CONTRIBUTION- Fort de son coefficient personnel, de la prime au sortant, mais aussi de la surprenante attitude des Sénégalais, étonnants d’indulgence à l’égard d’un Macky Sall dont la gouvernance aura été traversée par une série de scandales dont la gravité aurait dû lui valoir une sanction méritée dans les urnes et à la hauteur des forfaitures, le candidat de Benno Bokk Yaakaar s’en est bien tiré, en dépit de l’enfer qui lui était promis dans cette élection présidentielle de 2019.

Tout aussi étonnant, c’est le calme qui a régné dans le pays suite à l’annonce des résultats par le juge Demba Kandji, alors qu’avant ce moment fatidique et redouté, tout le monde était sur le qui-vive, la tension ambiante irrespirable et le Sénégal comme assis sur une poudrière. Au final, rien. Qu’est-ce qu’il a de la baraka, ce Macky Sall ! Cela étant, la surprise, ce n’est pas tant la victoire de Macky Sall au premier tour, avec 58,27% des suffrages, que l’ampleur de l’écart qui le sépare de son suivant immédiat, Idrissa Seck, qui arrive très loin derrière, avec seulement 20,50% des suffrages, soit de 38 points de différence. Un fossé abyssal.

La déception est grande pour Idrissa Seck qui, dans une profession de foi, disait qu’il n’était intéressé que par un seul numéro, le numéro 1, celui de président de la République. Maintenant que les craintes d’un second tour risqué et tant redouté pour un candidat sortant, se sont dissipées, et que l’opposition a tôt fait de déposer les armes en décidant de ne pas introduire de recours auprès du Conseil Constitutionnel, officialisant ainsi presque sa réélection, Macky Sall peut désormais voir venir et se projeter sur un nouveau et dernier quinquennat qui ne sera pas de tout repos, même s’il est déchargé de la pression d’une nouvelle réélection.

Les chantiers, nombreux, sont bien là, et constituent de la matière, pour un président Macky Sall qui a du pain sur la planche. A présent que l’élection présidentielle est derrière nous, le président Macky Sall doit s’ériger en président de tous les Sénégalais. Y compris les 41,73% d’électeurs qui n’ont pas voté pour lui. Cela signifie qu’il doit se détacher de toutes les contingences partisanes et servir exclusivement la nation sénégalaise. Le président Macky Sall doit mettre fin à l’impunité et lever ce coude au-dessous duquel gisent des dossiers compromettants pour des gens de son camp et de son clan. Malgré les positions tranchées et les lignes distendues, le président Macky Sall ne peut pas faire l’économie d’un dialogue politique franc et structurant avec toute la classe politique et les acteurs non-étatiques.

La surenchère ne règle rien dans la mesure où les différents camps se braquent et c’est tout le pays qui est bloqué. Des dossiers comme le statut du chef de l’opposition, la rationalisation et le financement des partis politiques sont arrivés à maturité et doivent par conséquent trouver des accords entre le pouvoir, l’opposition et la société civile. Le vote de lois d’amnistie en faveur de Karim Wade et de Khalifa Sall, devrait pouvoir consacrer le dégel et la décrispation du climat politique au Sénégal, pour un retour à la normale.

Mais auparavant, Macky Sall doit mettre la pédale douce en mettant un terme à la vague d’arrestations perpétrées ces derniers temps, et libérer les femmes de la « coalition Idy 2019 » arrêtées au quartier général de Bokk Gis-Gis, les jeunes de la « coalition  Idy 2019 » interpellés le mardi 26 février 2019, suite à une manifestation devant les grilles de la RTS pour dénoncer « une manipulation de certains médias des résultats de la présidentielle » et, tout dernièrement, le colonel Abdourahim Kébé du parti REWMI d’Idrissa Seck. A quoi bon, après une victoire nette et sans bavure, faire dans la surenchère et attiser le feu, au lieu de jouer au rassembleur et apaiser les tensions ?

L’émergence ne se fera jamais dans l’instabilité. Une chose est de vaincre son adversaire. Vouloir l’achever et l’humilier, en est une autre. Mais Ô Bon Dieu, que c’est inutile, irréfléchi, inopportun et ne fera que radicaliser davantage ce dernier. Cette frénésie totalitaire du pouvoir est inacceptable. Il faut arrêter Macky Sall. Si sa manie de prendre le bâton pour taper sur tout ce qui bouge prospère, c’est avec la passivité et la complicité des Sénégalais qu’on ne comprend plus du fait de leur étonnante apathie. Personne ne bronche devant ces signes évidents d’une dictature rampante qui ne semblent émouvoir personne. N’ayant plus la capacité de s’indigner, les gens ne disent rien, devant un président Macky Sall qui continue de faire dans la surenchère, puisqu’aucune voix ne s’élève pour le rappeler à l’ordre. C’est une démission collective des Sénégalais devant les dérives de Macky Sall.

On ne peut pas, avant, pendant et après l’élection présidentielle, vivre l’acharnement continu du président Macky Sall contre les opposants sans lever le plus petit doigt pour refréner ses ardeurs. Si l’Etat a réellement la volonté de fumer le calumet de la paix avec l’opposition, il doit être ouvert aux offres de médiation et d’intercession initiées par les organisations de la société civile dans le but de concilier les positions antagonistes et de faire bouger les lignes.

Par ailleurs, s’il y a un domaine où le président Macky Sall a péché durant son premier mandat, et qui devait lui valoir son renvoi immédiat et sans ménagement dans l’opposition dans cette élection qui l’a plébiscité, c’est bien la sécurité. On a vu tout l’arsenal policier que l’Etat a déployé pour bien sécuriser la réélection de Macky Sall. Un engagement ferme et résolu, mais inversement proportionnel au peu de cas fait à la sécurité des populations sénégalaises, notamment dans la banlieue dakaroise, où les coupe-gorge sèment la terreur au quotidien à travers des agressions et des crimes crapuleux. Le samedi dernier, le corps sans vie d’un enfant âgé de trois ans, Ahmadou Seydi, a été retrouvé dans un sac en plastique sur la plage de Malika. Si la Police d’Etat faisait montre de la même hargne envers les malfaiteurs qu’elle ne le fait à l’endroit des opposants, on n’en serait pas là aujourd’hui.

Le président Macky Sall doit engager, sans plus tarder, les grandes réformes de la justice dans le sens de son indépendance (retrait du président de la république et du garde des sceaux, du Conseil supérieur de la magistrature, transformation du Conseil Constitutionnel en Cour Constitutionnelle, normalisation des rapports avec l’Association des magistrats du Sénégal (AMS), règlement du conflit avec le Syndicat des Travailleurs de la Justice (SYTJUST), etc.).

Il y a lieu aussi de respecter le principe d’inamovibilité des magistrats du siège et de réduire les pouvoirs du procureur tendant à mettre facilement et systématiquement les prévenus sous mandat de dépôt, ce qui ne fait qu’engorger les prisons. Cette situation est intrinsèquement liée aux longues détentions préventives qui peuvent être corrigées par un recrutement massif de magistrats, de greffiers et d’autres auxiliaires de justice afin que les prévenus puissent être jugés dans des délais raisonnables. Dans la même veine, le système d’indemnisation des victimes d’erreurs judiciaires ne fera que réparer une grosse injustice.

Par ailleurs, quel sera l’avenir de la reddition des comptes, qui s’est muée par la force des choses en règlement de comptes dans une traque des biens mal acquis trop politisée au point d’être biaisée et vidée de sa substance? Dans le même ordre d’idées, la réforme de la Cour de répression de l’enrichissement illicite (CREI) tant décriée ou l’abrogation de la loi scélérate instituant cette juridiction d’exception est très attendue des justiciables.

Le dialogue politique, sincère cette fois-ci, doit être relancé dans l’intérêt supérieur de la nation dans le but, par exemple, de corriger les affres de la loi sur le parrainage. Le mode de scrutin des élections législatives gagnerait à être changé pour augmenter le nombre de députés élus sur le scrutin proportionnel et supprimer le scrutin majoritaire (« raw gaddu »). Dans cette optique, les députés investis à partir de la base, ne seront plus redevables aux chefs de file de leur partis ou coalitions de partis, pour devenir, une fois élus, des « députés de Macky Sall » ou des « députés d’Abdoulaye Wade ».

De cette façon, le pouvoir législatif, incarné par l’Assemblée nationale, ne serait plus vassalisée par le pouvoir exécutif. Mais, cela ne suffit pas. L’hyper-présidentialisme est appelé à disparaître pour un rééquilibrage des trois pouvoirs (exécutif, législatif, judiciaire). Puisqu’on est en république, l’offense au chef de l’Etat, une survivance d’une disposition féodale et une transposition dans le droit républicain du crime de lèse-majesté d’ancien régime, en France, qui remonte au moyen-âge et qui était en vigueur dans la royauté, est anachronique et doit donc être élaguée du droit positif sénégalais par l’abrogation des articles 80 et 254 du Code pénal Sénégalais.

Le problème à ce niveau, c’est que lorsque Macky Sall, revêtu de son manteau de chef de parti, l’Alliance pour la République (APR), attaque ses opposants et que ces derniers lui apportent la réplique dans la même forme, Macky Sall se braque, s’offusque et enfile son manteau de chef de l’Etat pour les accuser d’offense au chef de l’Etat. Pour en finir avec cette farce, il faut, en application des recommandations de la Charte de la gouvernance démocratique des « Assises nationales » et de celles de la Commission Nationale de Réforme des Institutions (CNRI), que le chef de l’Etat ne soit plus en même temps un chef de parti politique.

Un des grands chantiers du président Macky Sall dans ce nouveau quinquennat reste sans aucun doute la restauration de l’Etat de droit et des libertés démocratiques, gravement mis à mal par les deux derniers régimes, de 2000 à nos jours. Abroger « l’arrêté Ousmane Ngom », liberticide et anticonstitutionnel, qui interdit toute manifestation publique sur le territoire dakarois compris entre l’avenue Blaise Diagne et le Cap Manuel, est une nécessité.

Le respect de l’Etat de droit, l’équité et la restauration des valeurs signifient aussi le non-embrigadement des corps de contrôle de l’Etat et le traitement diligent mais aussi équitable de leurs rapports, sans être tenté de mettre sous le coude ceux qui sont compromettants pour ses partisans et d’envoyer au procureur ceux de ses adversaires politiques.

La restauration des valeurs ne devrait pas être en reste. En faisant l’apologie de la transhumance, et en s’illustrant dans l’achat de conscience, la corruption et la concussion, le président Macky Sall a beaucoup péché dans la promotion des valeurs et a atteint le paroxysme de l’indignité à travers le reniement (« wax waxeet ») sur l’engagement à réduire son mandat de 7 à 5 ans remis en cause par le fameux avis-décision des « 7 sages ».

Le président Macky Sall n’a également rien à perdre, mais a tout à gagner dans une réconciliation avec Me Abdoulaye Wade. Un Abdoulaye malheureux, c’est un échec pour Macky Sall. Conscient de cet état de fait, Macky Sall doit faire la paix des braves avec un homme qui lui a mis le pied à l’étrier pour en faire ce qu’il est devenu aujourd’hui par la volonté du Bon Dieu. Macky Sall doit donc faire abstraction de toutes les contingences politiques passagères qui, à un moment donné, les a éloignés l’un de l’autre, et pire, ont été alimentées et ravivées par des faucons des deux bords qui vivent et se nourrissent de ce conflit regrettable entre « un père » et « son fils ».

Véritable clone du président Abdoulaye Wade, le président Macky Sall a singé ou essayé de ressembler et de se mesurer à son ex-mentor et maître jusqu’au bout. Le mimétisme, à travers les actes posés et les résultats obtenus, frisent le copier-coller manifeste : tous les deux sont des bêtes politiques redoutables, des champions des infrastructures, ont eu deux mandats consécutifs pour chacun, se prévalent de douze années de pouvoir, et ont asséné le même " coup KO" à l’opposition au premier tour pour leur réélection.

( A suivre dans le bloc Contribution 2)