NETTALI.COM - Le temps passe. Macky Sall semble être resté le même. Même les récents événements violents n’ont, semble-t-il produit qu’un effet éphémère chez lui. Même s’ils l’ont surpris et atteint. Entre les meetings improvisés dans le Fouta pour montrer qu’il est toujours populaire et qu’il reprend du poil de la bête, ces milliards annoncés en faveur de l’emploi des jeunes et les actes posés, c’est la politique politicienne qui est à l’œuvre et qui reprend le dessus. Le naturel qui revient au galop, quoi !

A la base, l’ingénieur qu’il est, n’a pas fait de lui, le technocrate qu’on en a attendu. Il aurait pu faire un savant dosage de politique et de technocrate. Mais Macky Sall est un politicien dans l'âme, nourri au lait wadien. Et difficile de changer cette nature. Même lorsqu’il dit à la face du monde qu’il a compris, c’est-à-dire qu'il appris de la révolte des jeunes, il n'est que dans la ruse. Le président est en effet une forte tête. Il n’est pas homme à se faire dicter sa conduite. Il n'a pas pu s'empêcher d'adresser quelques mises en garde à Sonko, question de lui dire que ce qui s''était passé ne se reproduirait plus. Il a tout au plus utilisé un de ces astuces politiciens bien rôdés, le temps de calmer la tempête, avant de se remettre progressivement à bomber le torse. N'y aurait-il pas eu cette révolte qu'il n'aurait pas sorti de sa manche, la carte des emplois !

Mais loin d’être hors de la réalité et conscient de la menace que constitue une horde de jeunes déchaînés, le chef de l’Etat les cajole, il ne veut pas rompre le contact renoué avec eux après les avoir appâtés sur les emplois. Pour lui, il est plutôt question de prendre le temps de se refaire une santé.  C'est de bonne guerre diraient certains. Et c’est la raison pour laquelle, lors de la réunion du Conseil des ministres du mercredi 5 mai dernier, il a demandé aux ministres en charge de l’Emploi, de l’Economie et du Travail d’engager, en relation avec les ministres sectoriels, les opérations spécifiques relatives au recrutement spécial (par département et par commune) des 65.000 jeunes ciblés. Des recrutements dont le lancement est annoncé cette semaine.

Mais une effectivité de ces emplois dont doute Mamadou Ndoye. L’ancien ministre est convaincu que Macky Sall ne pourra rien faire à cause de sa “clientèle politique”. “Macky Sall est prisonnier de son propre système“, a-t-il confié ce dimanche 9 mai à l’émission “Opinion” sur Walf Tv. “Lorsqu’on construit une clientèle politique pour pouvoir arriver au pouvoir, une fois le pouvoir conquis, toute cette clientèle attend une récompense. Dans ce cercle vicieux que se trouve aujourd’hui Macky Sall“, explique l’ancien secrétaire général de la Ligue démocratique (Ld). “Qu’il s’agisse des 65 000 emplois ou des 5 000 enseignants à recruter, chaque responsable politique va venir demander son quota“, souligne-t-il. Avant d'ajouter : “il peut promettre ce qu’il veut, mais même pour les 450 milliards, la clientèle va s’organiser pour la captation de cet argent. Ça se passe exactement de la même manière pour tous les projets de l’Etat“.  Selon lui, Macky Sall n’a pas mis en place un système pour gérer. “il a un système pour gérer l’électoralisme. Et après vous en êtes prisonnier. Ce qui fait que si vous voulez faire du développement, vous ne pouvez pas parce que ceux qui sont autour de vous ne savent pas le faire. Ce qu’ils savent faire, c’est de l’électoralisme“, regrette l’ancien ministre de l’alphabétisation et des Langues nationales.

Avec ce programme de 65 000 emplois, Macky Sall semble ne vouloir qu'une chose, passer dans la tranquillité les 3 ans qui lui restent au pouvoir, sans avoir les jeunes sur le dos.

Plus récemment avec la décision de la Cour de justice de la Cedeao, ce sont le porte-parole du gouvernement et le ministre auprès du président de la République à travers une contribution dans le journal gouvernemental, "Le Soleil", Ismaël Madior Fall, qui sont montés au créneau pour tourner en dérision la décision, affichant nettement la volonté du gouvernement de ne pas suivre la directive qui est de supprimer le parrainage dans un délai de 6 mois.  Un vrai manque d’élégance et de retenue.

A leur suite, ce samedi 8 mai, en conférence de presse, la majorité présidentielle a exprimé ses réserves sur la teneur juridique de cet arrêt en formulant un certain nombre de griefs. Avec toujours, le constitutionnaliste Fall en chef de file, elle tempère quelque peu plus sa position. Ismaïla Madior Fall précise qu’’il
ne s’agit pas, ici, de critiquer la Cour de la CEDEAO. Il ne s’agit pas de vitupérer contre l’institution juridictionnelle communautaire. En effet, à croire le ministre, l’Etat du Sénégal est "respectueux" des instances de cette cour. "Dans le respect de la cour, le Sénégal étudie la suite à donner à cet arrêt conformément au droit communautaire", promet-il, soulignant que "le Sénégal ne voudrait ni quitter la CEDEAO, ni ignorer ses arrêts". Le Sénégal peut
introduire un recours à l’interprétation de l’arrêt pour demander à la cour le sens de l’arrêt", ajoute-t-il. Il pense ainsi que l’on peut avoir une lecture
plus optimiste de la décision et espérer que la Cour de la justice de la CEDEAO ne remet pas en cause le principe du parrainage, mais sa mise en oeuvre.

Une attitude loin d'être surprenante. En effet sur toutes les questions sources de polémiques, c’est l’ancien ministre de la Justice et constitutionnaliste, Ismaïla Madior Fall, qui est à la manœuvre. C’est lui que Macky Sall utilise pour toutes ses réformes constitutionnelles et ses nouvelles lois. Et si l’on se rappelle bien, c'est fort d’une décision émanant de la conférence des présidents de la Cedeao que Macky Sall en tête et ses pairs, avaient évincé Jammeh du pouvoir en Gambie. Il sait que la Cour n’a pas de moyens de coercition dignes de ce nom, mais que seule la conférence des présidents peut peser de son poids. Poussera-t-il alors le bouchon jusqu’à braver la Cedeao ? Qui sait. Une situation qui montre que le Président Macky Sall ne se plie que quand la situation l'arrange.

Sur la question des locales également, malgré la désapprobation de l'opposition quant à la date et contre toute attente, il a signé un décret fixant la date au 23 janvier 2022. Pour rappel, l’opposition regroupée au sein du Front de résistance national (Frn) exigeait que cette élection se tienne avant la fin de l’année au moment où la majorité présidentielle proposait le mois de janvier 2022. Et c’est finalement le chef de l’Etat qui a arbitré. Une date toutefois retenue sans aucun consensus, à la veille même d’une réunion cruciale de la Commission politique du dialogue national sur le sujet. Avec le chef de l’Etat, tout est acte politique. Il organise des dialogues, mais à la fin, ce sont les décisions plus proches de ses intérêts qu’il essaie d’appliquer. Une question toutefois à se poser est de savoir pourquoi l’opposition refuse des élections en 2022, à seulement un mois d’intervalle ? Pour beaucoup, c’est certainement pour éviter que cela ne soit un prétexte pour justifier un report des élections législatives, prévues la même année. Il faut toutefois noter que l’organisation des élections territoriales en 2021 était devenue quasi impossible, compte tenu des nombreuses formalités à accomplir, principalement la révision des listes électorales
qui sera à ne pas en douter suivie d’une période contentieuse. Mais dans le même temps, il va la révision du dispositif législatif et technique pour prendre en compte les recommandations de la mission d’audit du fichier électoral s'impose. De même, le projet de découpage administratif est venu compliquer davantage la situation. D'aucuns se demandent même si la date de janvier est tenable.

Sur la récente décision de la départementalisation qui découle d’une promesse faite aux habitants de Keur Massar au moment où le président de la République s’était rendu dans cette localité envahie par les eaux de pluie. Une départementalisation qui avait été précédée par une volonté de supprimer des villes dont celle de Dakar et d’en nommer le maire par décret. Dans ce fameux projet de suppression des villes, c’est le ministre, le très politicien Oumar Guèye, qui a été envoyé au front pour le défendre. Et si on en croit sa thèse, l’existence de la ville de Dakar, comme celle de quatre autres villes du pays, Pikine, Guédiawaye, Rufisque et Thiès ne se justifie plus.

Les Sénégalais avertis se doutaient bien qu’il y avait en ligne de mire, les prochaines élections locales, étape clé avant la présidentielle de 2024. Ce qui veut dire que si Dakar n’était plus une ville, on aurait eu affaire à l’existence de 19 communes distinctes sans un maire de la ville de Dakar, mais plutôt un président de Conseil départemental. Ce qui est perçu, c’est le dessein de supprimer et de se débarrasser de la mairie de Dakar qui échappe au pouvoir de Macky Sall depuis qu’il est en place. Le président Sall est même monté au créneau lorsque la polémique a enflé sur la question pour tenter de rectifier ceux qui estiment qu'il a peur de perdre la ville Dakar. «Ce n'est  pas parce que j'ai peur de ne pas gagner Dakar. J'ai toujours été victorieux dans plusieurs localités y compris Dakar. Donc cette interprétation n'a pas sa raison d'être», avait-il répliqué.

Les déboires de Khalifa Sall ne sont certainement pas étrangers au débat sur la pertinence de cette mairie. L’on se souvient aussi de ce fameux emprunt obligataire de la mairie de Dakar bloqué et qui devait servir à financer des projets de la ville. Ce qui avait été vu comme un danger. Khalifa Sall, en ces temps-là de croisade, avait même organisé une grande manifestation en centre-ville pour protester contre ce qu’il considérait comme des écueils sur son chemin. La suite, on la connaît. C’est ce projet de suppression des villes qui semble avoir été remplacé par la départementalisation. Non seulement le redécoupage départemental va avoir comme conséquences des réformes en profondeur de la carte électorale, et des milliers d'électeurs seront obligés de se faire confectionner de nouvelles cartes d’électeur. De même sera consacrée la reprise en main de localités perdues, avec l'exemple du ministre Oumar Gueye qui en a perdues sous l"ère Wade  qui, au profit d'adversaires tels que le maire de Bambilor.

Sur la question du fichier électoral, objet de toutes les récriminations pendant la période pré-électorale passée, on a également noté, suite au rapport provisoire produit par des experts internationaux commis pour son audit, les nombreuses critiques de l’opposition regroupée au sein du Front de résistance national (Frn). Ce qui, même de l’avis de certains, remet en cause le vote qui avait consacré l’élection de Macky Sall qu’ils jugent empreinte d’un manque notoire de transparence. Un fichier qui augure en tout cas d’un désaccord futur car le travail des experts est très critiqué sur de nombreux points notamment la méthodologie de l’audit, le caractère non biométrique du fichier, l’utilisation de certificat de résidence (515 635 selon le Frn) et d’actes d’état civil pour s’inscrire (9442 électeurs) qui n’aurait pas aussi permis une élection transparente et équitable dans les départements favorables au pouvoir, l’audit informatique exclusif et non un audit «sur pièce et sur place», l’absence de rencontre des experts avec les membres du Conseil constitutionnel tout en n’étant pas entré en possession du logiciel ayant servi au contrôle des listes de parrainage, etc. Bref de nombreux points faibles au rapport provisoire.

Avec Macky Sall, poser des actes politiciens est une nature. Il trace sa route et creuse ses sillons. Mais jusqu’à quand ? Après le «ni oui, ni non» et plus récemment le «je n’ai jamais dit que j’allais faire un troisième mandat», beaucoup d’observateurs pensent qu’il maintient le suspense tout en étant conscient au fond de lui qu’il envisage toujours de se représenter en 2024. C’est d’ailleurs pour ceux-là, la raison de toute son agitation. C’est conscients de cela que de vieux compagnons, tels qu'Alioune Badara Cissé ou Aminata Touré, ne voient pas cette probable candidature d’un bon œil. Aussi anticipent-ils dans leurs discours pour montrer leur désaccord et casser toute velléité du président de se représenter. Mais dans le cas où il déciderait de se présenter en 2024, Macky Sall doit en tout cas compter sur les infrastructures tape à l'oeil, notamment le Ter qui ne semble plus faire beaucoup d’émules, le Brt et les autoponts à l’actif de son bilan. Mais le hic est qu'elles coûté bien trop chères pour des Sénégalais bien secoués par la pandémie alors que l'état de l'économie est loin d’être reluisant, plombé par une dette qui s'accumule de jour en jour.

C’est une marche vers 2024 en tout cas parsemé d'embûches que le président Sall est en train d’arpenter mais que seule la politique politicienne ne peut suffire à soutenir durablement. Le dossier Sonko n’est pas encore vidé et celui-ci peut être source de nouvelles tensions. De quoi prédire des lendemains incertains avec également la posture future de Macky Sall sur la question du mandat. Tentera-t-il ou ne tentera-t-il pas ? Dans les deux cas, le pouvoir risque d’être source de frictions. Toujours est-il que Pastef-Les patriotes a réuni ce samedi 8 mai tous ses cadres pour l’ouverture de leur première université. Une première journée présidée par Ousmane Sonko qui en a profité pour exprimer sa vision sur le rôle que les intellectuels doivent jouer dans les partis politiques. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que le leader de Pastef ne croit pas aux cadres qui n’ont que leurs diplômes. «Il nous faut beaucoup d’engagement, beaucoup de courage, pas seulement derrière les claviers, mais aussi sur le terrain.» Et pour ce faire, Ousmane Sonko appelle les cadres de son parti à se tenir prêts. «Il faut être prêts pour le combat, même physique s’il le faut. Il faut que chacun d’entre nous soit prêt pour le sacrifice que nous devons à ce pays et à notre continent», a-t-il laissé entendre.

Ce qui préfigure toujours un potentiel affrontement, même si celui-ci ne se fait pour l’heure qu’à distance. Ousmane Sonko sait être une cible et son discours guerrier le démontre à souhait. Vivement le moment où Macky Sall commencera à faire les choses sans calcul politicien, avec pour objectif de laisser son empreinte à la postérité. Mais qu’est-ce qu’il est difficile de changer surtout lorsque la politique politicienne est une arme fatale. Il devient quasiment difficile de s’en départir. Il est en effet grand temps que Macky Sall ouvre les yeux et oublie quelque peu la politique politicienne.