NETTALI.COM - Deux ans, jour pour jour, après la chute du président élu Mohamed Bazoum, la situation sécuritaire au Niger demeure aussi fragile qu'incertaine. Le 26 juillet 2023, le général Abdourahamane Tiani et les membres du Conseil national pour la sauvegarde de la patrie (CNSP) justifiaient leur coup d’État par la nécessité de restaurer la souveraineté nationale et d’endiguer une insécurité galopante. Deux ans plus tard, les arguments brandis peinent à convaincre, alors que les groupes djihadistes poursuivent leur ancrage territorial, que les pertes humaines s'alourdissent et que l'armée, en première ligne, manifeste des signes croissants de frustration.

Dans l'acte fondateur du coup d'État de juillet 2023, les militaires promettaient de “restaurer la sécurité” et de “mettre fin à la gabegie”. La fin de l'opération Barkhane, en novembre 2022, avait déjà laissé un vide sécuritaire que les juntes malienne et burkinabé tentaient de combler par une alliance de revers et de discours anti-impérialistes. Le Niger, sous le commandement du général Tiani, a rapidement rejoint cette dynamique, quittant la CEDEAO, renforçant ses liens avec Bamako et Ouagadougou, et affichant une détermination souverainiste à expulser les bases occidentales.

Pourtant, entre fin 2024 et le premier semestre 2025, les attaques djihadistes se sont multipliées dans la zone dite des “trois frontières”. Le Groupe de soutien à l'islam et aux musulmans (Gsim) et l'État islamique au Grand Sahara (EIGS) imposent leur loi dans des régions entièrement délaissées par l’Administration.

Le 25 mai 2025, l'attaque d'Eknewane a coûté la vie à 58 soldats nigériens. Le 19 juin, Banibangou a été le théâtre d'un nouveau carnage avec 34 militaires tués. Le 29 juin, à Torodi, deux civils ont péri dans l'explosion d'un engin improvisé.

Face à cette montée de la violence, la réponse du CNSP est apparue de plus en plus politique que militaire. En mars 2025, une conférence nationale, plus théâtrale que participative, a acté la dissolution de tous les partis politiques. Dans la foulée, Tiani s’est attribué un mandat de cinq ans pour une “transition” au contenu flou. Ce durcissement du régime s'accompagne d'une répression de toute voix discordante. Le président Bazoum, toujours détenu au secret, en est le symbole le plus éloquent.

La centralisation du pouvoir s’est accompagnée d’une militarisation croissante de l’Administration, avec des gouverneurs militaires nommés dans les zones sensibles. Ce choix n’a cependant pas permis de mieux contenir les groupes armés. Au contraire ! Plusieurs observateurs signalent un accroissement de l’impunité dans les zones rurales, des exactions attribuées aux forces de sécurité, et un effondrement du lien entre populations locales et institutions nationales.

Colère dans les casernes

Mais les lignes bougent aussi au sein des forces armées. Selon Mathieu Olivier (“Jeune Afrique”), les récriminations internes se multiplient : manque d'équipements, déconnexions entre le haut commandement et le terrain, sentiment d’abandon. Lors des funérailles des soldats tombés à Eknewane, le chef d’État-major Moussa Salaou Barmou a fait face à des critiques virulentes. Désavoués, certains officiers se démarquent discrètement du pouvoir en place.

Pourtant, loin d'une réforme en profondeur, le régime a préféré la fuite en avant : décorations multiples, promotions internes et glorification de la rhétorique anti-impérialiste.

Dans plusieurs garnisons du nord et de l’ouest du pays, des soldats se plaignent du manque de rotations, de la mauvaise qualité de la logistique et d’une chaîne de commandement peu réactive. Certains analystes évoquent un risque de dissidence au sein des forces, surtout si les pertes militaires continuent de s’aggraver.

L’impasse d’une posture souverainiste

Le tournant anti-occidental du régime, particulièrement contre la France, semble plus relever de la diversion que d'une stratégie sécuritaire cohérente. Le général Tiani, jadis perçu comme un militaire pragmatique, a adopté un ton radicalement nouveau. Contrairement à ses homologues Traoré ou Goïta, son passé ne prédisposait pas à cette tournure idéologique. Pour nombre d'observateurs, ce virage a pour but de répondre à la désapprobation montante dans les casernes et dans la population, détournant l'attention des revers militaires.

Ce discours souverainiste a toutefois trouvé un certain écho auprès d’une frange de la jeunesse urbaine, sensible aux critiques contre la Françafrique et la présence militaire occidentale. Dans les médias d’État comme sur les réseaux sociaux contrôlés par le pouvoir, la propagande met en avant la rupture avec les anciens partenaires internationaux, en particulier la France, et la recherche de nouveaux alliés comme la Russie, la Turquie ou l’Iran.

L'attaque de Torodi, dans la région de Tillabéri, révèle l'étendue de l'insécurité persistante. Bien que la garde nationale ait réussi à repousser les assaillants, deux civils ont été tués et ce n’est qu’à travers une opération de ratissage que Loukoumane, un chef djihadiste notoire, a été neutralisé. Cette victoire tactique n'efface pas la défaite stratégique : la région reste hors de contrôle.

Plusieurs localités de la zone frontalière avec le Mali et le Burkina Faso sont désertées par l’Administration. Les écoles y sont fermées, les marchés abandonnés, et les populations déplacées vivent dans des conditions précaires. Le Haut- Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) estime à plus de 300 000 le nombre de personnes déplacées internes au Niger en 2025.

Après deux ans de gouvernance militaire, la promesse d'une restauration de l'ordre et de la sécurité paraît éloignée. Le CNSP s'est enferré dans un régime d'exception qui concentre les pouvoirs, tout en prétextant une guerre contre le terrorisme qui reste globalement non maîtriser. La communauté internationale, désormais cantonnée au rôle de spectateur, observe la lente dégradation de l'état nigérien.

L'arrestation de Bazoum et sa mise à l'écart ne résolvent rien. Bien au contraire, son maintien en détention est devenu un symbole de l'enlisement politique et de la perte de repères institutionnels dans un pays qui peine à trouver une issue entre guerres, autoritarisme et mirages souverainistes. Dans ce contexte, les perspectives de dialogue national, de retour à l’ordre constitutionnel ou même d’efficacité militaire restent faibles. Le Niger, malgré la volonté affichée de se gouverner seul, semble pris dans une spirale d’isolement diplomatique, de fragilité économique et d’enlisement sécuritaire dont il ne peut sortir sans une refondation politique courageuse et inclusive.