NETTALI.COM - Au service de son pays et de l’humain, Amadou Mahtar Mbow a été de presque tous les combats démocratiques. D’abord contre le nazisme, ensuite pour l’indépendance des pays d’Afrique, plus tard contre la détérioration des termes de l’échange, la monopolisation des flux d’information par le Nord...

J’ai vécu en zone occupée par les Allemands pendant deux mois. J’ai été aidé par des familles, alors que les Allemands menaçaient d’exécuter tous ceux qui aideraient des militaires...’’. Ainsi s’exprimait le président Amadou Mahtar Mbow, engagé volontaire dans l’armée française en 1940. C’était sur Radio France internationale, il y a dix ans. Le Sénégal célébrait les 90 ans d’un citoyen du monde, profondément attaché à ses origines africaines et sénégalaises. Né le 20 mars 1921 à Dakar, grandi à Louga, l’homme des Assises nationales du Sénégal fête, aujourd’hui, ses 100 ans. Occasion choisie pour rendre un vibrant hommage à son épouse haïtienne avec qui il a cheminé 71 bonnes années avec qui il a aujourd’hui trois enfants : deux filles et un garçon.

Dans une vidéo réalisée à cet effet, il déclare d’un air ravi : ‘’... Je dois vous dire que je n’ai jamais rien fait sans être d’accord avec mon épouse. Je l’ai rencontrée à la Sorbonne. C’était dans un amphithéâtre, pour la première fois, dans un cours sur les civilisations carolingiennes. Et nous étions les seuls Noirs dans l’amphi. Après le cours, nous sommes allés l’un vers l’autre. Et je vis avec elle, depuis 71 ans, le bonheur parfait et complet...’’

Ainé d’une fratrie de trois enfants, Mahtar a très tôt compris le sens des responsabilités. Toute sa vie, il se sera battu pour sa communauté, son pays et pour l’Afrique. Mais chez le doyen, la famille est sacrée. Retiré au Maroc après une carrière bien remplie, alors même qu’il s’était fixé la résolution de ne plus jamais se mêler de politique depuis son départ de l’Unesco, il est ‘’victime’’ de sa grande probité morale. Pour conduire les Assises nationales, les initiateurs voient en lui le profil parfait, compte tenu de son parcours sans tache. Ils ne lui laisseront aucune chance. ‘’Vu mon âge, témoigne celui qui fête ses 100 ans, je pensais qu’ils devaient prendre un autre. Mais ils ont insisté. J’ai alors décidé de consulter ma femme, mes enfants, parce que je me suis dit que tout ce que j’engage dans ma vie a des répercussions sur ma famille’’. En homme de dialogue et de consensus, il aura tout fait pour que la majorité d’alors puisse participer à ces réflexions, dont l’objet proclamé était la refondation de l’Etat et la mise en place des bases du développement. Mais c’était sans compter sur le président Abdoulaye Wade, qui y voyait plutôt une initiative de contestation et de remise en cause de la légitimité de son régime. Contre vents et marées, Mbow et Cie continueront leurs travaux jusqu’à leur terme. Une œuvre titanesque qui dort malheureusement toujours dans les tiroirs. Malgré les engagement de l’actuel président de la République, avant son accession à la magistrature suprême, d’en appliquer les conclusions.

Témoin privilégié de l’histoire politique du Sénégal, l’ancien coordonnateur de l’Association des élus locaux, Amadou Tidiane Wane déclare : ‘’Il faut absolument revisiter les Assises nationales, regarder les conclusions pertinentes pour le développement du Sénégal et essayer de les mettre en œuvre. C’est le plus grand service qu’on peut rendre à ce grand Monsieur qui, toute sa vie durant, s’est battu pour l’indépendance et le développement de ce pays.’’

L’entrée tardive à l’école française

Fils du notable Fara Ndiaye et de Ngoné Kasset, Amadou Mahtar Mbow est un digne fils du Ndiambour. Issu d’une famille musulmane, il a failli ne pas aller à l’école française. Son père préférant l’inscrire à l’école coranique, entre 5 et 6 ans. Il a fallu l’intervention du député Blaise Diagne pour que le pater change d’avis. Il avait déjà entre 9 et 10 ans. Ce qui le handicapera un peu, quand, plus tard, après le Certificat d’études, il voulut rejoindre le lycée Faidherbe de Saint-Louis qui était, avec Van Vollenhoven de Dakar, les seuls lycées du Sénégal. ‘’Blaise Diagne avait beaucoup insisté pour que mon père puisse m’emmener à l’école...’’. Malgré le léger retard, le jeune Lougatois est déterminé à aller de l’avant. Il sera finalement admis au Cours commercial de Dakar organisé par la Chambre de commerce, avant de passer un concours d’admission pour devenir commis dans l’Administration.

En 1940, il dépose ses baluchons en France, où il a été reçu dans une école de l’armée de l’air...

Titulaire d’un Brevet supérieur de mécanicien électricien de l’armée de l’air, le soldat démobilisé reste en France après la guerre, pour poursuivre ses études. Admis en classes préparatoires, il avait le choix entre un cursus d’élève ingénieur ou élève technicien supérieur. Après un an en classe préparatoire, il décide de préparer le Baccalauréat. Le Bac en poche, Mahtar prend la décision de changer complètement d’orientation, en optant pour des études en histoire et géographie. Il disait : ‘’C’était pour des raisons politiques. J’ai pris conscience de ce qu’est le système colonial. Et je me suis dit, pourquoi ne pas se battre pour l’indépendance de nos pays, l’utilisation de nos ressources pour nous-mêmes. Après le Bac, je me suis donc inscrit à la Sorbonne.’’

Pour lui, c’était une nécessité vitale, pour permettre aux jeunes Africains de se situer par rapport au passé, mais aussi par rapport au présent. ‘’Il fallait leur donner une conscience des réalités africaines et de tout le processus d’évolution de l’Afrique depuis le XVe siècle et même avant. Parce que l’Afrique a quand même connu des périodes avec de grands Etats, de grands empires’’, confiait-il à RFI.

Après l’obtention de la licence à la Sorbonne, Amadou Mahtar Mbow est recruté en tant que professeur et affecté à Rosso, en Mauritanie. Deux ans plus tard, il sera réaffecté au Sénégal pour créer l’éducation de base. ‘’Parce que, renseigne-t-il, j’étais le seul professeur africain qui parlait les langues du pays. Et l’éducation de base supposait de vivre dans les villages et d’apprendre aux populations le français pour qu’ils puissent améliorer leurs conditions de travail. Cela m’a permis d’être en contact direct avec le monde rural, pendant plusieurs mois. Je leur apprenais les techniques de l’agriculture, de l’élevage...’’.

Le premier ministre de l’Education du Sénégal

A l’adoption de la loi Deferre, le militant de l’Union progressiste socialiste (UPS) devient le premier ministre de l’Education du Sénégal, encore sous domination coloniale. A la tête de ce département stratégique, il va entamer de grandes réformes. Mais, très vite, en 1958, il prend ses distances avec le camp de Senghor et de Dia. Comme Sékou Touré en Guinée, lui et ses amis dont Abdoulaye Ly ayant estimé que l’indépendance c’était maintenant, au référendum de 1958. En réunion à Rufisque, le Conseil de l’UPS se termine en queue de poisson. Senghor et Mamadou Dia optent pour la communauté avec la France. Mbow et Cie disent non et choisissent l’indépendance. Le clash était ainsi inévitable. ‘’Nous avons quitté le Congrès pour créer, dans la nuit même, chez Gabin Guèye, à Rufisque, le Parti du regroupement africain/Sénégal (Pra/Sénégal) en disant : ‘Nous restons fidèles au mot d’ordre de Cotonou.’’’

Ce mot d’ordre auquel avait souscrit l’UPS prévoyait : ‘’Nous ne pouvons pas discuter avec la France tant que nous n’avons pas, nous-mêmes, notre indépendance. Et notre indépendance, nous la voulions avec la Fédération africaine’’, confiait-il dans ‘’Sud’’.

Ainsi, Amadou Mahtar quitte le gouvernement où il était super ministre de l’Education, de la Culture, de la Jeunesse et des Sports. Il a quitté avec ses compagnons de guerre Latyr Camara (ministre de la Fonction publique) ; Jaraf Diouf (ministre des Travaux publics). Ensemble, ils venaient de rejoindre Abdoulaye Ly, Ministre du Commerce qui avait démissionné bien avant cet épisode. Jusqu’en 1966, malgré l’accession à l’indépendance en 1960, ils s’opposeront au régime de Senghor. En 1966, le président-poète parvient à nouveau à réunifier la grande famille UPS-Pra/Sénégal. Mbow est redevenu ministre de l’Education pour ne changer de poste qu’à la suite des évènements de Mai 1968. Il passera d’abord ministre de la Culture, avant de terminer sa brillante carrière à l’Unesco, de 1974 à 1987.

"En réalité, l’indépendance n’a jamais été une indépendance"

Au service de son pays et de l’humain, Amadou Mahtar Mbow a été de presque tous les combats démocratiques. D’abord contre le nazisme, ensuite pour l’indépendance des pays d’Afrique, plus tard contre la détérioration des termes de l’échange, la monopolisation des flux d’information parle Nord...Par rapport à ce dernier point, il aura accompli des progrès indéniables, lorsqu’il était à la tête de l’Unesco.

Dans son interview avec ‘’Sud’’, il disait : ‘’En réalité, il ya eu beaucoup de choses qui ont changé en ce qui concerne l’information. N’oubliez pas que quand on faisait le Nomic, le Sénégal n’avait pas un journal indépendant et libre. Et c’est ‘Sud’ qui était le premier. Et nous vous avons quand même aidé dans le cadre du PIDC (Programme international de développement de la communication).’’

A l’époque, confiait le visionnaire, il n’y avait que quatre grandes agences de l’information (AFP, Tass, Upi et AP). Un oligopole qu’il a voulu briser, tout en normalisant davantage le secteur des médias. ‘’En parlant du Nomic, j’ai voulu juste normaliser. Il y a eu des réunions avec des agences de presse, des journalistes et j’ai proposé, étant à l’Unesco, une réunion pour définir une déontologie de la presse, à Paris. J’ai dit qu’on fixe les règles c’est-à-dire qu’un journaliste a la responsabilité de ce qu’il écrit et que plus jamais, on ne change une dépêche qu’envoie un reporter. Et que le journaliste doit assumer sa responsabilité. C’est tout !’’.

Panafricaniste convaincu, le professeur Amadou M. Mbow est aussi profondément attaché à ses racines, à son terroir. Au retour de son premier séjour en France, en 1940, une tante interpelle son amour propre. ‘’Mahtar, lui lança-t-elle, tu es allé jusqu’en France, mais est-ce que tu es allé une seule fois chez ton grand-père ?’’. Le jeune combattant décide alors de retourner aux sources. ‘’En 1941, disait-il dans ‘Sud’, je suis allé au village natal de mon père, de mon arrière-grand-père, du côté de ma mère, à Ngaye. Et depuis ce temps, je suis lié aux gens de Ngaye’’.

Après près de 60 ans de souveraineté, Mbow parlait de l’indépendance en ces termes, en 2017 : ‘’En réalité, l’indépendance n’a jamais été une indépendance. Il faut être honnête et dire les choses telles qu’elles sont. On nous a donné l’indépendance, mais il faut reconnaitre que toutes nos orientations allaient dans le sens des intérêts français ; et des intérêts français qui existaient ici au moment de la colonisation. Même à l’heure actuelle, nous en sommes encore là.’’