On y est presque. L’horizon qui semblait, il y a trois ans, au moment du référendum, si lointain, est bien là. La semaine prochaine, lorsque vous lirez cet éditorial, ce ne sera point pour traquer les points de programme de tel ou tel candidat, mais pour savoir pour qui la messe a été dite.

Il est presque sûr que nous aurons droit à des surprises tout en chiffres. Comment 2019 pourrait- elle donc faire exception à la règle, quand on sait les conditions dans lesquelles Me Abdoulaye Wade a été porté au pouvoir, après 25 ans d’opposition ? Faut-il rappeler qu’en 1999, il a fallu travailler le Pape du Sopi au corps (Dansokho, Landing et Bathily) pour le convaincre de quitter sa douillette résidence de Versailles, à Paris, dans une quasi-résignation, pour rallier Dakar et engager le dernier round d’un combat qui mettra Diouf Ko en 2000. Et ensuite, les confidences des premiers instants de son arrivée au pouvoir, révèlent bien qu’il était tout surpris de prendre, comme cueilli un fruit mûr, la place de Diouf qu’il avait à la fois admiré, craint et détesté.

Sept ans après cette alternance historique, à l’élection présidentielle de 2007, alors que les analystes les plus fins lui prédisaient un second tour suivi de sa chute, revoilà le Pape du Sopi, qui avait Macky Sall comme directeur de campagne, passer au premier tour, à la surprise générale.

Enfin, en 2012, l’actuel président sortant n’était pas vu comme le favori à la succession de Wade, ni par la classe politique dite éclairée ni par les “fins analystes’’ de l’époque. Pourtant, Macky Sall coiffa au poteau les deux dinosaures socialistes (Niasse et Tanor) après l’implosion de Benno Siggil Senegaal qui avait pourtant bien travaillé en inspirant les Assises nationales et en imposant à Me Wade un bras de fer où il a laissé bien des plumes. La courbe
de performance des candidats à la dernière présidentielle, renseigne que ce ne sont pas ceux qui assurent le plus l’ambiance (en 2012, c’était entre la place de l’Indépendance et celle de l’Obélisque) qui récoltent forcément les fruits de la victoire. C’est dire que le bruit (qui intègre aujourd’hui les réseaux sociaux) est souvent un indicateur trompe l’oeil.

L’histoire fonctionne ainsi qu’elle se joue bien souvent de nos petits cerveaux en chair et en sang, promis à un destin tout en poussière. Cette “jurisprudence’’ politique récente doit, à notre avis, inviter à un sens de la retenue pour ne pas confondre désir et réalité.

Tout reste possible, y compris, de façon non péremptoire, le passage au premier tour du candidat Macky Sall. Mais, au moins, on peut convenir d’une chose : cette élection-ci est essentielle. Elle marque déjà un tournant majeur dans l’histoire politique de notre pays.

On ne l’a pas assez dit ; c’est bien la première fois que le Parti socialiste, qui a gouverné pendant 40 ans, est absent d’une présidentielle. Si l’on estime que l’ancêtre du Ps est le Bloc démocratique sénégalais (Bds) de Senghor, Dia et Ibrahima Seydou Ndaw, on peut dire que les socialistes participent à des élections depuis… 1948.

C’est aussi la première fois, depuis 40 ans, que le Parti démocratique sénégalais (Pds) ne présente pas de candidat à la présidentielle. Il faut rappeler que cette formation politique a pris part à toutes les élections depuis 1978,
hormis le boycott des élections locales de 1993.

Que ces deux formations politiques soient aux abonnés absents à cette élection-ci est déjà révélateur de l’importance de l’onde de rupture en mouvement.

Et comment ne pas relever que c’est bien la première fois qu’un candidat aussi jeune (Ousmane Sonko en l’occurrence) soit cité parmi les favoris à une présidentielle. On peut continuer à égrener ce chapelet des petites galanteries de la politique sénégalaise en relevant que seul un sur les quatre challengers du président Macky Sall a déjà pris part à une élection présidentielle. Il s’agit d’Idrissa Seck. Pour le reste, ce sont des “bleus’’ de la politique, pour utiliser un terme propre aux militaires. Il y a donc comme un parfum de nouveauté, une forte senteur d’aurore, une recomposition politique profonde qui est en train de produire ses effets, sans avoir besoin d’être constatée comme telle. A l’image de celui-là qui faisait de la prose sans le savoir. Nous pensons que ces effets vont aller crescendo et s’accélérer après 2019, avec l’irruption de nouvelles têtes porteuses de projets nouveaux. Le journaliste français Franz-Olivier Giesbert aurait dit que c’est “la fin d’une époque’’.

Ce mouvement, en marche, ne saurait malheureusement pas s’accommoder de puérilités. On ne peut pas désirer la démocratie, la chanter comme le système le moins mauvais de tous, pour ensuite en refuser les exigences.

Si les projecteurs doivent être braqués sur les abus du pouvoir actuel, il en doit être de même sur les profils de ceux qui veulent nous diriger. La balance doit être la même pour tous. Il est important que le citoyen sache pour qui il vote, si on lui donne les armes pour en sanctionner un autre. Qui est l’ami de qui ? Quels penchants idéologiques ? Quels appétits ? Et la réponse, lorsque vous êtes pris en flagrant délit de gourmandise, n’est pas de dire : “Il y a plus gourmand que moi’’, mais de prouver qu’on ne l’est pas. Les citoyens se doivent d’accepter cette règle du jeu pour éviter de se faire prendre pour du simple bétail électoral. Il y a comme une sorte de censure malsaine qui consiste à éviter (presque inconsciemment) de parler des cafards de ceux qui veulent le pouvoir. Par contre, est jugé crédible tout ce qui tape sur le pouvoir. Nous pensons que, de ce point de vue, il y a une exigence de rupture à faire, un saut de maturité, de toutes les façons, bénéfique à la démocratie.

Et parce que nous sommes en marche, non pas sur la terre ferme, mais sur un fil raide, regardons bien où nous posons le pied. Car un autre danger nous guette : la tentation du feu. La culture de la pyromanie ne peut déboucher
sur aucun horizon salvateur.

L’éthique “lance-flammes’’ n’est utile que pour faire la révolution. Nous ne pensons pas que les Sénégalais aient aujourd’hui besoin de titiller ces extrêmes, qui ont produit des effets très négatifs chez de proches voisins. Si Macky Sall doit quitter le pouvoir, cela ne pourrait se faire que par la voie des urnes. Espérons seulement que ces paroles de feu prononcées 25 ans après les évènements sanglants des Mouchtarchidines (16 février 1994) n’auront pas un écho favorable, surtout chez les plus jeunes.

Le Sénégal a plusieurs fois démontré qu’il est une démocratie majeure. Même en 2012 où les nuages étaient lourds de tous les dangers, le peuple, debout, a su relever le défi et imposer sa volonté. En toute finesse !