NETTALI.COM - Le Conseil constitutionnel a invalidé la loi interprétative portée par le député Amadou Ba pour le compte de la majorité de Pastef à l’Assemblée nationale. Une décision insusceptible d’aucune voie de recours, conformément aux dispositions de la loi organique sur cette juridiction supérieure dont les décisions sont rendues en dernier ressort.

Une manière de dire, qu’à partir du moment où cette dernière est rendue, il n’y a plus rien d’autre à faire que de s’y soumettre puisqu’il n’y a de toute façon pas d’alternative.

Le Pastef prend acte, mais…

C’est ainsi qu’après le rejet de la loi par le Conseil Constitutionnel, le groupe parlementaire Pastef a pris acte de la décision, estimant toutefois qu'il ressort de cette décision qu'"aux termes du considérant 31, l'assassinat, le meurtre, la torture, les actes de barbarie, les traitements inhumains, cruels ou dégradants, sont des crimes imprescriptibles qui ne peuvent être couverts par une loi d’amnistie". Il s'y ajoute, toujours selon la lecture que les députés de la majorité, que « cette décision du Conseil constitutionnel confère à toutes les victimes la possibilité de déposer des plaintes contre les meurtriers, assassins, tortionnaires, nervis, leurs complices et surtout les commanditaires."

La réaction du Premier ministre ne s’est pas faite pas attendre. "Je me serais bien gardé de me prononcer sur la décision rendue par le Conseil Constitutionnel sur la Loi dite «interprétative», si les résidus d’opposition sénégalaise ne s’étaient pas précipités, dans une tentative désespérée de récupération politicienne, de conclure à un revers juridique du groupe parlementaire Pastef-Les Patriotes", a souligné Ousmane Sonko. Qui s'empresse d'indiquer : "Il en est tout autrement, car cette décision conforte la démarche et les objectifs poursuivis par la proposition de loi interprétative."

Selon en effet le président de Pastef, la loi d'interprétation avait pour objectif d'"exclure du champ de la loi initiale les faits qualifiables d’actes d’assassinat, de meurtre, de crime de torture, les actes de barbarie, les traitements inhumains, cruels ou dégradants", mais aussi "y maintenir les autres motifs de poursuites de faits se rapportant à des manifestations politiques". "Le Conseil constitutionnel a simplement considéré que le postulat qui fonde la démarche du groupe parlementaire Pastef, selon lequel l’article premier de la loi initiale incluait les faits qualifiables d’actes d’assassinat, de meurtre, de crime de torture, les actes de barbarie, les traitements inhumains, cruels ou dégradants, était superflu car, dans sa version originale, la loi excluait déjà d’office cette catégorie d’infractions, conformément aux engagement internationaux à valeurs constitutionnelles de notre pays (considérant 31)", analyse-t-il.

De l'avis d'Ousmane Sonko, le Conseil Constitutionnel a estimé, dans son considérant 32, "n’avoir relevé aucun autre motif d’inconstitutionnalité de la loi attaquée, fermant ainsi définitivement toute possibilité de recours contre l’amnistie de tous autres faits se rapportant à des manifestations politiques".

"Ainsi, le Conseil a fait une interprétation au-delà de ce qui était recherché par le groupe parlementaire Pastef-Les Patriotes", indique-t-il. Avant d'ajouter : "Cette position du Conseil est complétée par l’ordonnance de non-lieu, rendue par le doyen des juges d’instruction le 27 janvier 2025." Une ordonnance de non-lieu qui concernait l'actuel président de la République et le Premier ministre, lui-même.

Tout ceci, selon Ousmane Sonko, pour dire que "cette décision du Conseil Constitutionnel constitue un véritable revers contre une certaine opposition, haineuse au point de vouloir assimiler l’exercice d’une liberté politique et civique de manifester à des crimes de sang et de torture". "Tout ça, écrit-il, pour assouvir le dessein cynique de vouloir renvoyer des milliers de patriotes dans des geôles où ils ont tant soufferts déjà." "Qu’avons-nous fait au bon Dieu pour mériter une opposition si indigente ?", s'interroge-t-il. Avant de conclure : "Demain au réveil, au lieu de voir la lune que je leur montre, ils vont disserter sur mon doigt qui le leur désigne."

Que le Premier ministre et chef de parti en soit arrivé à parler de « résidus d’opposition » ne l’honore en effet point. Une qualification pas très courtoise qui le fait indubitablement passer pour un mauvais joueur. Une attitude qui trahit à la vérité une certaine rancœur mal contenue contre l’opposition. La vérité, c’est qu’entre Ousmane Sonko et l’opposition actuelle et même au-delà des rangs de l’Alliance pour la République - demandez à Thierno Alassane Sall ou Pape Djibril Fall – les rapports n’ont jamais été un long fleuve tranquille. Une hostilité si contreproductive qu’elle finit par lui porter préjudice et l’éloigner de sa vraie mission qui est de trouver des solutions aux problèmes des Sénégalais qui cherchent désespérément, par ces temps qui courent, la queue du diable pour la tirer.

L’ancien juge Ibrahima Hamidou Dème a, lui, une autre lecture de la décision. Selon lui, "même l'esprit le moins averti, comprend que cette décision a censuré l’article 1er, essence de cette loi scélérate dite « interprétative »", ajoutant que "le parti Pastef et son leader, pensant que la communication peut faire admettre tout et son contraire, tentent en vain de réinterpréter une décision pourtant limpide"

Il a ainsi salué à travers une déclaration à la presse, "une décision limpide", estimant que "dans son rôle de garant de la conformité des lois à la Charte fondamentale, le Conseil constitutionnel vient de réaffirmer, après sa décision historique sur le report de l’élection présidentielle, sa mission de gardien vigilant de la suprématie de la Constitution".

Pour Dème, "il ne reste plus qu’à respecter les règles du jeu démocratique et à tirer toutes les leçons de cette faillite législative et morale".

Si la loi Amadou Ba était passée…

Revenant sur le considérant numéro 31 de la décision 1C/2025 rendue la semaine dernière par le Conseil constitutionnel qui n'en finit pas de susciter des commentaires, chaque camp, criant victoire, un juriste interrogé par le journal « Enquête » dans son édition du lundi 28 avril, a attiré l'attention du quotidien sur le fameux considérant. Que dit le texte ? EnQuête a essayé de le décomposer pour le rendre plus intelligible.

Au dit considérant, le Conseil constitutionnel d'abord nous informe sur le sens de l'alinéa 2 de la loi Amadou Ba. Au sens de cet alinéa, explique la haute juridiction, “les faits tenus pour criminels d'après les règles du droit international, notamment l'assassinat, le meurtre, le crime de torture, les actes de barbarie, les traitements inhumains, cruels ou dégradants, sont inclus dans le champ de l'amnistie lorsqu'ils ont un lien avec l'exercice d'une liberté publique ou d'un droit démocratique...”.

En termes plus simples, si la loi Amadou Ba passait, les meurtres, assassinats, tortures, actes de barbaries et autres seraient couverts, lorsqu'ils ont un lien avec l'exercice d'une liberté publique ou d'un droit démocratique. Ce qui est clairement en porte à faux avec ce que Pastef a toujours défendu, c'est à dire que l'objectif du texte serait d'extraire du champ de l'amnistie tous les crimes de sang.

Après avoir explicité le sens de l'alinéa 2 de la loi portant interprétation de l'amnistie, le Conseil constitutionnel décline sa sentence en des termes sans équivoque. “...En incluant ainsi dans le champ d'application de la loi portant amnistie des faits imprescriptibles au regard des engagements internationaux à valeur constitutionnelle du Sénégal, l'alinéa 2 de l'article premier de la loi numéro 08/2025 du 02 avril 2025, viole la Constitution”. Ainsi, comme pour l'alinéa 1er, ce qui est brandi par Pastef et son chef comme un signe de victoire se révèle être un revers.

Ainsi, le Conseil constitutionnel a soulevé ce subterfuge dans la loi Amadou Ba, alors même que les requérants ne l'ont pas invoqué. Et les sages ont commencé par justifier leur posture. “Conformément à l'article 17 de la loi n° 2016-23 du 14 juillet 2016 relative au Conseil constitutionnel, si le Conseil constitutionnel relève dans la loi contestée soumise à son examen une violation de la Constitution, qui n'a pas été invoquée, il doit la soulever d'office...

Cette justification faite, le Conseil a rappelé que les instruments juridiques internationaux adoptés par l'ONU et l'OUA ont une valeur constitutionnelle, conformément aux dispositions du préambule de la Constitution, partie intégrante de la constitution. Il a aussi relevé que ces instruments déclarent imprescriptibles, et donc non susceptibles d'amnistie, les faits tenus pour criminels d'après les règles du droit international. Telle est la motivation de la haute juridiction ayant abouti à la décision de déclarer anticonstitutionnelle non seulement l'alinéa 1er, mais aussi l'alinéa 2 de l'article premier de la loi portant interprétation de l'amnistie, introduite par le député de Pastef.

Selon le Conseil constitutionnel, “le législateur ne saurait, par une loi dite interprétative, ni faire obstacle à la répression de crimes imprescriptibles, ni priver de leur portée les principes relatifs à la sauvegarde de la dignité humaine, motif pris de ce que ces crimes seraient liés à l'exercice d'une liberté publique ou d'un doit démocratique”. Il ressort de la juridiction que “le principe de la non-rétroactivité des lois pénales plus sévères ne fait pas obstacle à la poursuite des faits tenus pour criminels d'après les règles du droit international”. Mais pourquoi donc la loi Amadou Ba inclut dans son champ d'application, à l'alinéa 2 de l'article premier, les crimes de sang en lien avec l'exercice d'une liberté publique ou d'un droit démocratique ?

Pour rappel, six personnes ont été arrêtées dans le cadre de l'affaire relative à l'incendie barbare du bus de Yarakh, ayant emporté la vie de deux petites filles. Deux autres étaient repérés aux Etats-Unis et faisaient l'objet de poursuites pour leur extradition. Tous ont eu à bénéficier de l'amnistie ; ceux qui ont été envoyés en prison ayant été libérés.

EnQuête a appris de sources sûres que ces derniers avaient activé tous leurs réseaux pour que la remise en cause de l'amnistie ne puisse pas compromettre leur liberté. Avec la décision qui vient d'être rendu par le Conseil constitutionnel, l'Etat devrait sans doute prendre ses dispositions pour que justice soit faite dans cette affaire. Mais jusque-là, les projecteurs semblent surtout se braquer sur les bourreaux de manifestants et non sur les manifestants présumés bourreaux.

Pour rappel, aux termes de l'aliéna 2 de l'article 1er de la loi Amadou Ba, “sont exclus du champ de l'amnistie, les faits survenus entre le 1er février 2021 et le 25 février 2024 tant au Sénégal qu'à l'étranger, sans lien avec l'exercice d'une liberté publique ou d'un droit démocratique et qualifiés, notamment, d'assassinat, de meurtre, de crime de torture, d'actes de barbarie, de traitement inhumains, cruels ou dégradants, même si ces faits se rapportent à des manifestations, quelle qu'en soit la motivation et indifféremment de leurs auteurs”. Si l'on décompose cette disposition, cela donne ceci : “sont exclus du champ de l'amnistie les faits, notamment les assassinats, les meurtres, les crimes de torture... sans lien avec l'exercice d'un droit démocratique et d'une liberté publique.

A contrario, les assassinats, les meurtres...en lien avec l'exercice d'une liberté démocratique, sont dans le champ de l'amnistie. En revanche, les mêmes crimes, même s'ils se rapportent à des manifestations, ne sont pas pris en compte, dès lors que ce n'est pas directement lié à l'exercice d'un droit démocratique.

Il n’y a pas victimes et « victimes »

A la vérité, il faut arrêter de se faire des films et de se berner d’illusions. Quelle gloire peut-il y a voir dans le fait de voter une loi et de la voir invalidée par le conseil constitutionnel ? Il suffit d’un raisonnement simple et logique pour se rendre à l’évidence qu’il ne peut en aucun cas s’agir de victoire.

Qu’on ne nous parle surtout pas de l’article 1 qui a été invalidé puisqu’il est le socle de cette loi, le reste étant adossé à lui et servant juste à le compléter. Surtout que dans ces articles 2 et 3 de la loi interprétative, Amadou Ba n’a fait que reprendre le contenu déjà présent de la loi d’amnistie votée en 2024.

Si l’on veut être honnête, cette loi, censée être interprétative, créait plus de confusion qu’elle n’apportait de lumière. Plus de subjectivité que de volonté de traiter les victimes sur le même pied d’égalité. Bref une sorte de bricolage taillé sur mesure pour sauver du Pastef, tout en exposant et négligeant les droits des victimes.

Au-delà de la polémique politicienne, il s’agit de comprendre que personne ne peut ne pas déplorer les morts. Ce qui n’est pas d’ailleurs une première sur le terrain politique sous nos cieux, marqué par de la violence dans le temps. Ce qui ne devait point excuser les morts à chaque fois qu’il y a des échéances politiques.

Mais au-delà du simple constat, il s’agit pour ceux qui veulent voir la justice arriver à déterminer les responsables de ces morts ainsi que les circonstances qui ont provoqué cela, de se poser les bonnes et vraies questions. Peut-on juste se lever un bon jour et accuser fortuitement un quidam ? Ou engager une chaîne de responsabilités qui ne relèveraient que de purs fantasmes ? Ou de désigner un ou deux responsables parce qu’ils seraient en haut de l’échelle et que parce qu’ils sont ciblés ?

Tous ces jeunes morts sont des victimes. De même que ces forces de l’ordre qui ont trouvé la mort, en service. Que penser de ces deux jeunes femmes mortes dans le bus attaqué au cocktail molotov ? Qu’en est-il du deuil de leurs familles ? Quid des biens publics saccagés ( bus caillassés et incendiés, vitres BRT saccagées, édifices publics attaqués etc) ? L’Etat n’est-il pas lui-même une victime ? Et les biens privés saccagés et pillés ? Les propriétaires, n’ont-ils pas vu leurs investissements ruinés ? Que fait-on des attaques des domiciles des dignitaires de l’ancien régime au cocktail molotov ? N’y avait-il pas de risques de morts ? Et pourtant c’est de notoriété publique qu’un certain Ousmane Tounkara, proche de Pastef a déclaré sur les réseaux sociaux avoir dépense près d’un demi-milliard de franc CFA pour aider au combat de Pastef. Il est difficile d’y croire, mais il s’agit tout de même là d’un aveu. Que penser du ministre Alioune Dione et son niveau d’implication dans le combat qu’il a publiquement avoué ? Autant de questions que l’on peut raisonnablement poser.

Qu’on ne se fourvoie pas. Si l’on veut que notre démocratie qui visiblement n’évolue plus à cause de ces contrecoups qu’elle subit sans cesse, il s’agit pour les tenants du pouvoir ainsi que les opposants d’apaiser leurs tensions, de réduire les crispations et de se montrer exemplaires puisque ce sont eux qui se succèdent au pouvoir. Relever le curseur du débat en intelligence sur des sujets structurants, ne ferait point de mal.

Lorsque le Conseil constitutionnel a jugé le texte de loi adopté par le Parlement reportant l'élection présidentielle au Sénégal parce qu’il violait la Constitution, - ce qui avait abouti à son annulation - , qui avait protesté ? Tous les Sénégalais épris de démocratie et de justice avaient applaudi et salué une opposition à une volonté manifeste de rebattre les cartes dans un contexte tendu de la présidentielle. Rappelons tout de même que cela a abouti à une victoire du Pastef au pouvoir. Aujourd’hui que le Conseil constitutionnel a invalidé une loi jugée contraire à la constitution, l’on doit être conséquent et applaudir de la même manière, surtout que des juristes et politiques avertis avaient prévenu que cette loi ne passerait pas.

Pour Thierno Alassane de la République des Valeurs qui s’était beaucoup activé contre cette loi interprétative, cette décision du Conseil constitutionnel ne devait pas surprendre car « Il était évident, selon lui, que l’abrogation partielle de l’amnistie était impossible. », ajoutant qu’ « il reste maintenant à ouvrir des concertations les plus inclusives possibles de manière à trouver un équilibre entre l’impératif de la Justice et la nécessité de réconciliation d’une nation fracturée» !

L’ancien magistrat Ibrahima Hamidou Dème a de son côté tout dit. Il a salué à travers une déclaration à la presse, "une décision limpide", estimant que "dans son rôle de garant de la conformité des lois à la Charte fondamentale, le Conseil constitutionnel vient de réaffirmer, après sa décision historique sur le report de l’élection présidentielle, sa mission de gardien vigilant de la suprématie de la Constitution". "Il ne reste plus, selon lui, qu’à respecter les règles du jeu démocratique et à tirer toutes les leçons de cette faillite législative et morale", a conclu l'ancien juge.