CONTRIBUTION - Le Sénégal vient à peine de tourner la page d’un long cycle politique qu’il semble déjà retomber dans ses vieux travers. Un peu plus d’un an après la mise en place de la coalition « Diomaye Président », qui a porté Bassirou Diomaye Faye à la tête de l’État, les signes de tension se multiplient. Cette coalition, censée incarner la rupture et la sobriété, s’enlise aujourd’hui dans des querelles internes. La nomination d’Aminata Touré à la coordination de la coalition en est le dernier symptôme. Derrière cette décision se joue plus qu’une simple question d’organisation. C’est la nature même du rapport entre le président et son Premier ministre, Ousmane Sonko, qui se révèle au grand jour.
Il faut se souvenir que tout est parti d’un pacte de confiance. Lorsque Sonko, leader du PASTEF, a été empêché de concourir à la présidentielle de 2024, il a désigné son camarade de parti, Bassirou Diomaye Faye, pour porter le flambeau. Ce choix, au-delà du geste politique, représentait un acte de loyauté et de continuité. Ensemble, ils ont incarné un projet de rupture, une promesse de justice et d’éthique qui avait rallumé l’espérance populaire.
Un an après leur victoire, cette alliance qui semblait solide montre déjà des fissures. Ce qui se joue à travers le désaccord sur la coordination de la coalition, c’est un bras de fer symbolique. Ousmane Sonko, Premier ministre, demeure une figure militante et charismatique, dotée d’une base populaire forte et fidèle. Bassirou Diomaye Faye, président de la République, cherche à consolider son autorité, à se détacher de l’ombre de celui qui l’a propulsé. Entre les deux, la tension est subtile mais réelle. Certains y voient une lutte d’ego, d’autres une divergence de stratégie ou de vision politique.
Dans tous les cas, cette rivalité interne détourne l’attention de l’essentiel. Le peuple sénégalais, celui qui a voté pour le changement, attend autre chose. Il ne demande pas à savoir qui dirige la coalition, mais comment ses conditions de vie vont s’améliorer. Il ne veut pas entendre parler de coordonnatrice, de communiqué ou de posture politique. Il veut du pain moins cher, un emploi stable, un avenir pour ses enfants. Le véritable danger, c’est que la confiance du peuple s’effrite. Elle s’est construite autour d’un idéal collectif, pas autour d’ambitions concurrentes. Pendant que le pouvoir se fragilise, le pays affronte une situation économique préoccupante.
La dette publique atteint des niveaux qui inquiètent les partenaires internationaux. Le FMI, à plusieurs reprises, a exprimé des réserves face aux engagements financiers du Sénégal et à la question des dettes dites « cachées », héritées de l’ancien régime. Le pays a dû négocier âprement pour éviter une suspension de soutien financier, dans un contexte où les marges budgétaires se réduisent et où la population peine déjà à supporter la cherté de la vie. Chaque tiraillement au sommet renforce ainsi le sentiment d’instabilité. Il fait renaître les réflexes d’un système politique que les Sénégalais pensaient révolu. Le pays, confronté à la précarité, à l’endettement et à la désillusion sociale, ne peut plus se permettre cette perte d’énergie politique. Il ne s’agit pas de choisir un camp entre Diomaye Faye et Ousmane Sonko.
Il s’agit de rappeler que le Sénégal vit une phase décisive, une phase où l’action doit primer sur la posture. Les Sénégalais ont voté pour une vision, pas pour une compétition interne. Ils ont espéré une gouvernance sobre, pas une bataille de légitimité. Le pouvoir partagé exige de la maturité, de l’humilité et du discernement. Ce que l’histoire retiendra, ce n’est pas qui aura dominé l’autre, mais qui aura su préserver l’unité au nom du peuple. Le Sénégal n’attend pas de nouveaux héros, il attend des résultats. Et c’est peut-être là que se jouera, une fois encore, la véritable signification du mot “rupture”.





