NETTALI.COM – Il avait tout pour bomber le torse. Mais il a préféré vivre dans la plus grande discrétion. Universitaire émérite, homme d’Etat de grande envergure, petit-fils de Cheikh Ahmadou Bamba, le Pr. Moustapha Sourang est parti sur la pointe des pieds, dans la nuit du lundi 3 au mardi 4 août 2020. Il rejoint dans l’au-delà son épouse, décédée il y a une vingtaine d’années.

Tonneau bien rempli, Moustapha Sourang a toujours avancé doucement, calmement… Sans bruit ! Comme il a vécu, il quitte ce bas monde sur la pointe des pieds. Rejoignant son épouse dont il est resté fidèle environ une vingtaine d’années après sa mort, il laisse derrière lui quelques bouts de bois de Dieu, dont un garçon établi au Canada. Homme discret, effacé, très loin des mondanités de cette vie, l’ancien président de la Commission nationale de réforme foncière a su rester au-dessus des clivages partisans et/ou claniques. Son neveu, Mor Sourang, Coordonnateur du Regroupement des syndicats des transporteurs du Sénégal (il est le fils de son frère), témoigne : “Pour Moustapha, la politique c’est servir son pays. Il n’a jamais usé de ses fonctions pour s’enrichir, enrichir ses amis ou ses proches. C’est un homme qui a toujours agi dans l’intérêt supérieur de la Nation, de la République. En tant que ministre de l’Education, il n’a jamais donné de bourse à son fils qui est maintenant au Canada. Moi qui vous parle, je n’ai jamais gagné de marchés dans son département, sous son magistère. Je pense que cela en dit suffisamment sur l’homme et son rapport avec le bien public.’’

Comme une obsession, le grand universitaire, petit-fils de Bamba, s’est toujours soucié de son legs, en tant que serviteur de la Nation, en tant que père de famille, en tant que croyant tout court. A ses proches, il rappelait sans cesse : “Ce qui reste des hommes quand ils ne sont plus de ce monde, ce sont les bons actes qu’ils ont eu à accomplir. Il faut donc tout faire pour laisser une bonne image. Ainsi, on survivra même à la mort.’’ Et quand, de sa paisible retraite, de beaux témoignages lui étaient rapportés sur son passage aux différentes sphères de l’Etat, il était simplement fier. Mor Sourang rapporte : “Une fois, lors d’un conseil d’administration d’une société d’assurance de la place, un des administrateurs m’a dit : ‘De tous les hommes politiques que je connais, c’est lui que je peux jurer qu’il n’a pas détourné des deniers publics.’ Quand je lui ai raconté cela, il m’a dit : ‘Tu étais fier, j’imagine ?’ J’ai répondu par l’affirmative, et il a ajouté : ‘J’ai tout fait pour ne pas vous déshonorer, déshonorer notre nom. Vous aussi faites tout pour ne pas me déshonorer, pour ne pas déshonorer la famille.’’

De Moustapha, les témoignages recueillis sont presque unanimes. Quand vous discutiez avec lui, vous en ressortiez dégoûtés par le matériel. Fils de Masourang Sourang (grand dignitaire mouride) et de Sokhna Bintou Mbacké (fille de l’ainé et premier khalife de Serigne Touba), le disparu a vécu en ascète. Son ancien chef de cabinet, Mor Ndiaye, confirme : “Il vivait très modestement. Très, très, très modestement’’, se répète-t-il, avant d’ajouter : “Je peux dire qu’il oubliait même qu’il était ministre. A Touba, il se déplaçait pieds nus. Il était très, très modeste. Tout ce qui est matériel, tout ce qui est mondain, tout ce qui est festif, ce n’était pas Moustapha. Il était un homme calme, un homme sobre, un homme pondéré.’’

Avec ce que gagne un professeur d’université, disait-il à ses proches, on doit pouvoir vivre toute sa vie à l’abri du besoin. “Donc, si on vous choisit parmi 15 millions de Sénégalais pour vous confier l’aumône des Sénégalais - parce que c’est comme ça qu’il appelait le budget de l’Etat - il faut tout faire pour le gérer de manière exemplaire. Ainsi, demain, au jugement dernier, vous n’aurez pas de regret. Il faut savoir que dans ce budget, il y a et l’argent du pauvre et l’argent du riche. Au nom de quoi devrions-nous prendre cet argent, où il y a des cotisations de citoyens qui arrivent difficilement à joindre les deux bouts ?’’, rapporte son neveu de transporteur.

Ainsi était Sourang. Né le 24 juillet 1949 à Saint-Louis, il avait un rapport assez particulier avec l’argent, les biens matériels. De quoi rendre fiers ses descendants. Le coordonnateur du FRN (Front de résistance nationale), Moctar Sourang, se rappelle cette confidence. Un jour, au ministère de l’Education, quelqu’un lui avait apporté une valise remplie d’argent et une montre de valeur. Il ne savait pas ce que c’était. A son départ, il ouvre la valise et a failli tomber des nus. De suite, il a rappelé la personne pour lui dire de reprendre sa valise. Il n’a conservé que la montre. “Et il m’a confié que s’il savait que c’était en or, il ne l’aurait pas gardée. C’est un modèle pour nous sa famille. Il doit servir d’exemple pour la jeunesse sénégalaise, pour tous les dirigeants, hommes politiques de ce pays. Malgré ses titres, malgré son immense savoir, il est resté un talibé, quelqu’un qui était très proche de sa famille. C’est un exemple à méditer. Il ne s’est jamais servi de sa fonction. Il a toujours servi le Sénégal’’.

Un homme très à cheval sur les dossiers De par sa trajectoire, Moustapha Sourang aurait pu tout avoir. Mais il s’en est détourné pour un autre idéal. Aux côtés du très politique Abdoulaye Wade, pendant une bonne dizaine d’années, l’ancien ministre a su rester distant, soucieux des principes fondateurs de la République. Son ancien chef de cabinet déclare : “Il n’avait le temps ni pour la politique encore moins pour les détails. C’était un homme de dossiers, un grand bosseur qui ne rechignait jamais à la tâche.’’ Saisissant la balle au bond, Moctar Sourang renchérit : “Il était plutôt un technocrate. Quelqu’un qui aimait parler d’éducation nationale, de ressources naturelles, de questions foncières… Rarement de politique politicienne. Il pouvait donc travailler avec n’importe quel régime. Ce qui l’intéressait, c’était le Sénégal, pas les idéologies partisanes.’’

De son bref passage à la tête du ministère de la Justice, l’ancien procureur de la République près le tribunal de grande instance de Dakar, Ousmane Diagne, retient ceci : “J’ai travaillé avec plusieurs gardes des Sceaux. Et à l’exception notable du Pr. Moustapha Sourang à qui je rends hommage, j’ai toujours eu de grandes difficultés avec eux, à un certain moment.’’ Il ajoute : “Son comportement, ses directives, son action ont toujours été en conformité avec la loi et l’intérêt général. C’est vrai qu’il n’a fait que deux mois. Mais avec lui, je peux dire que toutes les instructions qu’il a eu à donner ont été conformes à la loi et à l’intérêt général. Il était extrêmement soucieux de se conformer, rigoureusement, aux principes. Lorsque tu lui proposais un mode de règlement, sa première réaction était de savoir : quelles étaient les bases juridiques ? Dès lors que tu parviens à lui fournir cette base juridique, le problème est réglé à son niveau.’’

Outre la Justice, Sourang a été un super ministre de l’Education nationale pendant très longtemps. Sur ses épaules, reposait tout le système éducatif, de la base jusqu’au sommet. Il gérait beaucoup de milliards. “Une fois, lors d’une cérémonie religieuse, un grand homme d’affaires s’est levé pour dire : je suis untel ; j’ai gagné des milliards de marchés quand il était au ministère de l’Education. Mais c’est la première fois que l’on se voit. Quand je l’ai salué, il ne m’a même pas reconnu. Cet homme-là, il ne prenait pas de commissions. Moustapha disait qu’il a eu à gérer 4 200 milliards de F CFA ; il n’en a pas détourné un rond, et c’est sa plus grande satisfaction.’’

Ces derniers temps, il était un peu alité, à cause d’une vilaine fracture pour laquelle il était hospitalisé. Mais, souligne Moctar Sourang, il se sentait beaucoup mieux. Il était même sorti de l’hôpital et suivait tranquillement sa rééducation. Puis il a eu une attaque. “On l’a emmené à l’hôpital et quelques minutes après, il est décédé. Il était là-bas avec ses enfants à qui il a consacré toute sa vie’’.

Nommé super ministre de l’Education nationale en mai 2001 (préscolaire, moyen-secondaire supérieur, enseignement professionnel), l’ancien recteur de l’Ucad n’a quitté le secteur éducatif qu’en 2009. Le département XXL avait déjà connu une scission et il était chargé de l’Enseignement supérieur. Sous son magistère, rappelle son ancien chef de cabinet, les centres universitaires ont été portés sur les fonts baptismaux. “Il y avait, rappelle Mor Ndiaye, Thiès, Bambey et Ziguinchor. L’objectif était de former des Bac+2. C’est par la suite que les étudiants de Bambey, notamment, ont mené une grève pour être alignés sur les autres universités, parce qu’ils voulaient faire des Masters. Malgré les multiples négociations, ils ont dit niet. Et finalement, Wade a accédé à leurs doléances’’. Toujours sous son magistère, les lycées et collèges de proximité ont également vu le jour. “C’est sous son impulsion que l’Etat a mis un lycée dans chaque département du pays. Le défunt khalife général des tidianes, Serigne Abdoul A. Sy Junior, lui disait : ’Grâce à vous, Abdoulaye Wade a laissé dans chaque département ’pithie buy sapp’, c’est-à-dire un lycée. Je ne parle pas des ‘daaras’ modernes et collèges de proximité qu’il a initiés. C’est quelqu’un qui a beaucoup fait pour l’enseignement et les enseignants.’’

Parmi ses avancées, il y a également l’indemnité de recherche documentaire qui avait défrayé la chronique en son temps, le passage des contractuels dans le corps des instituteurs et professeurs titulaires, leur participation aux concours professionnels... “De plus, avant, les maitres contractuels ne pouvaient pas participer au mouvement national. C’est grâce à lui qu’ils peuvent être affectés. C’était une bouffée d’oxygène. Imagiez quelqu’un qui habite Kédougou, on lui dit qu’il doit rester à Dakar toute sa vie… C’était une injustice qu’il a aidé à corriger’’.

Ancien ministre de l’Education nationale, ancien ministre de l’Enseignement supérieur, ancien ministre de la Justice, ancien ministre des Forces armées (décembre 2011-avril 2012), ancien ministre d’Etat, conseiller personnel du président Wade, Sourang a aussi été doyen à la faculté de Droit de l’Ucad. Après sa Licence obtenue en 1974, il fait cap sur Bordeaux où il a fait son DEA en droit public en 1975 et un DES en Sciences politiques en 1976. Il a soutenu sa thèse en 1980 et obtient l’agrégation en 1982. Doyen de 1984 à 1999, il a été recteur entre 1999 et 2001, avant sa nomination comme ministre. Resté proche collaborateur de Wade durant tous ses deux mandats, il aura aussi servi sous Macky Sall en tant que président de la Commission nationale de réforme foncière.

Décrit comme un homme fidèle et loyal, le Pr. Sourang a préféré se consacrer à l’éducation de ses enfants, depuis la mort de leur maman. “C’est un homme très fidèle en tout. Il a tenu toutes ses promesses et réussi l’éducation de ses enfants. C’était son objectif. Il aurait bien pu refaire sa vie après la mort de son épouse, mais il a préféré se consacrer entièrement à l’éducation de ses enfants. C’était un homme exceptionnel. Il était honnête et sincère’’. Travailleur infatigable, passionné d’agriculture, Moustapha Sourang aimait se retrancher dans ses champs, dans la zone des Niayes, de temps en temps, pendant les weekends. “C’était un solitaire ; il aimait méditer, rester seul. Il aimait lire le Coran, les ‘khassaides’ de Serigne Touba, faire des prières…’’, renchérit Moctar Sourang. Décédé lundi soir à l’hôpital Principal, il sera inhumé, aujourd’hui, à Touba.

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