NETTALI.COM - Inculpé dans une affaire de viol présumé et placé sous contrôle judiciaire, Ousmane Sonko a entamé, depuis sa libération, une série de tournées de remerciements de toutes les organisations qui l’ont soutenu. Signe d’un changement d’option stratégique ou tentative de se positionner comme le nouveau chef de l’opposition ? Le leader de Pastef se montre, en tout cas plus ouvert, ragaillardi sans doute par cette épreuve judiciaire qu’il vient de vivre, même si elle n’a pas encore connu son épilogue.

Ousmane Sonko "new look". C'est le sentiment qui se dégage depuis l'éclatement de l'affaire Adji Sarr. Exit donc le Sonko méfiant et évitant de flirter avec tout ce qui touche au "système". Le nouveau Sonko est bien là. L'opposant a en effet, rendu visite au mouvement "Frapp-France dégage", dont le leader Guy Marius Sagna est actuellement incarcéré. Il est aussi allé rencontrer le mouvement "Y en a marre", Khalifa AbabacarSall, Thierno Bocoum et a fait le tour de quelques maisons de presse dont les Groupes D-Médias, Walfadjri dont le signal avait été coupé par le Cnra qui a leur a notamment reproché d’avoir diffusé en boucle, les images des scènes de violence. Même le Groupe Futurs Médias qui a essuyé des attaques de ses présumés partisans et dont il n’a de cesse de critiquer la ligne éditoriale "très favorable au pouvoir" à son goût, a reçu la visite d’Ousmane Sonko. Ne s’arrêtant pas en si bon chemin, il est également allé rendre visite à Ahmed Khalifa Niasse avec qui il était en froid dernièrement, malgré les accusations graves de ce dernier par presse interposée.

Durant ses tournées, Ousmane Sonko n’a pas hésité à diluer son discours "anti système". Il tresse des lauriers au Groupe Futurs Médias, subitement devenu un groupe "qui a le droit d’avoir sa propre ligne éditoriale" en plus de "regorger de journalistes professionnels". Le leader des patriotes n’a pas aussi manqué de préciser sa pensée quant à sa posture vis-à-vis de la France, alors qu'il a souvent surfé sur un sentiment anti-France dans ses discours.  : "J’ai toujours dit que nous n’avons pas de problème avec la France et qu’aujourd’hui, il faut poser la question simplement de manière générale, en termes de relations équilibrées avec nos partenaires. Je crois que nous avons des acteurs politiques français qui tiennent ce discours autant que nous le tenons. Nous avons une amitié des peuples. Donc nous ne sommes pas dans cette logique et nous voulons lever ces amalgames qui peuvent être perçus comme une animosité dirigée contre un pays ou un peuple, ce qui n’a jamais été le cas", a-t-il récemment précis.

En visite chez l'ancien maire de Dakar, le chef de Pastef plaide pour son hôte, mais aussi pour Karim Wade, le fils de l’ex-chef de l’Etat, Abdoulaye Wade, ainsi qu’il l’avait déjà fait lors de son discours qui a suivi sa libération.  "De 2012 à maintenant, qu’on me dise quels sont les leaders de l’opposition qui n’ont pas encore été en prison ? Ça suffit !  On ne doit pas désespérer de ce pays puisqu’il existe des ressorts grâce auxquels à chaque fois qu’on est au bord du gouffre, du précipice, on sait toujours s'arrêter. Mais ce n'est pas la fin. Et ce que nous vivons aujourd’hui, c’est le point d’un nouveau départ pour que la démocratie en consolidation puisse continuer à s’améliorer, à s’exercer pour tous et par tous. Il faut que nous continuions le combat, que nous restions vigilants. L’opposition sénégalaise a compris sa part, elle est en train de construire ses actions. Cela a pris du temps, mais elle y parviendra. Quand il y a une majorité qui se conforte, qui se consolide et qui s’élargit, il faut une opposition qui s’unit et qui se renforce, qui est puissante et forte", a dit le ci-devant candidat à la présidentielle de 2019.

Chose inattendue, Ousmane Sonko a fini par fumer le calumet de la paix avec Ahmed Khalifa Niasse qui l’appelle désormais "mon fils" et qui a promis de jouer les bons offices entre lui et le Président Macky Sall. "Nous ne serons jamais d’accord avec notre ennemi à tous, la corruption. Je vais appeler le Président Macky Sall parce qu’il l’a dit à plusieurs reprises et vous le savez. Et je lui dirai ceci : 'nous voulions que vous parliez avec Ousmane Sonko sur ce qui peut faire émerger le pays et ce que le pays n’aime pas'. Et je veux qu’Ousmane Sonko à son tour, en compagnie de ses militants, se retrouvent ici périodiquement pour dénoncer la corruption nommément. Ça, ce n’est pas le travail de l’Office National de lutte contre la Fraude et la Corruption (Ofnac), mais d’un politicien. Je peux témoigner d’une chose de Macky Sall, son seul problème, c’est son entourage. Il faut aider Macky Sall à se libérer du mauvais entourage. Sonko est le seul homme de la paix en Casamance et au Sénégal", dira-t-il devant un Sonko plutôt conciliant.

Un discours qui rompt d’avec celui qu’il avait l’habitude de tenir et qui interpelle même certains observateurs. Hamadou Tidiane Sy, journaliste et patron de Ouestaf, avoue ne rien comprendre de la nouvelle démarche d’Ousmane Sonko. "Karim Wade, Aminata Lô Dieng, Ahmeth Khalifa Niasse... et qui encore pour porter le "Projet" et nettoyer le "système" ? Qui y comprend quelque chose ? Pas moi !  Quand je vous dis que la politique dans ce pays se résume à de la politique politicienne portée par des égos ! Et des ambitions personnelles ! On ne peut résumer un projet politique en du "tout sauf" ou du "tous contre" : c'est la meilleure façon de se retrouver avec des boulets aux pieds et les mains liées. Résultat : aucune réforme ne sera ni possible, ni même envisageable. Que personne ne vienne ici me répéter les théories éculées sur la "realpoitik". Je les connais, je n'y adhère pas", crie le journaliste, propriétaire de l’école de formation Edjicom et très suivi sur les réseaux sociaux. Et il n'est pas le seul journaliste  à se poser des questions sur "le nouveau Ousmane Sonko". "Je suis tombé sur le partage extra supersonique d'un texte où le chef de Pastef est dépeint comme "nouveau". A moins qu'on m'explique davantage, les actes posés par l'homme ces derniers temps, ne sont autre que le reniement de ses propos d'hier. Puisqu'il est nouveau, et qu'il pose des actes contraires à ceux qu'ils combattaient, je voudrai savoir ce qu'il fera de ceux qui avaient cru à son "ancien ou vieux" discours contre le système. Certains, avec des œillères, vont également muter comme lui, d'autres vont simplement quitter le navire. Car le discours commence à être très dilué.  De "douma politicien", Ousmane est tombé pour dire que "nous sommes en politique".  Qui a mieux compris pour m'expliquer",  lance un autre analyste.

Normal en effet, à l’épreuve du temps et de la réalité que le discours et la posture de l’opposant évoluent. Mais ces changements dans le discours et les actes doivent-ils juste être apportés dans une logique uniquement d’acquisition d’un capital sympathie au détriment des axes clefs de son positionnement politique de toujours ? Ou en nouant des alliances contre nature ? Voire en diluant son discours au point que ce changement puisse être perçu comme un reniement ? Dernièrement les actes posés par le leader de Pastef ne peuvent pas être détachés de la politique. Et c’est de bonne guerre dans une affaire où il existe beaucoup de zones d’ombre et dans laquelle il avait la certitude qu’on voulait le mener à l’échafaud. Il cherche à faire oublier l’affaire Adji Sarr qu’il a réussi à faire passer aux yeux d’une certaine opinion comme un dossier politique agité pour faire tomber un adversaire encombrant.

Toutefois, passé le temps du dossier et à l’épreuve de l’évolution de la situation politique, le jeu sera plus clair et les émotions moins mises à contribution. Ce sera peut-être le moment d’éclaircir davantage sa position et pour le public d’avoir une meilleure appréciation. Mais Sonko a au moins compris une chose. Il a beau clamer sa volonté de combattre le "système", mais son seul Pastef ne peut faire tomber le "système". Et l'affaire Adji Sarr a fini de le convaincre qu'il faudra aller chercher des forces ailleurs s'il veut faire face à l'implacable machine de Macky Sall qui broie tous ses adversaires depuis 2012. C’est donc le temps des grandes manœuvres. Macky Sall qui a enclenché une remobilisation de ses troupes à Pikine, à Matam, malgré les violences physiques et les propos d’une autre époque, n’a pas dit son dernier mot. Karim Wade et Khalifa Sall sont dans l’expectative et entendent se battre pour exister. Les autres opposants qui, pour le moment, sont en bonne intelligence avec Ousmane Sonko ou dans des coalitions, ne voudront pour rien au monde se faire phagocyter et jouer les seconds rôles, sauf s’ils se rendent compte de leur incapacité à aller seuls. 2024 n’est pas encore là, même s’il faut être prêt avant. La question du 3ème est toujours dans les esprits. Mais d’ici là, la route est bien longue.