CONTRIBUTION - Comparer l’État à un ménage ou à une entreprise est une erreur. Un ménage doit équilibrer ses revenus et ses dépenses, une entreprise doit dégager des bénéfices pour survivre.

L’État, lui, a un rôle bien différent : organiser la vie collective, investir dans l’avenir et mobiliser des ressources monétaires. Mais il existe tout de même un point commun : à long terme, l’État doit respecter un principe d’équilibre budgétaire pour ne pas compromettre la confiance de ses créanciers.

La Banque centrale peut soutenir l’État en rachetant ses dettes, mais cela ne dispense pas du remboursement. Plus l’État dépense, plus il a besoin d’impôts pour équilibrer ses finances. Il doit donc veiller à ne pas imposer une charge fiscale insupportable à ses citoyens, au risque d’étouffer l’initiative privée et la production nationale.

*Attention au faux débat sur le « déficit illimité »*

Dire que « le Sénégal n’a pas besoin de réduire son déficit : il doit l’augmenter massivement pour rattraper un retard historique » est une illusion dangereuse et une méconnaissance des principes élémentaires de l’économie.

D’une part, un déficit peut être utile s’il finance des investissements productifs.

Mais d’autre part, un déficit permanent et excessif alourdit la dette publique, accroît la dépendance vis-à-vis des créanciers, et expose le pays au risque de crise budgétaire.

*L’expérience internationale*

États-Unis (sous Trump) : le déficit a dépassé 1 000 milliards de dollars en 2019. Washington a financé ce déficit par l’émission d’obligations, mais sans jamais refuser de payer sa dette. Par ailleurs, les États-Unis adoptent régulièrement des plans d’ajustement budgétaire pour réduire leurs déficits.

France et Europe : la France vit en déficit depuis 40 ans, mais elle rembourse toujours sa dette tout en négociant avec Bruxelles des marges de manœuvre budgétaires. La France comme l’Europe entière font tout pour contenir et réduire leurs déficits, en adoptant des réformes fiscales, en rationalisant leurs dépenses ou en respectant les règles budgétaires européennes.

Au final, ce sont toujours les impôts qui servent à payer les dépenses de l’État, pas la simple création de monnaie. C’est pourquoi l’État doit faire attention à ne pas dépenser trop : s’il le fait, il sera obligé d’augmenter les impôts, ce qui risquerait de peser lourdement sur les ménages et de décourager les entreprises à produire et investir.

*Le FMI ne concerne pas que l’Afrique :*

Grèce (2010) : crise majeure, sauvetage par le FMI et l’Union européenne.

Argentine (2024) : toujours sous programme FMI (42 milliards de dollars).

Asie : le Pakistan (2023) et la Corée du Sud (1997) ont eux aussi eu recours au FMI pour restaurer la confiance.

*La leçon pour le Sénégal*

Ces cas montrent deux choses :

1. Même les grandes puissances vivent en déficit, mais elles mettent en place des politiques actives pour réduire ou maîtriser ces déficits.

2. Aucun pays ne décrète l’annulation unilatérale de sa dette : tous respectent leurs engagements, parfois en négociant des allègements ou des moratoires.

Pour le Sénégal, l’endettement reste un outil légitime de développement. Mais il doit s’accompagner de responsabilité : emprunter, oui ; ne pas rembourser, non. La bonne stratégie consiste à négocier avec ses partenaires internationaux des conditions plus favorables, tout en gardant la dette à un niveau soutenable, plutôt que de se bercer d’illusions sur le " déficit illimité"

Pr Amath Ndiaye
FASEG-UCAD