NETTALI.COM - L’on aura beau tenter de justifier ce remaniement en évoquant des raisons liées à une volonté d’ajustement stratégique, mais dans les faits, l’objectif est clair. Il fallait de toute évidence remplacer Abass Fall (Travail, Emploi et Relations avec les institutions), devenu maire de Dakar et réaliser quelques ajustements en conséquence afin de caser Déthié Fall qui frappait à la porte depuis un certain temps. Mais le plus essentiel dans cette opération, était surtout d’évincer les deux empêcheurs de tourner en rond que sont le ministre de la Justice et celui de l’Intérieur.

Deux fortes têtes, limogées

C’était en effet un secret de Polichinelle que le Premier ministre Ousmane Sonko ne voulait plus d’Ousmane Diagne et Jean Baptiste Tine, deux personnages qui s’étaient pourtant illustrés lors de la crise préélectorale, en prenant des décisions qui leur ont valu leur limogeage sous Macky Sall. L’un était procureur général près la Cour d’appel de Dakar, l’autre haut commandant de la gendarmerie nationale. Leur cohabitation avec le Premier ministre était donc devenue quasi impossible.

Les deux désormais ex-ministres ont en effet cette réputation, celle de ne pas se laisser dicter leurs décisions, voire de ne pas se laisser marcher sur les pieds.

Fervent catholique, d’une rigueur presque ascétique, Tine incarnait pour beaucoup “le bon soldat” : discret, cultivé, loyal — mais dévoué avant tout à la République. De lui, l’opposant Ousmane Sonko disait ceci au plus fort de la crise : “Il faut se demander pourquoi ils ont enlevé général Tine. Il y a dans ce pays des gens dignes, qui n’acceptent pas de faire certaines choses. Lors des événements de mars, on leur avait demandé de réprimer les manifestations, de tirer sur les populations et ils ont refusé. C’est aussi valable pour celui qui dirigeait la police nationale.

Rappelons tout de même que le général Tine, ex-haut commandant de la gendarmerie, avait été emporté deux ans plus tôt par l’affaire Adji Sarr-Ousmane Sonko. Ainsi que le rapporte le quotidien « EnQuête », dans son édition du 22 juin 2021, il lui était surtout reproché de n’avoir pas eu la main très lourde contre les casseurs. Il lui était aussi reproché sa gestion de l’affaire capitaine Touré. Le général, qui avait fait ouvrir une enquête, avait découvert des choses qui lui étaient jusque-là cachées. Ce qu’il avait vécu comme une trahison révélait ainsi « EnQuête ». Il fut par la suite limogé et affecté en Russie comme ambassadeur.

Originaire également de Thiès comme son collègue d’infortune, Ousmane Diagne est aussi connu pour être un homme de refus qui aura fait face à tous les régimes. D’abord sous Wade face à des ministres comme Cheikh Tidiane Sy et Ousmane Ngom, ensuite sous Macky face aux ministres comme Aminata Touré et Ismaïla Madior Fall. Il disait lui-même en 2013, lors de sa première sanction par le régime de Macky Sall : “À chaque fois qu’il m’a été possible de dire non, j’ai dit non de la façon la plus ferme.

Plus récemment, acculé par Pastef : ses ministres, directeurs généraux et députés, il répondait avec la même fermeté : “Je n’ai jamais accepté qu’on fasse pression sur moi, surtout dans un sens déterminé. Qu’on ne compte pas sur moi pour exercer la moindre pression sur les magistrats du siège.”

Ousmane Diagne ne s’était pas limité à cette affirmation. Soulignant qu’il n’a aucune autorité sur les juges, il manifestait tout son soutien aux magistrats et réaffirmait sa confiance. “Je sais qu’ils abattent un excellent travail. Il leur arrive - et je pense que c’est la plus grande innovation de notre temps - il leur arrive de rendre des décisions en contradiction avec les réquisitions du parquet. Je n’ai jamais eu à émettre la moindre critique. C’est de leur responsabilité, c’est de leur prérogative”.

Des rapports qui ne pouvaient dès lors qu’être heurtés avec un Premier ministre, chef de gouvernement, chef de parti et non moins leader charismatique détenteur de la légitimité populaire et qui entend voir ses directives appliquées. Il disait d’ailleurs du ministre de l’intérieur et de la justice qu’ils sont des autorités politiques et non judiciaires et qu’à ce titre ils se devaient de s’exécuter dès lors qu’il leur demandait d’arrêter Déthié ou quelqu’un d’autre.

Seulement, Jean-Baptiste Tine est un haut officier de la gendarmerie nationale qui aura gravi tous les échelons et a surtout appris à être plus redevable aux lois qu’aux hommes. Cette posture, il l’a payée cher à plusieurs reprises durant sa carrière bien remplie. Idem pour Ousmane Diagne, haut magistrat, très à cheval sur les principes républicains.

Et à plusieurs reprises, soulignons-le bien, le PM et non moins président de la majorité les a publiquement interpellés. La première fois, c’était lors des élections législatives de décembre 2024. Les accusant de passivité face aux agressions contre ses partisans qu’il imputait à son adversaire Barthélemy Dias, il fulminait : “… S’ils ne règlent pas le problème dans les 24 heures, en arrêtant les coupables de ces forfaitures, je vais le régler à ma façon.” En fin tacticien politique, il a voulu faire croire que ses deux ministres qu’il a fait nommer et qui sont connus pour leur loyauté, roulent contre son camp.

Une mise en garde qui en disait déjà long. Pour Sonko, la loyauté politique doit primer sur la neutralité institutionnelle.

Yassine Fall et Bamba Cissé, en terrain miné

Ainsi pour remplacer les deux hommes, Ousmane Sonko qui préconisait également de retourner au parti dans la prise des décisions importantes et de collaborer avec ceux qui croient au projet, n’est pas allé chercher loin. Il a tout simplement fait appel à deux hommes de confiance : son avocat personnel, Maitre Bamba Cissé et sa militante convaincue, la désormais ex-ministre des Affaires étrangères, Yassine Fall. De Me Bamba Cissé, la journaliste Maïmouna Ndour Faye dira qu’il était autrefois « le chouchou des journalistes », mais elle ne comprend pas ce qui lui est arrivé entre temps pour qu’il soit devenu « un ultra radical ».

Quid de Yassine Fall ? Elle n’aura en tout cas pas fait beaucoup d’émules en tant que ministre des affaires étrangères, poste où elle s’est distinguée par un manque notoire d’inspiration sur les sujets importants. Tout au plus, s’est-elle fait remarquer par des lacunes incompréhensibles en communication. Un vrai passage à vide en somme qui fait dire au Chroniqueur d’I-TV/ I Radio, Ibou Fall qu’ « elle ne devrait même pas figurer dans un gouvernement », estimant qu’ « elle a des problèmes d’élocution » ; sans oublier « ses sorties qu’elle a faites en Russie en disant qu’on mange du pain et autre. C’est une question de niveau.. ». Fall n’a « jamais vu un ministre des affaires étrangères parler comme ça ». Aussi, conclut-il qu’« il y a des gens qui ne doivent faire de politique, qui ne doivent même pas assurer une direction de société, des gens qui ont du talent et d’autres qui n’en ont pas… ». Le chroniqueur croit savoir que « la nomination de Yacine Fall, à des postes importants, ne révèle qu’une chose, sa proximité avec les gens qui décident, c’est tout », rappelant que « ce n’est pas une nouveauté au Sénégal puisque Wade avait une fois une fois dit qu’il peut même nommer son chauffeur s’il le souhaite »

Mais fort heureusement, qu’elle a été remplacée par l’ ambassadeur Cheikh Niang qui appartient à cette race de diplomates de carrière qui ont porté, avec constance et discrétion, la voix du Sénégal sur la scène internationale. Par exemple, de 2018 à 2025, il était installé à New York comme représentant permanent du Sénégal auprès des Nations Unies. Sept ans passés à manœuvrer dans les couloirs feutrés de l’ONU, où il a présidé pas mal de commissions stratégiques. Bref, on ne va pas se plaindre du choix porté sur lui.

Yassine Fall est à la vérité tout le contraire d’Ousmane Diagne qui a la technicité et l’expérience du métier, en tant que haut magistrat parquetier, du haut de ses 38 ans d’expérience. C’est sans doute cela qui lui a conféré cette aisance à défendre ses dossiers avec sérénité et réalisme à l’Assemblée nationale, où il a subi pas mal de pressions.

Contrairement à ses prédécesseurs souvent issus du corps judiciaire ou ayant une solide expérience juridique, l’ex-ministre des affaires étrangères n’est ni magistrate, ni avocate. Ce qui soulève des doutes sur sa capacité technique à comprendre et piloter un secteur aussi complexe et codifié. Non pas qu'elle doive forcément être juriste pour être une bonne ministre de la justice, mais son passe dans un domaine tout aussi codifié que les affaires étrangères, ne plaide pas en sa faveur.

La Justice gère en effet des questions sensibles comme la réforme du Conseil supérieur de la magistrature, l’indépendance du parquet, la gestion des prisons et la modernisation des procédures. Sans expertise pointue, elle devra s’entourer d’équipes solides pour éviter les faux pas. D’aucuns voient donc en elle un choix plus politique que technocratique, destiné à confier la Justice à une fidèle plutôt qu’à une experte. Un argument que l’opposition pourrait exploiter pour questionner la crédibilité du processus de réforme. A la vérité, la Justice est au cœur des critiques depuis des années (affaires politico-judiciaires, lenteurs des procédures, défiance citoyenne). La moindre erreur de pilotage risque d’amplifier la crise de confiance entre l’institution et les Sénégalais.

Yacine Fall arrive donc en terrain inconnu, où elle devra vite prendre ses marques et faire face à des magistrats jaloux de leur indépendance et qui attendent également beaucoup des réformes issues des recommandations des Assises de la justice. Celle qui considère sa charge comme un honneur qui lui est fait, ainsi qu’un devoir envers la nation et qui s’est engagée à faire de la justice un véritable outil au service des citoyens, devra toutefois manœuvrer pour satisfaire son patron de Premier ministre qui a toujours pensé qu’il faut faire pression sur la justice, sans oublier qu’elle aura la lourde tâche de défendre ses dossiers à l’Assemblée nationale, avec l’inconvénient de ses lacunes en communication.

La justice, ô combien difficile, devenu encore plus difficile avec l’équation des supposées victimes des évènements de 2021 à 2024, durant lesquels, le gouvernement a mis les charrues avant les bœufs, en prenant l’initiative d’indemniser ceux qu’il considère comme des victimes, alors que ce rôle est tout simplement dévolu à la justice. Mais au-delà, c’est le fait pour le nouveau régime d’avoir préjugé de ceux qui pouvaient être victimes et ceux qui ne pouvaient pas l’être. C’est cela qui est problématique. Une posture qui ressemble à l’exercice d’une justice des vainqueurs et qui ne devrait pas manquer de conséquences fâcheuses. Et c’est justement là tout le paradoxe de l’acte posé et l’improbabilité de l’issue d’une telle procédure, dans un dossier où des responsables actuels de Pastef ont publiquement revendiqué leur soutien financier et matériel à la fabrication de cocktails molotov, lorsque d’aucuns ne se sont pas tout simplement réclamés d’une appartenance aux « forces spéciales » ; sans oublier toutes sortes de victimes qui sortent des bois et qui réclament justice et des indemnisations dans une sorte de cohue qui rajoute à la confusion. Le syndrome des calots bleus avec le PDS plane.

Mais la question est surtout de savoir ce qu’il va advenir des autres victimes qui ont vu leurs commerces saccagés, leurs biens spoliés, leurs domiciles attaqués, etc. Et les deux morts de Yarakh, brûlés vifs ? Et les blessés ? Autant de questions et un grand puzzle à dénouer.

Bref un dossier délicat où le gouvernement semble marcher sur des œufs et dont la gestion requiert beaucoup de précautions et de prudence. C’est d’ailleurs à cette prudence et sérénité dans le traitement de cette affaire qu’avait tantôt appelé dans l’hémicycle, le désormais ex-ministre de la justice Ousmane Diagne, afin d’éviter de s’embourber dans des vices de procédure.

La vérité est que la loi d’amnistie n’aurait jamais dû avoir lieu, car elle repose à la vérité sur une pure forfaiture. C’est pourquoi d’ailleurs, une certaine partie de l’opinion en est à se demander s’il ne faudrait pas purement et simplement abroger cette loi, si tant est que le nouveau régime souhaite rendre justice aux vraies victimes et confier le dossier à la justice.

Mais la grande crainte chez une certaine opinion et certains observateurs et membres de la classe politique, c’est l’équation de la gestion des élections futures qui se pose avec ces nominations. De même qu’une possible régression dans l’exercice des libertés publiques, dans un contexte lourd de sens et bavard en signaux. Comme cette séquence historique faite d’arrestations tous azimuts et jugées arbitraires de journalistes, chroniqueurs et influenceurs, etc mais aussi de revers essuyés devant la justice. Notamment dans l’affaire de la modification du règlement intérieur de l’Assemblée nationale, précisément dans le cadre de la loi organique N°09/2025 adoptée le 27 juin dernier, de ces alinéas jugés inconstitutionnels par le Conseil constitutionnel ; le rejet de la requête en rabat d’arrêt le 1er juillet dernier, qui a retenti comme un vrai coup de tonnerre sur la place politico-judiciaire. Une décision qui confirme de façon définitive la condamnation initiale dans l’affaire qui l’oppose à Mame Mbaye Niang et surtout qui hypothèquerait l’éligibilité d’Ousmane Sonko.

Pour Ibou Fall, rien de nouveau sous le soleil, les arrestations avaient bel et bien lieu sous Ousmane Diagne, la création récente d’un mouvement « Sonko dégage » « est une déclaration de guerre » de la par de nouvelles têtes qui émergent d'une opposition qualifiée de molle, estimant que « les positions vont se durcir, avec une réponse qui est la nomination d’un nouveau ministre de l’intérieur ».

Pour le chroniqueur, « depuis qu’ils sont là, ils ont réglé des comptes sans attendre Bamba Cissé et Yacine Fall ». Pire, selon lui, au regard des diatribes de Sonko sur « le manque d’autorité » dans la gouvernance, « les symboles de l’autorité, ce sont la police et la justice qui sont aujourd’hui entre les mains de fidèles du leader de Pastef. »

Des nominations et maintiens qui suscitent des interrogations

Mais il n’ y avait que ces ministres nommés dans ce jeu de chaises musicales. Il était aussi question de conserver les deux mamelles de l’économie et des finances afin de ne pas donner un mauvais signal aux bailleurs et en même temps garder le cap sur le plan de redressement économique et social. C’est ce que le président Diomaye Faye a fait en imposant le ministre des Finances Cheikh Diba qui était annoncé sur siège éjectable.

Un autre challenge a été aussi de corriger les errements récurrents d’un porte-parole du gouvernement Moustapha Ndjeck Sarré qui n’a jamais vraiment brillé en multipliant les maladresses lors de ses sorties. Ainsi en nommant Marie Rose Khady Fatou Faye, jusqu’ici DG de l’Agence de développement et d’encadrement des petites et moyennes entreprises (ADEPME), secrétaire d’État auprès du Premier ministre, chargée des Relations avec les institutions et porte-parole du gouvernement, Ousmane Sonko a souligné l’importance cruciale de la communication dans l’action publique et ne cherche rien d’autre que d’apporter cohérence, clarté et efficacité à la communication gouvernementale. D’avoir rattaché le porte-parolat à lui, signifie également qu’il tient à avoir la main sur la communication.

Mais la grande surprise, est d’avoir vu Amadou Ba devenir ministre de la Culture de l’Artisanat et du Tourisme ! Celui-là qui a été présenté comme le juriste du Pastef et qui est complètement passé à côté du vote du projet de loi relatif au règlement intérieur, sur les alinéa 2 de l’article 56, alinéa 6 de l’article 60, alinéa 6 de l’article 111 et l’article 134 du règlement intérieur de l’Assemblée nationale, jugés inconstitutionnels au mois de juillet dernier, ainsi que sur le projet de loi interprétative. Peut-être l’a-t-on récompensé pour avoir « aidé » Badara Gadiaga à commettre une erreur en répétant la phrase qu’il ne fallait pas et qui lui vaut d’être emprisonné ? Le maintenir à l’Assemblée nationale aurait sans doute engendré davantage d’embarras que de succès.

Bref ce qui est fait, est déjà fait. Les ministres devront ainsi jugés à l’action. Et le Premier ministre Ousmane Sonko ne pourra plus désormais brandir un quelconque manque d’autorité du président de la république et encore moins prétexter un manque de marge de manœuvre pour gouverner. Il détient même, figurez-vous, une partie de l’activité diplomatique, domaine pourtant réservé au président de la république. Diomaye ne lui doit plus rien, si l’on veut être honnête.

Thierno Alassane Sall de « La République des valeurs » opposant très critique, a sa lecture de la situation. Il pense simplement que « le président Faye a livré à son contempteur de Premier ministre les deux ministères de souveraineté ». Mais il est toutefois important de souligner que le fait pour le PM d’avoir nommé deux ministres fidèles, n’est certainement pas la garantie d’une maîtrise sur ces deux secteurs stratégiques. Avoir la maîtrise sur le ministre, ne signifie pas forcément d’avoir le contrôle sur les magistrats du siège qui jugent et sur la police ainsi que la gendarmerie.