NETTALI.COM- Réuni en conférence de presse ce mardi 29 juillet 2025, le Cadre de Réflexion et d’Action sur le Foncier au Sénégal (CRAFS) a salué les signaux positifs envoyés par les nouvelles autorités sur la réforme du foncier. Mais il a exprimé ses fortes inquiétudes face à certaines orientations qui pourraient remettre en cause l’esprit de la décentralisation et marginaliser les communautés locales.

Alors que le foncier redevient une priorité politique nationale, le Cadre de réflexion et d’actions sur le foncier au Sénégal (Crafs),  a tenu à rappeler sa position. Lors d’un point de presse au siège du CNCR, la présidente d’honneur de l’Association des juristes sénégalaises et membre du CRAFS, Fatoumata Guèye Ndiaye, a lu une déclaration dans laquelle l’organisation reconnaît d’abord « une volonté politique des autorités actuelles d’instaurer une gestion et une gouvernance transparente du foncier dans les zones urbaines, périurbaines et rurales ». Cette volonté s’est notamment matérialisée, selon le CRAFS, par la suspension des opérations foncières sur le littoral et dans les zones à litiges, mesure jugée salutaire pour « une meilleure visibilité » des enjeux.

L’organisation a également salué l’engagement affiché du président de la République lors du Conseil des ministres du 18 juin 2025, durant lequel il a donné instruction au gouvernement « d’engager les concertations appropriées et d’accomplir les diligences requises en vue d'accélérer la mise en œuvre d'une réforme foncière consensuelle ». En capitalisant sur les nombreux rapports, diagnostics et propositions déjà formulés, notamment les travaux de la Commission nationale de réforme foncière (CNRF), l’État montre, selon le CRAFS, une orientation claire vers un changement attendu depuis longtemps.

Cependant, cette satisfaction ne masque pas de sérieuses préoccupations. Le CRAFS a exprimé sa vive inquiétude à propos de certaines orientations contenues dans la Déclaration de politique générale du Premier ministre du 27 décembre 2024, notamment la création annoncée d'une Agence nationale des Domaines et du Foncier. Une mesure qui, selon le collectif, pourrait représenter « un risque de voir la gestion du foncier rural échapper aux collectivités territoriales ». Cette tendance à la recentralisation s’est aggravée avec la proposition du député Amadou Ba, vice-président de l’Assemblée nationale, visant à suspendre les compétences foncières des collectivités et à les transférer à un niveau national à travers l’ANAT. Le CRAFS y voit une remise en cause frontale du principe fondamental de la décentralisation et une atteinte « à la lettre et à l’esprit de la loi sur le domaine national ».

Fidèle à sa ligne de conduite, le collectif plaide pour une réforme foncière construite « avec et pour les communautés locales ». Il rappelle que son Document de position, élaboré à partir de consultations communautaires à travers les six zones agroécologiques du pays, a été mis à jour en 2024. Ce document propose une réforme foncière reposant sur des principes de justice sociale, de durabilité et de transparence. Il insiste sur la nécessité d’ancrer toute réforme dans les réalités des populations rurales, souvent écartées des processus de décision.

Dans cette perspective, le CRAFS se montre résolument opposé à toute tentative de privatisation du foncier. « Nous refusons toute politique d’immatriculation systématique des terres, perçue comme une privatisation déguisée du domaine national », a déclaré Fatoumata Guèye Ndiaye.

L’organisation défend le maintien de l’inaliénabilité des terres et la reconnaissance du droit d’usage, tel que garanti par les collectivités territoriales. Elle reconnaît néanmoins la place que peut occuper l’investissement privé dans le développement, mais à la condition expresse qu’il soit négocié avec les communautés locales et encadré par des cahiers de charges précis, garantissant des retombées justes et équitables pour les populations.

Le CRAFS défend également une gouvernance foncière démocratique et participative. Il appelle à la mise en place de mécanismes locaux inclusifs, assurant un dialogue constant entre les autorités, les communautés et les autres parties prenantes. « Une réforme foncière ne saurait être crédible sans la participation réelle des communautés à tous les niveaux de décision », a martelé le collectif.

De même, l’organisation s’oppose aux ventes et donations définitives de terres du domaine national, tout en acceptant certaines formes de mobilité foncière ,comme le prêt ou la location,à condition qu’elles soient encadrées et réversibles.

Un autre point central de la déclaration concerne la reconnaissance juridique des droits fonciers coutumiers. Pour le CRAFS, de nombreuses communautés sénégalaises vivent et exploitent depuis des générations des terres qu’elles occupent légitimement. Ces droits doivent être protégés au même titre que les droits formels. La protection des espaces communs et des terres agricoles constitue également une priorité pour le collectif, qui invite l’État à ne pas morceler la réforme en secteurs déconnectés les uns des autres. « Le foncier est transversal : il touche à l’agriculture, à l’environnement, à l’élevage, aux ressources halieutiques et à la lutte contre les effets du changement climatique », a-t-elle rappelé.

Le CRAFS a tenu à mettre un accent particulier sur les droits fonciers des femmes et des jeunes. Ces deux catégories sociales jouent un rôle moteur dans le développement économique du pays, mais restent souvent exclues des circuits décisionnels. « Une réforme foncière qui ignorerait les droits fonciers des femmes, qui sont des droits constitutionnels, serait inopportune », a insisté Fatoumata Guèye Ndiaye.

Le CRAFS réaffirme sa disponibilité à accompagner l’État dans la construction d’une réforme foncière juste, inclusive et transparente. Il appelle à « promouvoir les dynamiques participatives, dans un esprit de co-construction, de justice sociale et de durabilité ». Pour le collectif, garantir les droits communautaires sur les terres est une condition essentielle à la paix sociale et à la souveraineté alimentaire du Sénégal. Il entend poursuivre son plaidoyer pour que cette réforme tant attendue ne soit pas confisquée par des logiques centralisatrices, mais demeure entre les mains des populations qui vivent de la terre, en vivent et la font vivre.