NETTALI.COM - Le leader de La France Insoumise, Jean-Luc Mélenchon, va entamer mardi une visite au Sénégal, accompagné d’une délégation, à l’invitation du parti du nouveau Premier ministre. Une visite dont l’objectif est de consolider les liens entre le Pastef et la gauche radicale française qui a ardemment soutenu le camp d'Ousmane Sonko, lors de sa longue bataille judiciaire avec les autorités. 

Il s’agit de la première visite d’officiels français depuis l’élection du président Bassirou Diomaye Faye. Le leader de La France Insoumise, Jean-Luc Mélenchon s’envole pour Dakar, mardi 14 mai, à la tête d’une délégation, pour une visite de quatre jours, à l’invitation du Pastef d’Ousmane Sonko.

Le nouveau Premier ministre du Sénégal a fait cette annonce le 5 mai, à l’occasion de la reprise des activités politiques de son parti, qui avait été dissous en 2023 par le précédent gouvernement pour "appels à l’insurrection et complot".

Ce déplacement s’inscrit dans le cadre du renforcement "des partenariats politiques avec le reste du monde" et du "réchauffement de relations existantes", a souligné Ousmane Sonko.

"Nous avions été invités à l’investiture de Bassirou Diomaye Faye mais nous ne pouvions nous y rendre. Nous avons donc convenu de cette nouvelle date", explique Arnaud Le Gall, député Insoumis du Val-d'Oise (9e circonscription), membre de la délégation. "Cette rencontre est l’aboutissement d’une vieille relation. Il faut dire que nous sommes la seule force politique française à nous intéresser sérieusement à eux depuis quatre ans", ajoute le conseiller de Jean-Luc Mélenchon, qui a œuvré, ces dernières années, au rapprochement entre LFI et le Pastef.

"Soutien sans ambiguïté"

Cet "intérêt" pour le combat d’Ousmane Sonko et ses partisans, Jean-Luc Mélenchon l’a verbalisé dès juin 2021 par la publication sur son blog d'une tribune, "Le Sénégal nous parle, sachons l’entendre". Il y souligne la "relation singulière" entre les deux pays, à travers la langue commune, la participation des Sénégalais aux "grandes guerres européennes" ou bien encore l’héritage du père fondateur Léopold Sédar Senghor, premier écrivain noir élu à l'Académie française. Aussi et surtout, le leader de la France Insoumise s’inquiète de la répression accrue exercée sur le leader du Pastef, alors principal opposant, fustigeant une “instrumentalisation de la justice” par le président Macky Sall.

Ousmane Sonko, arrivé troisième lors de la présidentielle de 2019, est alors accusé de viol et de menaces de mort par une ancienne employée d'un salon de massage. Ses soutiens dénoncent une manœuvre du pouvoir pour l’écarter de la présidentielle de 2024. Cette affaire suscite de violents soubresauts au Sénégal - en mars 2021, lors de l’arrestation du chef du Pastef, puis en juin 2023, à la suite de sa condamnation pour "corruption de la jeunesse" - faisant plusieurs dizaines de morts.

Mélenchon multiplie les messages de soutien à celui qui, à ses yeux, incarne "le Sénégal démocratique contre la loi du plus fort", fustige sa condamnation et s’inquiète pour son état de santé lorsque l’opposant sénégalais observe une grève de la faim pour protester contre sa détention.

Le 17 février 2024, le chef de la France Insoumise prononce un discours remarqué lors d’un rassemblement à Paris contre le report de la présidentielle au Sénégal. À ses côtés figurent les deux architectes du rapprochement entre LFI et le Pastef : Arnaud Le Gall, son conseiller, et Alioune Sall, député de la diaspora sénégalaise et coordinateur de Pastef France, devenu depuis ministre de la Communication du gouvernement Sonko.

"Dès 2022, nous avons pris contact avec LFI, avec qui nous partageons un certain nombre de valeurs sur la défense des peuples contre l’oligarchie et le partage des richesses, notamment", souligne Alioune Sall. "Il est clair que LFI est le seul parti qui a pris une position sans ambiguïté en faveur du Pastef durant cette période", poursuit-il.

Anti-macronisme

"Pour nous, il était essentiel de faire comprendre aux Sénégalais que la France dans son ensemble ne cautionne pas la répression exercée par le pouvoir, d’autant plus dans un contexte où son image était déjà très écornée au Sahel", explique, de son côté, Arnaud Le Gall.

En soutenant le camp Sonko contre Macky Sall, qu'il qualifie de dictateur, Jean-Luc Mélenchon fait d’une pierre, deux coups. Il multiplie les critiques contre Emmanuel Macron, qui entretient d’excellentes relations avec son homologue sénégalais, quitte à assimiler leurs politiques.

"Le modèle qu’était ce pays se dissout dans une macronisation accélérée : répression, arrestations, réduction des libertés constitutionnelles", dénonce-t-il le 25 juin 2021 sur X, trois ans après la crise des Gilets Jaunes.

En février 2023, ce combat agite également l'Assemblée nationale, autour du projet de loi d'entraide judiciaire entre la France et le Sénégal, visant à faciliter les extraditions. À la tribune, Arnaud Le Gall s’oppose à ce qu’il qualifie de "cadeau" à un président sénégalais en pleine "dérive autoritaire", sans parvenir à lui faire barrage. La loi est adoptée le 2 juin 2023.

Mélenchon l'"autre voix sur l’Afrique" ?

Le député Insoumis en est persuadé, les positions de LFI rencontrent un fort écho sur le Continent. Il cite en exemple les deux grandes conférences de Jean-Luc Mélenchon – à Ouagadougou en juillet 2021, puis à Kinshasa en octobre 2023 – devant "des salles combles", au point qu’il a fallu "refuser du monde". "Jean-Luc Mélenchon, c’est l’autre voix de la France en Afrique", assène-t-il.

"Ici, Mélenchon est bien connu pour son soutien au leader du Pastef pendant les années de braise", confirme Alioune Tine, fondateur du centre de réflexion Africajom. "Il l’est également pour son soutien à la Palestine, qui est une question majeure pour les Sénégalais", ajoute-t-il, dans ce pays composé à plus de 94 % de musulmans.

Plus commentée au Sénégal qu'en France, la visite de Jean-Luc Mélenchon suscite également son lot d’interrogations voire de critiques. "Si Sonko suit son gourou Mélenchon, le Sénégal pétrolier sera un futur Venezuela, la référence de Mélenchon, et non pas un futur Dubaï comme nous en rêvons", a réagi, dans une tribune, le politologue Yoro Dia, ancien porte-parole de la présidence sous Macky Sall.

D’autres voient en cette visite un camouflet à l’endroit du président français. "Le Sénégal recevra donc le "meilleur ennemi" de Macron, avant même Macron lui-même. Le message n'aurait pu être plus clair", souligne le journaliste Mouhamed Camara.

De son côté, le ministre de la Communication du Pastef tempère. "La France est le premier investisseur étranger de notre pays, il y aura bien sûr une rencontre avec Emmanuel Macron même si, pour l’heure, rien n’a été fixé".

Emmanuel Macron avait félicité le président Bassirou Diomaye Faye au lendemain de sa victoire, se fendant même d’un message en wolof pour lui adresser ses vœux de réussite. Il avait ensuite réitéré ses félicitations lors d’un entretien téléphonique avec son nouvel homologue sénégalais. Celui qui a promis une politique de "rupture", passant par la mise en place d’accords commerciaux plus justes pour le Sénégal, a réservé ses premiers déplacements aux pays voisins : Mauritanie, Gambie, Guinée-Bissau et Côte d’ivoire.

Mercredi, Jean-Luc Mélenchon rencontrera pour la première fois en personne le Premier ministre sénégalais, avec qui il ne s’était entretenu jusqu’ici qu’à distance. "Avec cette élection, la démocratie sénégalaise a donné un exemple au monde entier" estime Arnaud Le Gall. Et le Pastef, poursuit-il, "une source d'inspiration pour sa détermination et sa résilience".