NETTALI.COM - La communication du ministère de la Justice sur les demandes d’extradition est, disons-le clairement, désastreuse. Non seulement elle fausse une certaine idée de la séparation des pouvoirs (judiciaire et exécutif) au Sénégal, mais elle installe une confusion lourde de conséquences, à la fois sur la scène internationale et dans l’opinion publique nationale.
À force de déclarations approximatives, l'on finit par laisser croire que le Sénégal demanderait à l’exécutif français de s’immiscer dans des procédures judiciaires pendantes devant sa justice. Pire encore, cette communication suggère — à rebours — que notre propre État serait capable d’obtenir des juges sénégalais, les décisions qu’il souhaite, au moment qu’il souhaite, dans les affaires d’extradition. Dans les deux cas, le signal envoyé est catastrophique.
Les affaires d’extradition sont, en France comme au Sénégal, d’abord des affaires judiciaires. Elles ne parviennent sur la table de l’exécutif qu’après épuisement de la phase juridictionnelle.
À ce stade de la procédure, le président français — pas plus que le président sénégalais — n’ose commenter la conduite d’un juge, ni anticiper une décision de justice. C’est la règle. C’est l’État de droit.
Or, la communication actuelle laisse entendre l’inverse : comme si l’exécutif pouvait peser sur le calendrier, orienter les décisions, ou activer une réciprocité politique dans un champ qui relève strictement du judiciaire.
Une indignation à géométrie variable
Autre incohérence flagrante : la ministre de la Justice elle-même a reconnu que le Sénégal a refusé quatre demandes d’extradition formulées par la France. Quatre. Sans crise diplomatique majeure. Sans suspension d’accord. Sans discours de rupture. Et aujourd’hui, elle s'indigne de deux demandes sénégalaises encore en cours de traitement judiciaire. Pas encore refusées et encore moins rejetées mais tout simplement pendantes devant la justice française. Où est la cohérence ? Ou alors se rendrait-elle compte de la fragilité du dossier Madiambal et anticiperait un refus ? Sa posture est en tout bizarre.
Le plus grave, c’est que cette agitation politique et médiatique fait précisément le jeu de ceux que l’on prétend vouloir extrader. Chaque déclaration maladroite renforce l’argument selon lequel les procédures seraient politisées. Chaque menace de suspension d’accord nourrit la thèse de l’acharnement. Chaque confusion publique affaiblit la crédibilité juridique du Sénégal.
Faut-il rappeler l’affaire Hissène Habré ?
Il a fallu que la Belgique saisisse la Cour internationale de Justice pour contraindre le Sénégal à juger ou extrader l’ancien président tchadien. La procédure a duré seize ans, malgré une pression internationale constante.
Oui, il existe un cas où une réaction politique serait fondée : si la justice française autorise l’extradition et que le Premier ministre français refuse de signer le décret final — ce qu’il a légalement le droit de faire, comme au Sénégal — alors, et seulement alors, une réponse politique pourrait être envisagée. Mais nous n’en sommes pas là. Pas encore là. Mais alors pas du tout. Feindre de l’ignorer, c’est précipiter ainsi le Sénégal dans une position juridiquement intenable.
Il faut sans doute fortement l'avouer : les textes internationaux, notre propre droit interne, la jurisprudence sénégalaise, les pratiques diplomatiques et judiciaires ne plaident pas en faveur de Yacine Fall. Refuser de le dire, c’est persister dans l’erreur. Et persister dans l’erreur, c’est continuer à mal ajuster nos discours, nos réactions et nos décisions. Un État fort n’est pas celui qui crie le plus fort. C’est celui qui parle juste — et agit selon le droit.





