est pardonné : le “héros” a tenu sa promesse de respecter la limite fixée de son mandat contrairement à Alpha Condé, voué aux gémonies et à très juste titre. Que l’exemple de Issoufou fasse tâche d’huile chez ses homologues et qu’on en finisse avec le retoquage permanent des constitutions pour rester au pouvoir ad vitam aeternam. À ce titre, la proposition du Président libérien George Weah, appelant la CEDEAO “à faire tout son possible pour s’assurer que les limites des mandats dans les constitutions de tous les États membres soient respectées”, est salutaire et courageuse.

Néanmoins, la limitation du nombre de mandats mérite-t-elle d’être fétichisée, érigée en mantra, considérée comme un bien en soi et devenir ainsi le critérium suprême en termes de gouvernance ?

Certes en Afrique, la longévité au pouvoir de personnages tels que Paul Biya, Teodoro Obiang Nguema, Yoweri Museveni agit comme une sorte de repoussoir dans l’imaginaire populaire. Disons-le, beaucoup, légitimement d’ailleurs, ne supportent plus l’image de ces dirigeants du continent fossilisés et qui traînent leur sénilité dans les rendez-vous internationaux, en compagnie de chefs d’Etat dont ils peuvent être les grand-pères.

Toutefois, il est réducteur, voire même superficiel, de juger de la vitalité d’une démocratie et de la grandeur d’un homme d’État sur la seule question de la limitation du nombre de mandats.

La leçon allemande

Prenons par exemple l’Allemagne : aucun individu sensé ne penserait à émettre des objections sur le caractère démocratique et le dynamisme de l’Etat fédéral allemand. Pourtant les chanceliers, qui détiennent le véritable pouvoir, le Président ne servant qu’à inaugurer les chrysanthèmes, ne sont astreints à aucune limite de mandats. L’actuelle chancelière, Angela Merkel, a dirigé avec succès le pays pendant seize ans. Après presque deux décennies de bons et loyaux services, elle a choisi de ne pas remettre son mandat en jeu en septembre prochain. À l’heure du bilan, certains se gaussent, certes, avec ironie de sa longévité au pouvoir, mais la plupart des commentateurs s’évertuent surtout à louer la manière dont, à la suite de Schroeder, elle a contribué à redresser l’économie allemande. Ils font également l’éloge de sa rigueur, de sa main tendue aux réfugiés syriens après le déclenchement de la guerre civile, de son engagement pour la lutte contre le réchauffement climatique et du rôle de modèle qu’elle a incarné pour les femmes politiques.

À l’ère de l’immédiateté, des mandats courts et des campagnes électorales permanentes, le modèle allemand a au moins l’avantage de permettre aux dirigeants de déployer une vision, de pouvoir bâtir un véritable projet de société sur le temps long. Le peuple ayant toujours à la fin le dernier mot en plébiscitant ou en sanctionnant dans les urnes.

En Afrique, il est temps d’en finir avec cette obsession de vouloir instaurer deux mandats dans les constitutions comme une nécessité absolue, l’alpha et l’omega de la politique.

Sur ce domaine-là, mandat unique, limitation du nombre de mandats à deux ou non-limitation, il n’y a pas de formule magique garante de succès ou vouée à l’échec. Le plus important, outre le respect du caractère inviolable des textes constitutionnels en vigueur, est ce que les détenteurs de ces mandats ont laissé comme legs et avancées à l’issue de ces années d’exercice du pouvoir.

Paul Kagamé, qui n’est probablement pas un parangon de démocratie, dirige le Rwanda sans partage depuis 2000. En un peu plus de vingt ans, il a redressé un pays exsangue après des années de guerre civile et un génocide abominable. Aujourd’hui, cet homme qui ignore l’expression “limitation du nombre de mandats” est un des héros de certaines élites africaines….qui abhorrent, par ailleurs, le “troisième mandat”.

Comme quoi, nous Africains, en termes de politique, ne sommes pas à un paradoxe près...