NETTALI.COM - Alors que l’État annonce l’ouverture d’enquêtes sur les violences politiques survenues entre 2021 et 2024, des spécialistes alertent sur les embûches à venir. Entre immunités, procédures d’exception et difficultés probatoires, la quête de vérité s’annonce complexe, sinon périlleuse.
L’annonce de l’ouverture d’une enquête sur les violences politiques ayant secoué le Sénégal entre 2021 et 2024 continue de faire réagir. Si l’initiative est saluée par une partie de l’opinion publique, des experts juridiques et acteurs de la société civile alertent toutefois sur les nombreux obstacles qui pourraient en compromettre l’aboutissement.
Pour Dr Mouhamadou Ba, enseignant en droit à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar (UCAD), la complexité de cette enquête tient avant tout au profil des personnes susceptibles d’être mises en cause. Il rappelle que certains hauts responsables de l’État peuvent bénéficier d’une immunité pénale dès lors qu’ils ont agi dans le cadre d’une mission de service public.
« Pour les anciens ministres ou chefs d’État, seule la Haute Cour de Justice est compétente, selon des procédures particulières. Quant aux forces de sécurité, elles relèvent du tribunal militaire », précise-t-il. Il ajoute que la distinction entre faute de service et faute personnelle est souvent ténue, ce qui complique davantage la qualification des faits et la mise en œuvre de poursuites.
Au-delà des obstacles juridiques, les défis techniques sont tout aussi redoutables. El Amath Thiam, président de l’ONG Justice sans Frontière (JSF), évoque le risque de disparition de preuves, les difficultés d’identification des auteurs ou encore la traçabilité des ordres donnés dans le feu de l’action. Il met également en garde contre toute instrumentalisation politique de la procédure, appelant à une enquête rigoureuse, impartiale et respectueuse des droits de la défense.
La démarche judiciaire, aussi noble soit-elle, suscite donc autant d’espoirs que de craintes. Certains observateurs redoutent un effet boomerang : si elle est perçue comme biaisée ou sélective, l’enquête pourrait aggraver les fractures au lieu de les apaiser. La comparaison avec le procès de l’ex-président ivoirien Laurent Gbagbo, acquitté par la CPI malgré un lourd bilan humain, est dans tous les esprits.
Dr Ba résume avec lucidité une inquiétude partagée par de nombreux analystes : « Des enquêtes seront ouvertes, des auditions menées, mais la montagne risque d’accoucher d’une souris. »